Daniel Riot : « L’Europe, cette emmerdeuse ! »
Published on
Il se définissait comme un enquiquineur. Tombé dans la marmite européenne quand il était petit, il distillait ses piques aux politiques mais aussi aux journalistes. Et imposait le débat européen là où on ne l’attend pas d'habitude. Daniel Riot est décédé le 28 février dernier. Cafebabel.com lui rend hommage.
Attablé à la cafétéria des journalistes du Parlement européen, Daniel Riot parle de son Europe. Celle qu’il a vu grandir et qu’il aimerait transmettre aux générations à venir. Une Europe généreuse, attaché aux droits de l’homme et au respect entre les peuples. « Je ne suis pas un nationaliste de l’Union européenne ! », aime à répéter cet ancien journaliste, éternel défenseur de la cause européenne.
La paix, c’est magnifique mais pas irréversible. Elle doit être consolidée en permanence »
Pour comprendre un tel attachement à l’Europe, il faut remonter très tôt : « Je suis tombé dans la marmite européenne très vite et très jeune, raconte-t-il. Gamin, j’étais obsédé par une photo en noir et blanc, toute jaunie, et deux médailles. C’était mon grand père, que je n’ai jamais connu car il est mort la veille de l’armistice de la guerre de 14-18. Je me suis toujours demandé pourquoi ce paysan de Franche Comté est allé se faire tuer comme tant d’autres par des paysans allemands de l’autre côté de la frontière. »
L’Europe contre la guerre
Depuis, l’Europe ne l’a jamais quitté. Ouvert à ce bouillon de cultures à travers le prisme de la guerre, Daniel Riot a grandi avec la conviction que la construction communautaire était source de paix : « Petit à petit, je me suis rendu compte que cette cause était la seule que je pouvais défendre en tant que citoyen. La plus belle aventure politique qu’un jeune Européen puisse vivre. Je n’ai jamais compris le concept de frontières. »
Mais même avec des convictions profondément ancrées, il faut rester vigilant : « La paix, c’est magnifique mais pas irréversible. Elle doit être consolidée en permanence », poursuit Daniel Riot, pour qui l’Europe représente une garantie de préserver un idéal de paix. « Elle nous empêche de faire du jogging autour de notre nombril, d’être comme l’escargot dans sa coquille. » Et justement, il s’agit de ne pas se limiter à la seule Union européenne : « Je parle de plus en plus d’Eurosphère, décrit Daniel Riot. C’est l’Europe culturelle, l’Europe du Conseil de l’Europe d’abord, c’est l’Europe de l’Union méditerranéenne ensuite, qui repose sur des valeurs comme les droits de l’homme et qui utilise la démocratie comme échelle de valeur et plus seulement comme le choix des élites. »
L’Europe à travers les médias
Daniel Riot regrette le peu d’intérêt des médias nationaux pour les questions européennes. Avec un brin de nostalgie, il se souvient des efforts entrepris pour imposer l’Europe dans le monde médiatique : « J’ai dirigé la rédaction européenne de France 3 pendant dix ans. Je me suis bagarré comme un fou pour européaniser davantage les programmes et pour instaurer de vrais magazines européens. Aujourd’hui, c’est un constat d’échec ! En France, les journalistes ne sont plus formés mais formatés. Et l’Europe est exclue de ce formatage ! »
Avant cela, il avait été rédacteur en chef et éditorialiste pour le principal journal de la région les Dernières nouvelles d’Alsace, avec toujours cette volonté d’insuffler une dimension internationale à l’information : « J’ai crée en 1970 une page Europe dans le journal. Tous les jours, nous recevions des nouvelles de nos correspondants postés dans toutes les villes d’Europe, pour savoir ce qui se passait chez nos voisins. L’Europe ce n’est pas seulement Bruxelles ! »
Coup de gueule contres les politiciens
Dans ce climat médiatique frileux, les politiciens sont les premiers coupables : « Ce sont les Etats et les responsables politiques qui depuis le début se méfient de l’Europe parce qu’elle empiète sur leur pouvoir. Ce qu’ils font de bien avec l’Europe c’est grâce à eux, ce qu’ils ne peuvent pas faire, c’est à cause de l’Europe », fustige Daniel Riot. L’Europe sert trop souvent de bouc-émissaire : « Quand on parle du budget communautaire et qu’on considère que c’est une charge alors que c’est un investissement, c’est scandaleux ! Quand on confond Europe et Union européenne en permanence, c’est scandaleux ! Quand on parle des eurocrates alors qu’il y a moins de fonctionnaires européens que de fonctionnaires dans une ville comme Paris ou Lyon, c’est énorme ! »
« Dès que j’ai vu que les blogs fleurissaient sur Internet, j’ai créé le mien »
Pour Daniel Riot, il y a dans le monde politique français un vrai problème d’ « incompétence démocratique », qui s’est notamment exprimé lors des élections municipales de mars dernier. Il y avait un trop grand nombre de « candidats aux municipales qui ne raisonnent pas dans une dimension européenne ! », observe-t-il. Car elle permet la comparaison et l’échange de bonnes pratiques : « L’ouverture européenne est indispensable ».
Une retraite sur Internet
Daniel Riot a encore des choses à dire, et il ne va pas s’en priver. Après avoir parcouru le vieux continent dans ses moindres recoins, le jeune retraité veut continuer à parler d’Europe. « Dès que j’ai vu que les blogs fleurissaient sur Internet, j’ai créé le mien. » Avec Relatio, il a donc sauté dans le grand bain de la blogosphère en 2004. Le nom du blog, tiré d’un journal publié en 1605 à Strasbourg (« trente ans avant la Gazette de Renaudot ! »), se veut clin d’œil historique. Relatio première version, était un journal crée par Johann Carolus, imprimeur dans la capitale alsacienne. Il recevait des nouvelles de Londres, d’Italie, d’Allemagne et écrivait « un vrai journal européen ».
Son objectif : constituer un véritable « outil d’information » unique qui doit « pallier les carences d’une presse en crise. L’eurosphère sur Internet, c’est une complémentarité ! » Avec Relatio, « le but est de faire un vrai journal en ligne avec un côté news sur le web et un maximum d’informations sur l’Europe en général, et pas seulement l’Union européenne, tout en incluant des analyses plus approfondies. C’est une démarche active. J’aimerais perpétuer le journalisme créatif avec un ton personnel que je tiens à garder. » Trans-politique, tran-générationnel et trans-disciplinaire… Relatio ou une « bûche dans ce grand foyer de l’information européenne ».