Comme un pape en Afrique
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L’arrivée du Pape Benoît XVI au Cameroun mardi 17 mars pour son premier voyage en Afrique qui aura lieu du 17 au 23 mars 2009, suscite d’ores et déjà de vives polémiques quant à ses prises de positions concernant l’usage du préservatif dans un pays contaminé aux deux tiers par le virus du sida.
Un article de Ingrid.
L’Afrique est le continent où vivent près des trois quart des sidéens : 29,4 millions sur les 42 au total. Et depuis 1980, la pandémie a causé la mort de plus de 19 millions d’Africains sur les 25 millions de séropositifs dans le monde. De tels chiffres, rapportés sur un bout de papier, comptabilité macabre, ont de quoi nous effrayer et nous enfoncer un peu plus dans l’angoisse générée par ce fléau.
© AFP | Le pape Benoît XVI, le 21 janvier 2009 au Vatican
Pourquoi le pape a-t-il choisi de se rendre au Cameroun ?
Parce que c’est un pays à la fois anglophone et francophone, un pays charnière à la jonction entre l’Afrique occidentale et orientale et qui a beaucoup travaillé à l’inculturation du message chrétien en Afrique. Un pays qui a son rôle à jouer dans la transmission des messages de paix, de réconciliation, de justice dans un continent abîmé par les conflits civils, les dictatures, la misère. Le pape souhaite conforter ses frères dans la foi, un moyen certes humble mais véritable d’apporter à sa façon un peu de réconfort dans un continent pauvre. Il ne vient pas avec un programme politique et économique, ce n’est pas son domaine de compétences, il espère toutefois que son « programme religieux » apportera une solution essentielle à la crise. Interrogé dans l’avion par les journalistes sur l’efficacité de l’action de l’Église contre le sida, il a affirmé que l’usage du préservatif aggravait les problèmes liés à la transmission du virus du sida, évoquant là moins son efficacité que les problèmes plus profonds posés en amont. Le message de l’Église à ce sujet est clair et n’a pas changé : le véritable préservatif c’est la fidélité dans le mariage, le partenaire unique, la chasteté et l’abstinence. Le Pape a souligné la présence importante de l’Église aujourd’hui auprès des malades du sida en Afrique, mentionnant en particulier le mouvement Sant'Egidio ou encore toutes les « religieuses » qui sont proches des malades. Mais à ses yeux, l’épidémie ne pourra être enrayée que par une « humanisation de la sexualité » et aussi « une présence amicale auprès des malades ». Il a estimé que la solution passait par «un réveil spirituel et humain» et l’ «amitié pour les souffrants». On doute cependant là-bas qu’il apporte un tournant autour du thème du préservatif. Nombreux, sur le terrain, sont les religieux et religieuses qui attendent de l’Église une position officielle qui tienne mieux compte des réalités auxquelles est confrontée la population. L’Église n’est d’ailleurs pas épargnée par le sida : dans certains diocèses, c’est parfois 60 à 70 % du clergé qui est touché.
La polémique dans l’hexagone
Alors que le SIDACTION lance une campagne de récolte de fonds les 20, 21 et 22 mars prochains en France (article sur Le Puy de Babel) les propos du Pape ont eu un effet couperet.
Les acteurs de la scène politique française ont fait entendre leur voix : Éric Chevallier, porte-paroles du ministère des Affaires étrangères a parlé d’un esprit de solidarité et de responsabilité dus à la jeunesse et a rappelé dans un point de presse électronique qu’ « avec l’information, l’éducation et le dépistage, le préservatif est un élément fondamental des actions de prévention de la transmission du virus du sida ».
De son côté, Alain Juppé se réaffirmant catholique et « attaché aux valeurs chrétiennes » a toutefois déploré sur France Culture qu’ « aller dire en Afrique que le préservatif aggrave le danger du sida, c’est d’abord une contre-vérité et c’est inacceptable pour les populations africaines et pour le monde ».
La ministre du logement Christine Boutin qui a toujours démontré son attachement aux valeurs chrétiennes notamment sur la question de l’avortement, a estimé qu’on ne devait pas attendre du Pape qu’il encourage à utiliser le préservatif et que « chacun fait comme il peut et comme il veut » avant d’ajouter que « ce n’est pas drôle de mettre le préservatif quand on fait l’amour ».
Daniel Cohn-Bendit, député européen Vert s’est pour sa part offusqué : « Il y en a assez maintenant de ce pape » dans une émission Question d’information LCP-France Info- AFP diffusée mercredi.
Pour Mgr di Falco, évêque de Gap, le Saint-Père a simplement réaffirmé « l’idéal chrétien » : « Je pense qu’il a voulu dire que ce n’était pas suffisant mais qu’il devait y avoir derrière de l’éducation et de la responsabilisation ». Et d’ajouter que si l’on ne parvient pas à vivre cet « idéal » : « on ne doit être ni criminel, ni suicidaire et on doit utiliser le préservatif ».
La voix de l’Afrique
Béatrice Luminet, une responsable de la prévention de la pandémie de Médecins du monde estime que ces propos sont « gravissimes » dans un continent où vivent deux tiers des personnes séropositives et que ce sont des années de travail remises en cause et surtout des millions de gens qui vont être contaminés à cause de ces déclarations ; et d’ajouter que cela va à l’encontre de l’un des messages principaux de l’Église : le respect de la vie.
Du côté des évêques africains, même point de vue que celui de Rome.
Interrogé par la chaîne KTO et l’agence I.Média, le cardinal archevêque de Dakar, Mgr Théodore-Adrien Sarr, a insisté : « Je demande aux Occidentaux de ne pas nous imposer leur unique et seule façon de voir. Dans des pays comme les nôtres, l’abstinence et la fidélité sont des valeurs qui sont encore vécues. Avec leur promotion, nous contribuons à la prévention contre le sida ». « Nous ne pouvons pas promouvoir l’utilisation du préservatif, a-t-il poursuivi, mais prêcher les valeurs morales qui, pour nous, demeurent valables, afin d’aider nos populations à se prémunir du sida : l’abstinence et la fidélité ».
Dans le même sens, Mgr Simon Ntamwana, archevêque de Gitega au Burundi, a dénoncé « le glissement de pensée » de l’Occident et son « hédonisme sexuel devenu comme un chemin incontournable ». Et de soutenir : « Ce n’est pas le préservatif qui va diminuer le nombre d’infections du sida, mais certainement une discipline que chacun doit s’imposer pour pouvoir changer d’attitude, une attitude qui va l’aider à échapper à un hédonisme qu’il ne peut plus contrôler ».
Un tel discours semble bien décalé par rapport à notre monde actuel où l’heure est plus à l’hédonisme et à la recherche effrénée du plaisir qu’à l’abstinence et à l’attente. Face à l’angoisse suscitée par l’avenir et alors que les jeunes se voient « interdire » en pleine période de crise l’alcool, la musique et l’amour, que peut-il rester ? Quelle attitude adopter ? Consommer ou être consommé ? Zapper ou durer ? La science pose la question du comment, la philosophie celle du pourquoi. Et la clé de la réponse à la manière d’envisager l’amour est intimement liée à la liberté de chacun d’entre nous.