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Croatie : le passé au banc des accusés

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Pour la première fois, les pourparlers d’adhésion d’un Etat à l’Union européenne ont été reportés. La bonne volonté de la Croatie à collaborer avec le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie en serait la cause.

Le cas de la Croatie et « l’affaire Gotovina » l’illustrent : les relations de l’Union européenne avec les pays tiers restent en grande partie à définir, en particulier en ce qui concerne la zone des Balkans.

Elève modèle

Les dirigeants européens n’ont pas manqué d’encourager les efforts fournis par la Croatie, petit pays des Balkans. Lors d’une visite officielle à Zagreb, Chris Patten, alors Commissaire européen en charge aux Affaires extérieures, qualifiait lui-même la Croatie de « candidat exemplaire », capable d’influencer ses voisins des Balkans sur la voie de l’intégration. Il est vrai que la Croatie s’est refait une véritable santé, essentiellement grâce au tourisme, après le dramatique épisode de guerre des années 1990. Son PIB dépasse celui de la Roumanie et de la Bulgarie, censés entrer dans l’Union en 2007, mais aussi celui de certains Etats membres tels que la Lituanie et la Lettonie. Evidemment, les critères économiques ne sont pas les seuls qui comptent pour adhérer à l’Union, et l’Europe se targue de faire respecter des valeurs démocratiques et élémentaires des Droits de l’Homme.

Pourparlers à la trappe

La relativement bonne coopération de la Croatie avec le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a d’ailleurs accéléré l’accès du pays au statut de candidat. Pourtant le nouveau gouvernement d’Ivo Sanader, élu en novembre 2003, reçoit actuellement des pressions énormes de la part Carla Del Ponte du TPIY, à propos du dossier d’un ancien criminel de guerre, le Général Ante Gotovina, accusé d’assassinat et de déportation de plus de 200.000 Serbes. Ces pressions ont été jusqu'à reporter l’ouverture des négociations d’adhésion, normalement prévues pour le 17 mars 2005, sans fixer de nouvelle date.

Gotovina, toujours en fuite, aura certainement à répondre de ses crimes devant le tribunal. Mais comment interpréter cette obstination européenne pour l’arrestation d’un seul homme, aussi coupable soit-il, quand les droits fondamentaux sont en cause dans d’autres pays candidats ? La présidence luxembourgeoise a exigé des avancées sur le dossier afin de prendre une décision sur l’engagement des pourparlers en vue d’une éventuelle adhésion en 2007. De plus, la responsabilité du gouvernement croate dans la non arrestation du général Gotovina reste à prouver. Par ailleurs l’Union elle-même reconnaît les efforts démocratiques, politiques et économiques qu’a fourni la Croatie pour s’aligner sur l’acquis communautaire, condition primordiale aux négociations.

Les fantômes de la guerre

Suite au chaos provoqué par la guerre en Yougoslavie, les Balkans sont loin d’avoir retrouvé une stabilité sereine et durable. L’Union européenne en a conscience et a entamé un processus de stabilisation et d’association dans cette région instable.

Les relations entre la Croatie et la Slovénie, membre de l’Union depuis mai 2004, sont par ailleurs des plus tendues, les deux pays se disputant encore la délimitation d’une frontière maritime.

La Slovénie, premier pays de l’ancienne fédération yougoslave à avoir rejoint l’Union européenne, est sortie relativement préservée de la guerre. Pourtant, le pays est en désaccord aujourd’hui avec son voisin croate, en particulier sur le problème d’accès à la mer Adriatique. Le président Mésic défend avec insistance l’idée d’une zone appartenant exclusivement à la Croatie, et s’oppose en cela à la position slovène, appuyée par l’Italie. Dans le cadre d'une intégration européenne, le gouvernement slovène, en tant que membre de l'Union, n’a cependant pas intérêt à jouer sur une quelconque supériorité auprès de son frère historique croate, simple candidat à l'adhésion

La « pleine coopération » avec le TPIY reste le critère déterminant pour entamer les négociations d’adhésion de la Croatie. Les décisions seront d’autant plus significatives qu’elles vont s’effectuer dans un contexte très incertain. Les forces de l’OTAN vont progressivement retirer leurs troupes encore présentes dans les Balkans, laissant sans doute derrière eux une situation loin d’être réglée. Mentionnant la frontière slovène, l’écrivain croate Predrag Matvejevic s’interrogeait si « un mur, une porte ou encore un pont ou un bastion [allait] s’ériger en face des voisins avec lesquels on a partagé toute une histoire ». En effet, peut-être que l'Union éprouverait quelques difficultés à mener à bien sa politique d'intégration avec les Balkans ?