De la République à l’Empire
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Le scénario est toujours le même, que ce soit dans la Rome antique, pendant la Révolution Française ou même dans Star Wars :
La république est faible, minée par les intérêts particuliers et la corruption des dirigeants. Les crises se succèdent, et le régime démontre son impuissance à protéger les populations.
La confiance dans les mécanismes et les procédures de la démocratie chancèle depuis trop longtemps. Un homme émerge alors et parle de puissance, de l’amour des peuples et de volontarisme. Il propose des solutions simples et directes et tous, dans un élan de foi et d’imbécilité accomplie déposent à ses pieds les attributs du pouvoir. C’est la fin de la République et le début de l’Empire. C’est la décadence des idées, sacrifiées sur l’autel du pragmatisme à court terme.
Sommes-nous en train d’assister au mêmes événements au sein de l’Union européenne ? Peut être… Les institutions communes peinent à se réformer depuis vingt ans et le traité constitutionnel et ses avatars butent depuis plusieurs années sur les angoisses et les craintes entretenues par les populistes de tout poil. Le niveau de confiance dans la construction européenne n’a jamais été aussi bas. Bruxelles est envahie de lobbys, de groupes de pression divers et il semble que plus personne n’est capable de définir « l’intérêt général communautaire ». La Commission européenne, moteur de l’Union, est inféodée aux Etats et les discours politiques se perdent dans des considérations générales ou dans un jargon incompréhensible.
Face aux crises géorgienne et financière, il est apparu très clairement que seuls les dirigeants des Etats avaient la capacité de réaction et de décision nécessaire pour trouver rapidement des solutions à ces crises. Tout ceci à l’initiative du président temporaire, Nicolas Sarkozy. Mais Nicolas Sarkozy voit son mandat de président de l’Union toucher à sa fin et ne veut pas quitter ce rôle de sauveur du monde auquel il tient tant. Qu’à cela ne tienne, il restera président ! Il a ainsi évoqué hier au Parlement européen l’idée d’un Eurogroupe réuni au niveau des chefs d’Etats et de gouvernement (et non plus uniquement des ministres des finances, comme c’est le cas actuellement). Il a également proposé que la France conserve la présidence de ce groupe, au moins jusqu’en 2010, lorsque la présidence de l’Union sera à nouveau tenue par un pays membre de la zone euro, en l’occurrence l’Espagne (voir article ici).
Nicolas Sarkozy veut donc renforcer une instance qui n’est prévue par aucun texte, et en prendre la présidence sans élection, afin de mener à bien la gouvernance économique de l’Europe. Etant donné l’importance de ces questions, et leur haut niveau de couverture médiatique, cela signifierait que le centre du pouvoir communautaire quitterait les institutions légitimes pour se déplacer vers une sorte de conclave informel, de gentlemen’s club sans existence précise, sans procédure définie. Des décisions fondamentales prises portes closes, sans aucun contrôle du Parlement européen ou des parlements nationaux.
Accepter cette proposition, c’est abandonner l’idée que notre intérêt commun est mieux servi par des politiques communes structurées que par des mesures politiques opportunistes et à court terme. Que se passera-t-il le jour où tous ces dirigeants ne seront plus d’accord ? Lorsque les crises seront passées, et qu’il faudra prendre des mesures structurelles et non plus circonstancielles pour améliorer nos économies, que deviendra-t-il de la belle unanimité des dernières semaines ?
Les crises ne durent pas toujours. Mais le meilleur moyen de conserver le pouvoir est de faire croire que la crise est permanente. Si la crise est permanente, l’exceptionnel, le dérogatoire est également permanent. C’est ainsi que la démocratie disparaît, à force de mesures temporaires… Il est temps de rouvrir nos livres d’histoire et de dire à M. Sarkozy qu’on nous a déjà fait ce coup-là !