De l'Irlande à l'Allemagne : entre romances et stéréotypes
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Julie BrunelleL’austère zeitgeist (l'air du temps, ndlr), d’une Irlande affligée par un sinistre fiasco financier, contribue à déformer d’autant plus notre perception de l’Allemagne et de toute chose allemande. Passer près de sept ans dans ce pays, m’a donné envie d’entamer une réflexion sur mes propres expériences.
Bien que 7 années se soient écoulées, l’expression chagrinée visible sur le visage de mes concitoyens lorsque je leur apprenais que je partais m’établir en Allemagne, reste un souvenir vivide. Comme s’ils cherchaient à alléger la sévérité de mon supposé supplice, les gens, généralement, étaient prompts, dans un acte de bonté bien intentionnée et teintée de compassion, en me serrant le bras et inclinant la tête en signe de sympathie, à me demander par exemple: « Pourquoi l’Allemagne ? » « Est-ce pour des raisons professionnelles ? » « Pour combien de temps ? ».
Mon air ébaubi était rarement perçu, pas plus que mon récit joyeux et exalté de mes expériences n’était entendu. La terre de Bach, Beethoven et Brahms, la poésie épique de Goethe, la Forêt Noire, la Route Romantique, les formidables lacs alpins, les châteaux féeriques nichés dans les Alpes de Bavière, ne semblaient susciter la moindre lueur d’intérêt dans le regard de mes interlocuteurs irlandais. Non, l’Allemagne était perçue comme une réalité faite de la vallée industrielle de la Ruhr, d’ingénieurs, d’hivers rudes, d’un peuple diligent, dogmatique et austère, de swastikas et de SS, de la Luftwaffe, et bien sûr, d’Hitler et de la guerre.
Fenêtres merveilleuses
L’histoire nous emprisonne et altère notre vision du monde et surtout de l’Allemagne, même avant cette crise financière âpre et toxique. L’ignorance n’étant l’apanage d’aucun, on la trouve en abondance d’un côté comme de l’autre. Ainsi ils sembleraient que les Allemands souffrent également d’une représentation archaïque de l’Irlande. Les adjectifs « verte, agricole, mélodieuse, propre, rustique, anglaise » foisonnent. Les présentateurs météo allemands font rarement mention de l’Irlande. Ils préfèrent parler de précipitations sur les Britischen Inseln (Iles britanniques). Nombres d’Allemands, surtout des générations plus anciennes, emploient habituellement le terme parapluie Die Engländer (The English), pour nommer les Irlandais, (plus exactement une personne d’Angleterre ou d’Irlande, indistinctement), plutôt que le mot Iren (« Les Irlandais »).
Et si l’Allemagne qui, pour paraphraser l’auteur « Kerry », Bryan MacMahon, tombe le lourd rideau des préconceptions afin de révéler des fenêtres de merveilles ? On découvre une Allemagne ouverte, moderne, multiculturelle, respectueuse et belle. Un endroit propre où il fait bon vivre. Ses étés secs (comparés à l’Irlande), favorisent la vie en extérieur. Ainsi, familles et amis se retrouvent dans de splendides parcs, le long de rivières et lacs pour un barbecue, s’amuser ou faire du sport. Il existe un véritable engouement pour la culture-café, passer des heures à lire ou à observer les badauds, en terrasse par un délicieux après-midi ensoleillé est chose commune. La journée de travail achevée, c’est un must de savourer une bière, confortablement installé à l’arrière d’un café Bavarois, à l’ombre de châtaigniers ou de tilleuls, où l’on vous servira la meilleure et plus fraiche des bières connues de l’humanité.
Portes d’émeraude et de magie
Les habitudes professionnelles sont le mieux décrites grâce à la maxime formulée par les frères chrétiens irlandais : peu importe le nombre d’heures que l’on y passe mais ce qui s’y passe et pendant chaque heure. Ils travaillent consciencieusement et assidument, mais ne sauraient se résumer à leur tâche. Il n’est pas rare de voir les Allemands prendre leur Feierabend (ou poudre d’escampette) à midi un vendredi ! Les salaires sont élevés et les syndicats restent puissants, malgré la perte hémorragique du nombre d’adhérents observée au sein d’organisations plus petites. Les temps-libres, le travail à domicile, les congés annuels considérables (30 jours environ et moult jours fériés supplémentaires) sont beaucoup plus commun qu’en Irlande. L’absurde über-bürokratie, ainsi que les frais excessifs requis pour démarrer une nouvelle entreprise, poussent à la servitude les plus féroces et fervents apprentis entrepreneurs.
La fermeture des magasins le dimanche après-midi, tout comme le respect des jours fériés pour raisons religieuses, y est plus en vogue. Le poids de la tradition est beaucoup plus palpable en ce qui concerne les domaines culturels, religieux ou linguistiques, où l’on trouve des côtes plus larges facilitant le balayage incessant par cette marée qu’on nomme globalisation. On trouve cependant des signes évidents que l’Allemagne n’a pas été complètement épargnée. Des mots de (pseudo) anglais envahissent le langage depuis quelques années : « Meeting » a remplacé notre « Besprechung », « Team » la « Mannschaft », « Chatten »,la « Plaudern » et cetera et cetera. Ce phénomène linguistique a été baptisé « Denglisch », contraction de Deutsch et English.
Certes le fait d’être Irlandais ne vous donnera pas accès au pays des leprechauns (créature féérique issu du folklore irlandais, ndlr), cependant les autochtones semblent apprécier nos cartes d’identités magiques et vertes-émeraude. De plus, leur capacité d’écoute flatte notre tendance au babillage. L’attitude insouciante des Irlandais est révérée, leur grégarisme et leur bonhommie appréciés, particulièrement dans les nombreux pubs irlandais qui parsèment le pays. Où il est fréquent que l’aigle et le trèfle s’éprennent l’un de l’autre, surtout d’Irlandais à Allemande (moins dans l’autre sens). Terre neutre où la récalcitrante irlandaise rencontre cette façon très allemande d’adhérer aux règles qui agit comme catalyseur ?
Je me suis trouvé une fois à devoir expliquer ce que signifiait « faire la causette ». Ce ne fut pas une mince affaire.
C’est avec tristesse que je confesse n’avoir jamais rencontré autant de personnes esseulées. On les trouve dans les dits-cafés, restaurants, pubs, überall (partout). Les Allemands ont tendance à être pudiques et tiennent à leur vie privée. Souvent ils ne daignent converser qu’avec ceux qu’ils connaissent déjà. Rencontrer de nouvelles personnes suscite fréquemment méfiance et défiance, tout comme les bonnes intentions de ces personnes suspectes, c’est-à-dire, ne faisant pas encore parties d’un cercle d’amis sont sujettes à une certaine suspicion. Je me suis trouvé une fois à devoir expliquer ce que signifiait « faire la causette ». Ce ne fut pas une mince affaire. Faire la connaissance de nouvelles personnes semble infiniment plus dur dans leur culture. Nombre d’Allemands confessent vouloir émigrer…une fois à la retraite. Ils avouent également se sentir étrangers à leur propre pays. Peut-être sont-ils les Aliens d’un Eden obscur.
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Photos : Une,policière à Brandenburg Tor à Berlin (cc) gravitat-OFF; Texte : costume traditionnel à la fête de la Bière de 2009 (cc) akante1776/ Mythos Muenchen; lac Chiemsee (cc) Sporthotel Achental/ Anna; (cc) Traveller_40/ toutes de flickr
Translated from Irish reflections on Germany, romance and stereotypes