Conciliabules: L'art, bulle d'air des femmes précaires
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La pauvreté en Europe est de plus en plus féminine. Isolées ou précaires, elles en bavent souvent plus que les hommes. Las. Les femmes précaires de Conciliabules n'ont pas répondu à l'appel d'offre de l'année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale pour se lamenter mais pour parler théâtre, écriture et arts plastiques. Visite chez des femmes précaires et épanouies.
2009. Sylvie Denisse voit passer un appel d'offre publié dans le cadre de l'année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion : « Dans mon entourage, on m'a tout de suite dissuadé d'engager quoique ce soit avec l'Europe, explique la coordinatrice de l'association Conciliabules. C'est trop de bureaucratie pour une petite association ».
Et pourtant elle se jette dans le bain. Petite par la taille et le public concerné, l'association fondée en 1997 porte un projet assez unique en son genre, car « ce n'est pas une mission qui a germé dans la tête d'un fonctionnaire ministériel ; il vient de la base ». La base, ce sont des femmes résidentes et ex-résidentes des Centres d'Hébergement et de Réinsertion Sociale femmes-enfants (CHRS) du Rhône (département du sud-est dont Lyon est le chef-lieu). Sans s'épancher sur les détails de chacun de leur parcours, ces femmes sont toutes dans une situation de pauvreté ou d'exclusion, souvent seules pour élever des enfants, parfois victimes de violences conjugales. Arrêtons-nous là, car Conciliabules est tout sauf un « bureau des pleurs ». À l'origine, ces femmes ont eu la chance d'assister à des ateliers d'art, et, transformées par l'expérience, elles ont absolument tenu à la diffuser dans tous les centres d'hébergement femmes-enfants du Rhône. Implanter leurs créations mi-professionnelles mi-amateurs dans le paysage culturel local et favoriser l'épanouissement des femmes précaires à travers l'art, telles sont les armes que Conciliabules déploie contre la pauvreté et l'exclusion sociale depuis 13 ans.
Valorisation contre victimisation
En cette année déclarée de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, l'Europe ne pouvait pas communiquer sur la pauvreté sans mettre l'accent sur sa féminisation croissante. Les chiffres publiés par le Lobby Européen des Femmes (LEF) laissent peu de place au doute : travail à temps partiel, familles monoparentales, inactivité, inégalités de salaire... Tous ces phénomènes qui sont des trappes à pauvreté touchent en premier lieu les femmes en Europe : « Les femmes se retrouvent parmi tous les groupes à risque de pauvreté et d'exclusion sociale et dans la plupart des cas, elles sont moins bien loties que les hommes », précise le LEF. Loin des lobbyistes, Conciliabules a choisi d'aborder la pauvreté des femmes sous un autre angle d'attaque : « On ne communique pas sur la violence faite aux femmes ni sur la précarité à laquelle elles sont confrontées ; on n'est pas dans la victimisation. Notre revendication, c'est de faire reconnaître la richesse culturelle de ces femmes qui vivent en grande précarité ». Et il y a du boulot ! À l'issue de la présentation du spectacle « Clair de Terre » lors d'un hommage à l'anthropologue lyonnais François Laplantine, l'intéressé déclare: « Je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi bien » ! Et oui, la frontière entre amateurs et professionnels est avant tout dans les esprits.
Amateurs, mais de qualité
Et si c'est « bien » malgré tout ce qu'elles endurent, c'est grâce notamment à la présence d’artistes professionnelles comme Helen Ginier-Gillet, metteure en scène qui accompagne Conciliabules depuis 1997, Martine Caillat, conteuse ou des plasticiennes comme Anne-Marie Naudin ou Katy Ollif qui encadrent les ateliers. Démocratie participative oblige, les projets n’existent que grâce à la motivation personnelle de ces femmes, sur la force qu'elles parviendront à puiser au-delà des (nombreux) tracas quotidiens. Le résultat est là. Quand la pièce « Clair de terre » est montée en 2004, les membres d'une maternité belge tombent sous le charme et invitent les actrices amateurs à se représenter à Ath (Belgique). La précarité est aussi source d’inspiration artistique. L’exposition « Les chaises » a travaillé sur l’idée de faire du beau avec des déchets, « à l'image de ces femmes qui montrent qu'elles aussi, qui ont été "jetées" en quelque sorte, peuvent se transcender et revenir exister "en beauté" sur la scène sociale ».
Subventions : la pesanteur européenne
Vu de l'extérieur, l'année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion est une bénédiction pour Conciliabules. Les 15.000€ promis doivent servir à financer un « livre qui chante » qui récapitulera les treize années de création artistique des femmes vivant dans les 6 centres d'hébergement adhérents, des présentations de l'exposition « Décollages » et du spectacle « Bulles d'Elles » actuellement en création. Mais on est en avril 2010, et, mis à part un courriel, toujours rien. 30% du montant devrait être versé vers le mois de juin, le reste au compte-goutte. Au fond, elle s'y attendait un peu Sylvie. Et si la chargée de production regrette l'hypocrisie qui aboutit à créer une année européenne contre la pauvreté et l'exclusion d'une main, et que « l'on continue à promouvoir des politiques menant à ces formes d'exclusion » de l'autre, elle n'en est pas moins reconnaissante. Car cette initiative « est très bien pour se faire connaître. D'ailleurs, si vous connaissez un éditeur européen dans votre réseauintéressé par les œuvres de Conciliabules ? » Avis aux « amateurs » !
Femmes et pauvreté en Europe: quelques chiffres
- Un tiers des familles monoparentales en Europe, la majorité ayant une femme comme chef de ménage, vit dans la pauvreté.- Tous les groupes d’âge confondus, les femmes subissent plus la pauvreté que les hommes. - Le taux d’emploi des femmes âgées de 55-64 ans est de 36.8%, soit 18.2% de moins que les hommes dans la même catégorie d’âge.
- Depuis mai 2009, le taux de chômage des femmes est pour la première fois inférieur à celui des femmes. Il est de 9,3% pour les femmes et de 9,7% pour les hommes. Mais le taux d’emploi féminin en Europe est de 58,7% contre 71% pour les hommes.
- Les femmes en Europe travaillent quatre fois plus que les hommes à temps partiel. Environ 30% des femmes en âge de travailler et avec des responsabilités familiales sont soient "inactives" ou travaillent à temps partiel. Ce taux atteint 60% en Espagne et en Grèce, et 80% en Lettonie et en Roumanie.
- Dans tous les États membres sauf cinq - Lituanie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Finlande - le nombre de femmes vivant dans un ménage à revenu faible est égal ou supérieur aux hommes.
Sources:Lobby Européen des Femmes,Eurostat
photo: Une ©TACHAS/Flickr; photos de Conciliabules: ©Conciliabules