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Crise et désir – Article de notre correspondante Ingrid Bartolo

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Le Puy de Babel

« Un être vaut ce que valent ses désirs. »

Lequel d’entre nous n’a jamais entendu ou fait sienne cette phrase ! Que serait un être dénué de désir, lui qui stimule et fait vivre ? Selon Freud, l’être humain est habité par deux désirs fondamentaux : le désir sexuel et le désir d’être reconnu. Le philosophe John Dewey vient corroborer ce dire lorsqu’il affirme que le mobile le plus puissant de la nature humaine est « le désir d’être important »...

Cette phrase est lourde de sens et tellement vraie !

Qui ne l’a jamais vérifié ? Que ce soit aux yeux de nos parents lorsque nous n’étions que des enfants ou à ceux de nos professeurs (même si certains d’entre nous adoraient les exaspérer…) ou encore à ceux de nos amis, des êtres que nous aimons, le plus important c’est bien que nous soyons reconnus pour nous-mêmes. L’immense écrivain britannique William James en parle comme d’une « soif ».

Aussi impérieuse et inextinguible que celle de satisfaire nos besoins élémentaires. En somme, nous demandons et désirons peu mais ce n’est pas négociable : la santé et la conservation de la vie, la nourriture, le sommeil, l’argent et les biens qu’il procurent, la survivance future, la satisfaction sexuelle, le bonheur de nos enfants et le sentiment de notre importance.

L’effort de chaque être humain, celui qui le meut en profondeur, consiste en la maîtrise de sa vie ; dans la Grèce antique, cet effort prenait la forme de la réflexion philosophique et politique. Elle portait sur la liberté des individus dans le choix singulier qu’ils font de leur vie (cf. La République de Platon). L’idée de la responsabilité individuelle est posée par Platon ; liberté et bonheur sont alors liés car c’est la liberté du choix de vie de chacun qui va lui permettre, ou non, d’atteindre le bonheur.

L’enjeu est de taille ! L’être humain est libre de poser des choix, en fonction de ses désirs, mais hélas il n’en maîtrise pas toutes les conséquences, liées pour leur part à l’arbitraire de la Nécessité… mais ça c’est une autre histoire. Concentrons-nous plus précisément sur le Désir dans nos rapports avec nos semblables. Face à l’autre, j’ai conscience de moi-même en tant que conscience et réflexivité et je saisis l’autre comme moi-même, c’est-à-dire également en tant que conscience réflexive, animée d’une intentionnalité, d’un mouvement actif orienté vers l’autre et habité par sa perception, par sa pensée et d’une façon générale par le Désir de l’autre.

Le Désir est réflexivité, il est intelligent et pose des significations et parce qu’il peut poser des significations, il est une libre spontanéité. L’affectivité est une libre constitution des désirs. Elle se pose toujours par rapport à autre que soi. Le sujet, comme Désir, constitue l’autre comme celui qui est porteur d’une valeur, d’une signification, d’un attrait, d’une promesse ; et le sujet s’attache, après avoir posé l’autre comme source de satisfaction et de plénitude pour lui.

Dans le cas des relations humaines et de l’affectivité, la constitution de la valeur de l’autre et la reconnaissance posent la désirabilité en l’autre du même désir que celui qui anime le sujet. Celui-ci ne pose l’autre comme indispensable à son sens et à sa vie que parce que l’autre, compte-tenu de toute la valeur qui lui est attribuée et reconnue, est désiré en tant que capable de la même conscience et du même désir. Poser l’autre comme indispensable pour nous c’est désirer en même temps que l’autre nous pose comme indispensable. Le Désir est désir de l’autre et en même temps désir du désir de l’autre. Ce sont des affectivités qui librement se reconnaissent et se désirent.

Il n’y a là nul drame et nulle impossibilité, c’est le processus naturel et spontané de nos relations aux autres. La réciprocité est riche et significative car elle exprime les structures mêmes de la conscience en tant qu’elle est désir, réflexivité. Elle est réelle, féconde et créatrice mais plus encore, elle est féconde. Libre spontanéité des sujets qui décident ensemble de constituer l’autre comme participant essentiellement au fondement de soi et qui éprouvent dans cette fondation réciproque la satisfaction d’un Désir comblé.

La passion n’est pas moins libre que l’affectivité ou le désir. Ils disent tous, à des niveaux différents de réflexion et d’intensité, les choix et les attitudes concrètes par lesquels s’exprime la vie des Désirs. Quand la passion est réciproque, elle est aussi libre et heureuse que le Désir qu’elle exprime.

Si un être vaut ce que valent ses désirs, l’infini s’ouvre et avec lui la grandeur ou la décadence. Dans le contexte actuel de crise, où non seulement les modèles économiques et leurs processus sont remis en question mais où également c’est la manière d’envisager les personnes qui demande à être revue, une opportunité exceptionnelle s’offre à nous pour relever tous les défis. Chacun à notre place et selon nos Désirs, nous pouvons apporter notre pierre au formidable édifice !