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Communisme : le grand recyclage

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SociétéPolitique

La nouvelle élite hongroise a récupéré la révolte de 1956 et les symboles du communisme pour justifier le libéralisme.

Dans l’imaginaire collectif, la liquidation du communisme est très souvent associée à la destruction pure et simple de ses symboles et au déni catégorique de ses apports à l’histoire et à l’évolution du pays. La réalité n’est pourtant pas aussi simple. Car s’il a parfois été nécessaire de faire l’apologie de la rupture, il s’est aussi souvent avéré très utile de récupérer certains signes du passé pour installer le libéralisme. C’est peut-être cela qui, d’ailleurs, a permis à certains pays comme la Hongrie ou la Pologne, d’éviter tout affrontement lors des évènements de 1989. Démonstration avec le cas hongrois.

Réformes radicales et continuité politique

S’agissant du processus de transition, le peuple hongrois s’est dans l’ensemble montré plutôt mesuré. A la fois traumatisé par la violence de la répression soviétique durant la révolution de 1956, et apaisé par le régime mis en place par le leader communiste János Kádár dans les années 70, il a systématiquement opté pour le 'changement en douceur'.

A la fin de la décennie 1980, les Hongrois laissent l’élite communiste sortante négocier les conditions du changement de régime et choisit le profil rassurant et 'bon père de famille' du patriarche József Antall lors des premières élections libres. Consciente de ce trait de caractère, et en dépit de réformes parfois radicales, la nouvelle classe dirigeante évite alors de marquer trop brutalement les points de rupture avec le régime d’avant 1989.

De manière plus ou moins accentuée selon son orientation politique, les politiciens vont alors récupèrer habilement certains des symboles du communisme. Une stratégie qui leur permettra, non seulement de stabiliser le pays en le fixant dans une certaine continuité historique mais aussi de justifier leurs choix politiques et idéologiques.

Une exemple concret ? Szabadaság Tér, la place de la Liberté de Budapest, est devenu le symbole de la lutte contre le totalitarisme, alors même que l’Armée Rouge y avait triomphé en 1945, donnant à l’URSS les moyens de l’occupation du pays.

De la même façon, la nouvelle classe politique n'hésite pas à réutiliser le programme progressiste kadarien, -modernisation urbaine, développement des campagnes, encouragement de la mobilité sociale…- en le présentant comme un précédent nécessaire au processus de transition et d’ouverture sur l’Occident.

La stratégie a deux avantages : s’offrir une légitimité susceptible d'être remise en question par une éventuelle ancienne appartenance à l'intelligentsia communiste tout en rassurant une population qui, socialement, commence à souffrir sérieusement des effets du libéralisme. Même le très libéral Premier ministre de 1998 à 2002, Viktor Orbán, s'est inspiré du socialisme pour inventer ses slogans de campagne ('Trois enfants, trois pièces et quatre roues') et mettre en scène sa politique.

Exaltation de nationalisme

Si ce grand recyclage du communisme a longtemps été utilisé en Hongrie, il convient d’être prudent et de ne pas le généraliser outre mesure. Car, importé d’Occident, le libéralisme hongrois doit aussi prendre du corps et exister par lui-même. Pour cela, les moyens utilisés par les partis politiques, chefs de gouvernement et organes de presse ont eu pour objectif de gommer les aspects –trop voyants– du communisme d’hier et d’exalter une certaine forme de nationalisme.

Dans les faits, cette attitude opposée s'est matérialisée dans le retrait de statues, la destruction de monuments emblématiques et la rebaptisation des noms de lieux antérieurement soviétisés. Ceci s’est également traduit par la récupération posthume des motivations estudiantines de la révolte de 1956. Sans oublier l’organisation d’évènements symboliques et de cérémonies hautes en couleurs. Le transfert, pendant l’année du Millenium, de la couronne des rois de Hongrie du musée national au Parlement témoigne de cette volonté de faire table rase du passé. Symbole historique de la chrétienté occidentale et de l’ancrage européen du pays, celle-ci a été alors réutilisée pour tourner définitivement la page du communisme.

Si aujourd’hui le processus de transition institutionnel tant politique qu’économique semble achevé, un mouvement de balancier entre passé et présent perdure. Il a permis un temps de gérer une période troublée en conservant des repères anciens tout en innovant. Revers de la médaille : ce subterfuge politique n’a pas permis de projeter le peuple hongrois dans un véritable projet d’avenir et ce, surtout depuis que l’adhésion à l’Union européenne est effective et, en conséquence, ne constitue plus un objectif à atteindre.

En saisissant la main tendue par Bruxelles, la Hongrie pourrait toutefois se donner les moyens de regarder vers demain car, aux côtés des 24 autres Etats membres, elle doit donner sa pleine mesure et marquer sa place dans le processus de construction en y apportant son expérience de résistance au totalitarisme, ses sensibilités politiques nouvelles et, comme en 1956, sa capacité populaire à générer l’espoir. Affaire à suivre.