David Lescot: «Vous avez dialogué, vous, en 2008 ?»
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Il n’a pas froid aux yeux. David Lescot, un auteur et metteur en scène français, s’est attaqué au thème de l’Europe dans son dernier spectacle. L’Européenne ou l’hymne délirant d’un continent qui se cherche sans toujours se trouver…
« J’ai eu l’impression de pénétrer dansune machine qui avance dans un soucis d’efficacité et sans aucune poésie… »
Ils s’embrassent, se mettent des taloches, se serrent, s’enguirlandent. Dans un joyeux bordel musical, des artistes subventionnés tentent d’arrondir les angles des institutions bruxelloises… Le thème pourtant pas très sexy de l’Europe a été abordé sur la scène du Théâtre de la Ville de Paris, pendant le mois de septembre 2009. Et dans des couloirs froids, des bureaux hermétiques, surgissent tous les problèmes qui l’accompagnent : la communication et les langues, l’hystérie des élections, la raideur du système et l’absurdité d’être là ensemble pour réaliser un projet qui tient de l’impossible.
Comique et cacophonique
C’est l’auteur, metteur en scène et musicien français, David Lescot, 38 ans, qui s’y colle : « J’ai eu l’idée de cette pièce de théâtre au lendemain du référendum sur la Constitution européenne en 2005. J’avais beaucoup hésité au moment de me déterminer sur le 'oui' ou sur le 'non' et j’ai réalisé la fracture qui existait entre les camps politiques à ce sujet. Finalement, c’est là que j’ai compris qu’une aventure collective – épique ! – était entrain de se jouer… »
Après avoir mené son enquête et mis les pieds au cœur des institutions, David Lescot décide d’écrire une comédie, L’Européenne : « J’ai eu l’impression de pénétrer dans un univers de realpolitik, se souvient-il, une machine qui avance dans un soucis d’efficacité et sans aucune poésie… » Il y avait des effets comiques à tirer « de ces choses très mécaniques, très techniques ». Et pour quelqu’un qui a l’oreille musicale, mettre en scène les 23 langues officielles de l’UE tenait carrément du fantasme. « Plus il y a de langues, plus je suis content », l’auteur annonce la couleur dès le début de la pièce alors que sont présentés les interprètes embauchés par l’UE : « Voici le Portugais qui traduit du letton, le Danois du maltais, le Polonais de l'anglais… »
Complexe, la pratique des langues étrangères l’est aussi pour les acteurs qui jouent la comédie dans cette pièce. Ils s’expriment beaucoup dans leur langue d’origine (slovène, bulgare, portugais…) sans sur titrage. Un traducteur italien est sur scène pour rendre tout cela intelligible pour un public français. Comme enfermés dans un château d’acier un poil kafkaïen, ils incarnent des poètes, des musiciens, des mélomanes… et jouent les fauteurs de troubles au sein de cette « tribu » européenne plutôt « opaque » : « Pour l’Europe, donner des sous aux artistes, c’est ajouter des chiffres dans un tableau statistique. Et pour les artistes, l’Europe n’est pas grand-chose d’autre qu’une tirelire… », lance David Lescot. Un marché de dupes, en somme. Mais tout en s’instrumentalisant, on apprend à se connaître, à se rapprocher... et finalement à s’attacher les uns aux autres.
Genèse à Naples
Si David Lescot ne se prononce par sur l’avenir de cette épopée « Europe », il rejette l’idée d’une uniformisation des cultures : « Bien sûr, l’UE est formidable quand elle permet aux gens de circuler dans pays à l’autre, mais chercher une culture commune à tous ces habitants me fait assez peur… » Il y préfère le mot « métissage », plus séduisant pour cet artiste français qui a déjà beaucoup voyagé au travers l’Europe grâce à des spectacles qui reconfigurent sans cesse la réalité abrupte du monde d’aujourd’hui, tragi-comique. D’ailleurs, L’Européenne est aussi née sur les planches du théâtre italien de « Napoli » en coproduction.
Au sujet de l’année européenne du dialogue, implémentée par la Commission en 2008, David Lescot se marre : « Vous avez dialogué, vous, en 2008 ? » Pour lui, il faut « inscrire de plus en plus de cultures européennes dans la tête de chacun. »« Nous sommes l’Europe. Mais l’Europe est-elle en nous ? » Vaste question qu’il vaut mieux aborder, comme le fait cet intellectuel amusé, avec jubilation. Pourtant, derrière le rire se cache toujours un peu de mélancolie. Dans L’Européenne, c’est une grand-mère juive mourante qui glace les jeunes, stoppe la frénésie : sur son brancard, cheveux blanc et chemise de nuit, elle incarne la vieille Europe en réanimation. Une manière pour l’auteur de planter ses propres racines polonaises dans le spectacle et de penser à tous ceux qui, comme elle, ont « traversé les sombres ghettos de l’histoire »… « La vérité des sensations et des souvenirs ne devait rien céder à la justesse historique…», conclut-il. L’utopie se poursuit.
L’Européenne est programmée à Bordeaux du 11 au 14 novembre 2009, à Nantes du 23 au 25 mars 2010, à Blois le 20 avril 2010 et à Limoge le 27 et 29 avril 2010.