De l’égoïsme tendre, ou quel schéma normatif pour la nouvelle Europe ?
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Sur quels paradigmes poser la construction de nos sociétés ? Comment la politique peut-elle intégrer ces paradigmes ? Et la construction européenne peut-elle intégrer les concepts d’ « égoïsme tendre » et d’ « itinérance » ?
Nous voici au 3ème millénaire face à une construction européenne sans précedent et pourtant, de déceptions en déceptions nous ne savons plus trop en quoi croire, ni quelle direction suivre. C’est la mort de l’art chez Hegel, la mort de Dieu chez Nietzsche, la faillite de la raison chez Kandinsky, la mort de l’homme chez Foucault, la fin de l’histoire chez Fukuyama… Gilles Lipovetsky décrit bien ce processus dans son livre « Vers l’ère du vide » : l’homme ne cesse de s’interroger sur ce qui meurt tout en retardant le constat d’un nouveau monde. La crise du politique à laquelle nos sociétés font face aujourd’hui est à mon avis directement liée à ce processus de remise en question permanente.
Quel sens donner à nos actes ? Vers quel avenir radieux se tourner ? Quel chemin suivre ? Doit-on se jeter une fois pour toute dans le pessimisme absolu ? Suprême tentation des pays de l’Est ? Profiter au moins de la jouissance de se sentir perdu, attrait sublime de la décadence….
Aujourd’hui, la construction de l’Europe appelle une réflexion profonde sur le sens de nos actions et l’inflexion qu’on souhaite leur donner . Voici le modèle que je voudrais donner à l’Europe.
C’est à l’Homme de se bâtir
Quelle ligne directrice prendre pour la construction de nos sociétés ? Tout d’abord, il n’existe pas une voie, un concept, qui s’impose à nous par la force de l’évidence. Le déterminisme n’existe pas. Et si l’histoire aujourd’hui n’est plus linéairement déterminée et bien tant mieux, nous voilà de nouveau responsabilisés, tenus de faire des choix. C’est donc à l’homme de se bâtir, et ceci sur des postulats CONSTRUCTIFS. Libre à chacun d’interpréter la réalité comme il l’entend. Il n’existe pas une vérité mais des vérités. La question n’est plus de savoir si un concept a la valeur d’un dogme mais s’il nous permettra de nous construire positivement, en harmonie avec notre environnement. Pur pragmatisme, les anglo-saxons, enfin, vont se sentir écoutés en France !
Me voilà donc qui vous propose un postulat constructif tout a fait banal et bien connu dans nos sociétés chrétiennes, c’est celui de « l’égoïsme tendre. » Ce sont les deux sentiments les plus connus de l’homme, l’égoïsme et l’amour, les deux sentiments les plus moteurs de nos actions… L’égoïsme bien compris prend conscience que le bonheur des autres est aussi essentiel à son propre bien-être. Nous voilà au cœur de la théorie communicationnelle de Habermas en fait. Individualisme et corporatisme ne se contredisent pas, ils se complètent et n’existent pas l’un sans l’autre. Le dualisme est un leurre. « L’égoïsme tendre » réaffirme donc le primat de l’homme sur tout autre objectif, il va vers la recherche d’un développement harmonieux du Monde. La globalisation par ailleurs, si elle ne conduit pas à une unification du monde, est sous cet aspect positive : la solidarité de fait entre les hommes nous conduira par la force des choses à agir pour le bien de tous, elle rend la perspective d’un partage plus équitable des richesses et d’un développement harmonieux de la planète plus probable. « Le besoin crée l’invention », dit un proverbe marocain !
La finalité réside dans la route, et non dans un terminus
Reste à ajouter au principe de « l’égoïsme tendre » celui de « l’itinérance ». Concept à la mode lui aussi en cette ère dite post-traditionnelle. Parce que l’homme a appris depuis deux siècles, de déceptions en déceptions, que la félicité parmi les hommes ne sera probablement jamais atteinte ; que la fixation de buts intangibles voir divinisés, est toujours teintée de totalitarisme, et amène l’homme à mettre de côté sa raison et son esprit critique ; parce que l’homme ne se construit que sur des postulats, il doit garder à l’esprit la relativité et la finitude de ces postulats pour ne jamais les ériger en dogmes. Il faut introduire le principe de « l’itinérance. ». Edgar Morin théorise très bien ce concept dans son livre « Vers une anthropolitique de l’homme ». Selon lui la finalité réside dans la route et déjà dans l’acte et non en un terminus. Cette route est l’exigence de réflexion, d’engagement, la pensée en mouvement, multidimensionnelle et ouverte à l’amour.
Il s’agit maintenant d’analyser concrètement quelles sont nos chances de réintroduire ce principe en politique, et surtout de quelle capacité d’action réelle nous disposons en politique aujourd’hui. Cette question nous amènera à réfléchir sur la globalisation, les systèmes de réifications, et la construction européenne. A suivre…