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De l’Art du populisme

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La Parisienne

Par Elvire Camus Le local est modeste. Quelques tables, des chaises, des tracts frappés de grandes lettres bleues et rouges, des coupures de presse, des affiches pour le candidat aux couleurs vives et un clip de campagne.

Jusqu’au premier tour de l’élection présidentielle, la Kadist Art Fondation devient le QG d’un parti politique inventé, fief du « président », un candidat imaginaire aux allures d’Ali G, protagoniste d’une exposition d’art contemporain sur le thème du populisme.

Après six mois de résidence dans la galerie du dix-huitième arrondissement de Paris, le commissaire italien Matteo Lucchetti propose une exposition peu ordinaire et réussie sur un courant politique qui a pris une importance considérable en Europe ces dernières années. Sur les murs verts pâles, point de biographie de Mussolini ou de chronologie de l’histoire du populisme au vingtième siècle, ici chacune des 12 œuvres présentées peut se substituer à un outil de campagne au service d’un candidat, ou de propagande, c’est selon. Les artistes invités ont surtout travaillé sur le discours et le champ lexical des populistes : la Néerlandaise Nicoline van Harskamp expose une vidéo sous forme de discours composé d’extraits choisis d’autobiographies de personnes politiques célèbres, l’Américain Steve Lambert a imprimé deux posters aux slogans percutants à vendre à leur prix de production et le Singapourien Heman Chong présente deux nouvelles sur le thème du changement, omniprésent dans les discours populistes.

D’autres œuvres font directement partie de la campagne pour l’élection du « président », comme le clou du spectacle, un spot mal doublé et ultra kitsch qui mélange acrobaties de Yamakasi, soupe populaire et lecture des lignes de pied par une voyante. « Le président » rebeu attifé d’un manteau de fourrure promet entre autres la « libération sexuelle pour les mineurs » et le « tabassage à des fins pédagogiques », un projet à l’initiative du collectif italien Alterazioni Video. Populiste ou populaire, on ne sait pas trop quoi penser du « président » candidat.

Des images quasiment trop grotesques pour êtres vraies

Les œuvres les plus intéressantes restent celles qui n’ont pas été imaginées, qui sont d’autant plus marquantes qu’elle ne sont pas des caricatures, à l’image de cette fascinante prison nouvelle génération au sein de laquelle le détenu peut gagner son retour à la liberté après avoir fini les quatre niveaux, comme dans un jeu vidéo. Imaginé par l’actuel bras droit de Geert Wilders du parti pour la Liberté néerlandais, le système carcéral exposé est en fait le sujet d’une thèse de 344 pages, déclinée par l’artiste Jonas Staal en un livre, une visite en 3D et un plan détaillé. Tout aussi saisissante, une collection d’illustrations détournée par l’armée électronique syrienne pour en faire des affiches de propagande pro Bachar Al-Assad présentée par le collectif Foundland. On y voit le dictateur syrien au milieu des nuages le regard défiant face à l’aigle américain, ou déguisé en chevalier, seul son minois dépassant de son armure brillante, se posant en gardien de son pays face aux envahisseurs occidentaux. Des images quasiment trop grotesques pour êtres vraies.

Danilo Correale a lui joué sur la notion d’espoir, thème récurent de la campagne présidentielle française (mais pas seulement) pour nous présenter l’œuvre certainement la plus efficace, en détournant des billets de loterie à gratter censés pouvoir nous faire gagner le gros lot sur un coup de chance. Ceux qu’il a distribués à Anvers en 2011 ne révèlent que des slogans xénophobes sous la couche argentée à gratter, pas de surprise quand on fait le choix du populisme.

Comme c’est souvent le cas, cette exposition d’art contemporain est difficilement accessible sans un minimum d’éclairage sur le travail des artistes. Aucune œuvre n’étant ne serait-ce que titrée, il est indispensable de se munir du catalogue proposé à l’entrée, rien que pour faire la différence entre la vraie propagande pro Al-Assad et les faux tracts pour un candidat imaginaire.

Jusqu’au 22 avril à la Kadist Art Foundation dans le 18e, entrée gratuite.

Photos : © courtoisie du Tumblr de l'expo Enacting Populism

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.