Crèpes avec Johnny Depp : chandeleur à Shangaï
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Philippe-Alexandre SaulnierAvec leur « Faguo-mobile », trois jeunes étudiants français en architecture, déclenchent une gentille petite révolution culinaire et culturelle à Shanghai et dans son vaste arrière-pays virtuel.
Vêtus de maillots de marins rayés bleu et blanc à la manière de Jean-Paul Gauthier et coiffés de bérets basques rouges, les deux jeunes Français qui se tiennent derrière leur stand ambulant de crêpes à emporter ont vraiment belle allure. Pour eux, on peut dire que les affaires marchent bien. Leurs crêpes partent comme des petits pains. En l'espace de deux heures, tout a été vendu. Tout irait donc pour le mieux, si il n’y avait un sujet qui fâche : la concurrence ! En effet, nous nous trouvons ici à Shanghai et dans cette mégalopole de 20 millions d'habitants, les vendeurs ambulants abondent. De jour comme de nuit, acheter de quoi se nourrir dans la rue ne pose aucun problème. Mais, à côté des innombrables snacks chinois traditionnels composés la plupart du temps d'aubergines, de viande et de poisson, un délicieux nuage de vapeur parfumée s'élève autour du restaurant motorisé que nos trois jeunes Français ont baptisé : « Faguo-mobile ».
En mandarin, Faguo désigne la France ce qui se traduit approximativement par « Pays de la Loi ». L'idée leur est venue fin mai alors que Julien (23ans) et ses amis se trouvaient comme d'ordinaire au Facto (leur département de travail à l'Université Tongji de Shangaï où ils étudient). Il faut bien avouer qu'entre les studieux projets et les corvées domestiques, l'occasion de se rassasier correctement se fait souvent rare. Et, quand ils sortent sur le pas de la porte afin de se rafraîchir un peu les neurones, c'est à peine s'ils prennent le temps de s'alimenter nerveusement en se servant chez les marchands ambulants qui s'installent le soir venu à l'entrée de l'Université. Un beau jour, las de cette sustentation dans l'urgence, « de facto » au Facto, l'idée de faire la même chose en changeant les choses germa.
« En fait, ce que nous voulions, c'est juste un peu de fun » constate Julien en riant devant le succès inattendu de l'opération. Après avoir recherché dans le fin fond des banlieues de Shanghai le véhicule utilitaire adapté à la situation et apporté les quelques améliorations techniques nécessaires, la « Crêpe-Batmobile » de leurs rêves, avec compartiment frigorifique intégré, réchaud à gaz et plans de travail, était enfin prêt. Il ne manquait même pas une poêle. Aussi vite servie qu'entre les murs de l'Université, la première crêpe chinoise ne se différenciait en rien de son modèle français, excepté peut-être les saveurs locales. Ça vous tente ? Alors, goûtez-la !
En l'espace de quelques minutes, les camarades chinois et ceux des quatre coins du monde se pressent autour de nos cordons bleus estudiantins. Inauguration oblige : on aura pris soin initialement de sabrer le champagne ! Désormais, pendant que Benoit braise, Julien tartine vigoureusement les crêpes de sauce à la mangue. De son côté, Jeanne dont la maîtrise du chinois excède les deux syllabes du mot Shanghai s'entretient avec les consommateurs du cru et d'autres badauds qui s'arrêtent émoustillés par la curiosité. L'échoppe des trois Français émerveillent les autres vendeurs ambulants. Au prix de 4 Yuans (42 cents d'euros), cet en-cas d'un genre nouveau marque le début d'une petite réussite à la française dont la réputation se répand dans la nuit comme une traînée de poudre. En particulier, parmi les 160 millions d'internautes naviguant sur le réseau RenRen avec lesquels se croisent les usagers francophones de Facebook. Des sites chinois tels que Shanghaidaily commente aussi l'évènement. « Pas toujours très correctement » comme le constate Anika, originaire d'Allemagne. Car, aujourd'hui les nouvelles vont vite. Vers 20 heures 30, un Chinois tendu met en garde nos trois cuistots contre les Chengguan, et les prévient qu'ils risquent de s'attirer quelques ennuis avec la police locale. A Shanghai, la vente de nourriture dans les rues est officiellement considérée comme illégale. Cependant, elle reste plus ou moins tolérée. « Nous allons tout simplement remballer vite fait et suivre les autres marchands au coin de la prochaine rue » nous expliquent les trois étudiants en archi.
Que des Français se consacrent à des activités culinaires tout en poursuivant leurs études ne relève assurément pas du hasard. La cuisine française déjà si célèbre ne vient-elle pas d'être classée patrimoine mondial de l'Unesco ? Une fourgonnette équipée vendant à bon marché des produits frais à l'heure de la globalisation constitue donc une gageure appréciable. Selon eux, très humblement, chaque nationalité peut aussi marquer des points en proposant des collations locales aux saveurs exotiques. Pour le reste, le petit plus « à la française », la pointe d’accent de Julien lui a valu une ressemblance avec Johnny Depp dans la presse locale. Ce qui ne risque en aucun cas de porter préjudice à leur fructueux et savoureux négoce. Et, si le rayon d'action de la « Faguo-mobile » n'est encore que local, ses crêpes ont tout de même laissé s'enfuir virtuellement leurs senteurs entre les mailles de la Toile.
Photos: Mit freundlicher Genhemigung von ©Julien Hones/ Anika Kloss/ Jeanne Crayssac
Translated from Faguomobil: Crêpes von Johnny Depp in Shanghai