Crise migratoire : le Grand Détournement
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Julien RochardLes citoyens hébergent des réfugiés, les associations voient leurs dépenses augmenter et les bénévoles apportent de l'aide dans les camps d'accueil - les Allemands sont sur tous les fronts. Toutefois, certaines entreprises sont également présentes sur la « scène de la compassion », mais dans quel but ? Pure philanthropie ou intérêts commerciaux ? Bref, à qui profite véritablement la crise ?
La crise migratoire est omniprésente dans notre quotidien. Que ce soit à la télé, dans les journaux ou sur les réseaux sociaux. De nombreuses entreprises ont pris la décision de venir en aide aux réfugiés, de leur arrivée dans le camp d'accueil jusqu'à leur autonomie dans la vie professionnelle. La maison d'édition Langenscheidt soutient les réfugiés et les bénévoles face à un problème élémentaire : la communication. Depuis fin août, l'entreprise met gratuitement en ligne son dictionnaire d'arabe. « Ces derniers mois, nous avons eu beaucoup de questions de la part d'associations pour les migrants ainsi que d'initiatives privées », explique Eckard Zimmermann, directeur du département Digital Business. L'apprentissage de l'allemand est primordial dans l'intégration. « Langenscheidt aimerait d'ores et déjà faciliter cette communication. » Pas de livre, mais une application digitale. « La confiance et le contact commenceraient par les premiers mots. »
L'esprit frais de Fisherman's Friend
L'effervescence est venue des réseaux sociaux, qui jouent un rôle important pour les réfugiés et ceux qui apportent leur aide. « Pour les migrants, le smartphone est une porte sur le monde. C'est fascinant de voir, à quelle vitesse les nouvelles se propagent, également en ce qui concerne notre action », constate Zimmermann. Selon la maison d'édition, il est important d'aider les réfugiés non seulement d'un point de vue financier, mais aussi de les soutenir par un contact direct : « À travers l'engagement personnel, ils apprennent qu'ils sont les bienvenus et prennent confiance ». Dans les semaines et mois à venir, la maison d'édition va se pencher sur d'autres versions linguistiques et développer une applicaton digitale à nouveau gratuite qui traduira des phrases entières en arabe ou en allemand. Langenscheidt a identifié les problèmes et réagi à l'agitation des réseaux. La maison d'édition offre gratuitement ses services. On ne peut pas parler ici de bénéfice de la crise.
D'autres entreprises n'aident pas directement sur le fond, mais utilisent davantage les slogans. La marque Fisherman’s Friend a publié le 27 août une image sur ses comptes Facebook et Twitter. Celle-ci représente une pile de paquets colorés. À la place de l'étiquette du goût, on peut y lire « Tolérance – plus de diversité pour l'Allemagne ». Dans son commentaire, l'entreprise verse directement dans la provocation : « Hey Heidenau et Co, exclusivement pour vous : Notre toute dernière variété. Vous devriez l'essayer. » Jusqu'ici, le slogan a fait l'objet de 64 000 likes et a été retwitté 1 300 fois. De ce fait, la société peut indirectement se faire bien voir, mais là aussi chez Fisherman's Friend, c'est le message qui est mis en avant et non le profit .
Cette démarche n'est pas naturelle. Beaucoup d'entreprises se servent de cette crise à des fins économiques, explique Stephan Lessenich, professeur de sociologie à l'université Louis-Maximilien de Munich : « Nous vivons dans une économie qui encourage les acteurs financiers à commercialiser tous les besoins sociaux possibles. Si le discours rhétorique et symbolique des entreprises à l'égard des réfugiés s'avérait opportun, ces dernières sauteraient à coup sûr dans le train de l'immigration », affirme le sociologue.
Les produits « Refugees Welcome » sont actuellement très lucratifs. Depuis mai, les mots « Refugees welcome shirt » tapés sur Google ont grimpé en flèche. Rien que pour les mois d'août et de septembre, les demandes ont doublé. De nombreux petits fournisseurs proposent par exemple leurs produits sur Amazon, dont les T-shirts pour réfugiés. Le vendeur par correspondance demande une taxe de 15% par rapport au prix de la vente, afin que les fournisseurs puissent vendre leurs produits. Grâce à cela, Amazon est gagnant vis à vis des produits issus de la campagne « Welcome Refugees ». Cependant, même si les fournisseurs proposent leurs T-shirts dans leurs propres commerces et non sur Amazon, ce n'est pas certain que les réfugiés en tirent profit. Le problème : on ne sait pas quelle somme d'argent est investie dans la production, et quelle somme est reversée aux migrants.
