De légiférer ou de ne pas légiférer
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Alors que plus de 5000 prisonniers des geôles grecques continuent leur grève de la faim (plusieurs ont déjà été hospitalisés) et que le sujet commence à se répandre dans les journaux, la Grèce connaît ces derniers temps quelques remous liés à sa législation, en particulier dans le domaine de la famille.
Fin septembre, le gouvernement proposait une révision du Code civil pour ce qui concerne la garde et l’autorité parentale sur les enfants des couples séparés. En cas de séparation, les enfants grecs se voient confiés à d’un des deux parents qui exerce alors son autorité sur cet enfant en matière de choix d’éducation, surveillance de tous ordres, gestion des biens, et représentation de l’enfant auprès des institutions en cas de besoin. Le parent en question est désigné par le tribunal dans le cadre de la procédure de séparation du couple (voir dans To Vima) et, de fait, il s’agit le plus souvent de la mère. Le projet de loi discuté en octobre prévoyait d’inclure les deux parents dans ce processus d’éducation et d’autorité parentale, donnant aux tribunaux la compétence pour décider du ou des lieu(x) d’habitation de l’enfant, de la fréquence à laquelle il pourrait voir le parent avec lequel il n’habiterait pas, et un droit égal pour les deux parents à décider des choix éducatifs. (photo: la place Sintagmatos, devant le Parlement, à Athènes)
Cette réforme a assez rapidement déclenché une vive hostilité de la part des cercles féministes (en particulier des sections des partis de gauche) et du Comité national pour les droits de l’homme, qui ont souligné les effets pervers de l’application d’une telle loi: intrusion des tribunaux dans la vie quotidienne de l’ex-couple et de l’enfant; un coût financier encore plus lourd de la procédure de divorce pour payer les tribunaux compétents; et surtout des conséquences néfastes sur le développement psychologique de l’enfant qui a besoin, selon une psychologue interrogée dans le journal To Vima, “d’un lieu d’habitation fixe, d’une chambre à lui, de bases stables”. Mais c’est l’argument des mères qui m’a le plus frappé, selon lequel: “cette réforme nie la relation unique qui existe entre une mère et son enfant” (dans Ta Nea), “c’est une réforme rétrograde qui va à l’encontre des femmes et de leur rôle dans l’éducation des enfants” (dans To Vima). En fait, les mères grecques craignaient que ce nouveau dispositif fasse régner dans les tribunaux la loi du plus fort “lequel est toujours le père dans la société grecque”. Finalement, fortes du soutien des groupes déjà cités, ainsi que de l’Association pour le soutien à la dignité des mères et de juristes, les mères ont obtenu gain de cause et le maintien de l’actuelle législation. Le ministre de la Justice a fait marche arrière et retiré le projet de réforme. Sans avoir d’avis précis sur la question, il me semble pourtant curieux de défendre l’idée de la “priorité du rôle de la mère dans l’éducation des enfants” (selon les mots des organisations féminines), au nom d’une lutte anti-réactionnaire et progressiste. Avec l’abandon de ce projet, c’est en tout cas le rôle accru de la léglisation et des tribunaux dans la vie quotidienne qui a été combattu.
Problématique similaire, à propos de l’alcool chez les jeunes. Un projet de loi voté au Parlement stipule qu’à partir de 2010, les jeunes de moins de 18 ans n’auront plus de le droit de consommer de l’alcool dans les lieux publics ni d’entrer dans les boîtes de nuit, ni même de traîner dans les bars. Un débat – classique – a donc émergé de cette nouvelle disposition : l’interdiction peut-elle vraiment empêcher les jeunes de consommer de l'alcool, sachant que l’interdit ne peut que stimuler l’envie de le braver ? Et surtout, n’est-ce pas le rôle de l’éducation, plutôt que de la loi, que d’inciter les jeunes à ne pas se livrer à des beuveries néfastes ? Le journal Ta Nea est allé interroger quelques “gentils jeunes” pour leur demander leur avis éclairé et des mères angoissées (et non des pères…) qui expriment leurs craintes de voir leurs enfants tomber dans les griffes de la drogue et de l’alcool. Il en ressort que “si le gouvernement veut montrer son intérêt pour les jeunes, il faut qu’il le fasse par l’éducation”. Les lycéens interrogés préféreraient aussi voir le sujet abordé à l’école, plutôt que d’être uniquement sanctionnés par la loi.
Autre question en suspens: “Il existe déjà une loi interdisant de vendre de l’alcool aux mineurs”; pourquoi alors dénombre-t-on un pourcentage de 17% de jeunes adolescents qui affirment boire une grande quantité d’alcool tous les 3 jours ? Est-ce que parce qu’ “en Grèce, aucune loi d’interdiction ne peut être appliquée, surtout pas quand elle s’applique aux jeunes !”, selon le cri de révolte d’un adolescent de 17 ans?