Crise financière : 'L'intervention de la BCE peut alimenter le risque'
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Nicolas Véron, chercheur au Bruegel, un think tank basé à Bruxelles, passe en revue les facteurs de l'actuelle crise financière mondiale.
Le mois d'août 2007 a vu l'éclatement d'une crise sur le marché du crédit immobilier américain, liée au financement de crédits risqués accordés à des ménages à faibles revenus. Après une chute de la Bourse et des suppressions d'emploi, la Réserve Fédérale Américaine (FEd) est intervenue avec une injection considérable de liquidités sur le marché. Pour éviter l'écroulement de leurs marchés de valeurs, la Banque centrale européenne (BCE), ainsi que celles du Canada, du Japon et de la Suisse ont fait de même.
Comment expliquez-vous la 'crise' économique actuelle ? Quels sont ses liens avec les emprunts immobiliers américains ?
Le point de départ est une révélation publique. Certains emprunts immobiliers ont été accordés aux Etats-Unis à des conditions trop favorables. On a appris que la probabilité qu'ils soient remboursés était plus faible que l'on croyait. Or, les marchés actuels permettent de plus en plus le transfert des risques entre différents acteurs. Ainsi, les institutions qui gèrent les risques liés au marché immobilier américain peuvent être très différentes de celles qui sont en prise directe avec les emprunteurs. La banque allemande 'IKB' a par exemple essuyé de lourdes pertes sur ces emprunts alors que son implantation aux Etats-Unis est minimale.
Que pensez vous de l'intervention de la banque centrale européenne (BCE), qui a injecté plus de 150 milliards d'euros sur les marchés bancaires ces derniers jours ?
Il est encore un peu tôt pour se prononcer. La BCE a jugé utile d'intervenir massivement, sur la base de l'information dont elle disposait. Si elle ne l'avait pas fait, la crise aurait pu avoir de plus graves conséquences. On ne le saura cependant jamais avec précision. Mais cette intervention comporte également des risques dans la mesure où elle peut augmenter ce que les financiers appellent le "hasard moral", le fait que les acteurs du marché finissent par compter sur l'intervention publique comme une quasi-certitude, ce qui peut les amener à prendre plus de risques que de raison. Les prochains mois permettront sans doute de mieux juger l'intervention de la BCE du 9 août.
Quels vont être selon vous les symptômes de la contagion en Europe de la crise américaine?
Là encore, il est trop tôt pour répondre. Il est probable que les grandes opérations de rachat d'entreprises par des fonds d'investissement, dans lesquelles la dette financière atteint des niveaux très élevés, deviendront un peu moins fréquentes du fait des turbulences actuelles. Mais il n'est pas encore sûr que ces problèmes se traduisent par un accès plus difficile au crédit pour l'ensemble des entreprises, comme certains le craignent.
Quelles sont les mesures à prendre pour résoudre la crise des deux côtés de l'Atlantique ?
Les banquiers disposent de plus d'informations que vous ou moi pour répondre à cette question, et il n'est pas sûr qu'eux-mêmes soient bien sûrs de la réponse ! Ces situations de marché sont très complexes. Il faut éviter l'erreur qui consiste à les approcher avec des slogans simplistes comme 'il faut baisser les taux' ou 'il faut réguler les agences de notation [financières]'. En fait, il s'agit de phénomènes assez délicats de modification des conditions de la confiance collective. Les enjeux de crédibilité sont ici cruciaux. Comme à la guerre, ce qui marche aujourd'hui ne marchera peut-être pas demain, et réciproquement.
En qualifiant de 'crise' un événement qui s'apparente tout au plus à une crise de confiance, et en l'alimentant, pensez-vous que les médias ont influencé le cours des événements ?
Les médias jouent leur rôle d'information. Plus ils fournissent des explications complètes rapidement, plus les risques de crise sont limités. La liberté de la presse est une des conditions essentielles au bon fonctionnement des marchés financiers - en temps de crise comme en temps normal. Si en ce moment les médias disaient que tout va pour le mieux, personne ne les croirait et les problèmes sur les marchés risqueraient d'être encore plus graves.