Certaines enseignes tentent de remédier au problème avec transparence. Le fournisseur en ligne DirAction est un petit magasin, qui offre essentiellement des produits avec des motifs antifascistes. « Dressed to misbehave », annonce son slogan. Sur la page d'accueil du magasin, les clients découvrent les soi-disant actions de solidarité. Un T-shirt « Refugees welcome » coûte ici 14 euros. On nous explique que cinq euros sont reversés à « Lampedusa Hamburg ». Il s'agit d'une association de protestation de 300 réfugiés, qui se battent depuis 2013 pour un droit d'asile durable.
À Hambourg, un collectif de 15 entreprises et labels a également été créé avec pour objectif de venir en aide aux réfugiés. Il se font appeler Moin Moin Refugees et ont travaillé en collaboration, afin d'organiser un grand évènement. Le 20 octobre, un festival présent dans six clubs se tiendra à Hambourg. Selon le projet actuel, le programme définitif est toujours en cours. « En ce qui concerne un sujet si important et si présent, il nous est venu à l'idée de mobiliser autant de gens que possible », écrit le collectif sur Facebook. La recette totale des entrées, des boissons et de la nourriture doit être utilisée pour les besoins les plus urgents des réfugiés. Les entreprises travaillent en collaboration avec « Menschhamburg », une association caritative, laquelle coordonne les dons en nature et d'argent pour les migrants à Hambourg. L'entrée coûte 11,70 euros sur la boutique en ligne, dix euros sont reversés directement à l'association. Jusqu'ici, 23 000 personnes ont annoncé sur Facebook qu'elles viendraient au festival. « Naturellement, à la fin, il ne doit rien rester pour nous, cela va de soi », déclare le collectif. Pas de profit pour les entreprises et une grande fête pour tout Hambourg, dans le but d'aider autant de réfugiés que possible.
Le bide du Bild
« Le fait que les initiatives des entreprises aient du succès auprès des gens dépend assurément de l'intelligence, de la créativité et de la force de persuasion de l'action », explique Stefan Lessenich. Dès lors, l'aide apportée aux migrants peut se révéler illusoire. Le journal Bild en est l'exemple. Le tabloïd a lancé un projet intitulé « Nous venons en aide » et a réussi à persuader des politiciens haut placés tels que Sigmar Gabriel (ministre de l'Économie, ndlr) à poser avec le logo officiel. L'objectif de cette manoeuvre est de faire un rapport sur les actions humanitaires et de récolter des dons. À la mi-septembre, Bild a convenu avec l'ensemble des 36 équipes de football allemand que celles-ci portent pendant leurs matches, le logo « Nous venons en aide » sur leur maillot. Une action de solidarité d'une grande portée avec la signature du journal. Le FC St. Pauli a refusé de prendre part au mouvement et s'est octroyé les foudres de Kai Diekmann, le rédacteur en chef de Bild, proche des partis de droite. Pour d'autres associations, cela est allé trop loin. Elles ont soutenu le club. Neuf autres équipes ont refusé de porter le logo. L'évènement a fait toute une histoire et n'a permis en aucun cas de venir en aide aux réfugiés.
Le journal s'est vu reprocher d'utiliser pour son image une juste éthique pour les réfugiés dans la société. Toutefois, Bild avait évoqué quelques mois auparavant un « assaut de demandeurs d'asile ». « On peut présupposer que l'engagement de la société civile est plus durable et davantage fiable que les marques de sympathie des entreprises commerciales », affime le professeur Lessenich. « À la moindre occasion, ces dernières changeront leurs fusils d'épaule si cela semble en valoir la peine, à vrai dire, pour leur propre compte. »
Translated from Profiteure der Krise: Wer verdient an den Flüchtlingen?