Combien de temps avant le prochain Prestige ?
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Lacunes dans la mise en oeuvre d'une politique européenne en matière d'environnement pourtant riche en normes de tout genre.
Le 13 novembre 2002, dans des conditions météorologiques difficiles et devant la cote de la Galice, au nord ouest de l’Espagne, le pétrolier “Prestige”, portant plus de 77 000 tonnes de fuel a subi un accident. Six jours après, le matin du 19 novembre, le bateau s’est brisé en deux et s’est échoué à plus de 3.500 mètres de profondeur. Dès l’accident, plus de 5 000 mille tonnes de carburant se sont échappées du navire. La marée noire a affecté plus de 1175 kilomètres de la côte de la Galice, région dont l’économie repose en grande partie sur la pêche. Les villageois, caractérisés par un sens de l’humour particulier à cette région, ont commencé à parler de "Galice: Ground Zero".
La Galice, une terre exposée
C'est en effet la plus grande catastrophe écologique de l’histoire de la Galice. Laquelle a déjà subi sept des onze plus graves désastres maritimes qui ont eu lieu en Europe. Au cours des 30 dernières années, les côtes galiciennes ont reçu au total environ 300 000 tonnes de pétrole, soit presque autant que celles déversées partout en Europe. Outre cinq pétroliers, cette communauté autonome a aussi subi l’incident provoqué par le navire Erkowit avec ses pesticides, et celui provoqué par le Cason, qui s’est enflammé alors qu’il transportait des bidons de substances toxiques.
La Galice est particulièrement réputée pour la beauté de ses rías (vallées fluviales envahies par la mer, typiques des côtes galiciennes) et sa biodiversité maritime. Le littoral galicien mettra entre 4 et 5 ans à récupérer. Mais il faudra attendre des lustres avant que la biodiversité des côtes galiciennes soit encore complètement restaurée. Le parc naturel des îles atlantiques (Cíes, Salvora et Ons) a été très touché. Tout le monde a vu les images des oiseaux marins souillés de pétrole, des étoiles de mer noires, des vagues noires déferlant contre les rochers tout aussi noirs, de falaises noires, de sable noir...
Il est difficile de nier l’envergure de la catastrophe écologique, économique et sociale.
Or l’accident du Prestige n’est pas le premier de ce type. En 1967, le Torrey Canyon s'est échoué près des îles Scilly, en Grande-Bretagne, déversant dans la mer près de 120 000 tonnes de brut. La côte de granit rose est souillée par 30.000 tonnes de pétrole. Toute une liste de noms de navires et tonnes de pétrole déversé s'en suivent (Amoco Cadiz, 223 000 tonnes de fuel ; Urquiola, 100 000 tonnes de fuel ; Jakob Maersk, 88 000 tonnes de fuel ; Aegean Sea, 72 000 tonnes de fuel ; Haven, 144 000 tonnes de fuel, etc) jusqu’ á l’Erika, face aux côtes françaises en 1999, c'est-à-dire trois ans à peine avant le Prestige.
Une législation européenne lente à la manoeuvre
La première idée qui nous vient à l’esprit c’est “si seulement on avait appris quelque chose de tous les accidents préalables, cette tragédie ne serait jamais arrivée”. Or l’accident de l’Erika avait donné lieu à deux paquets de réformes européennes. Le premier portait sur les contrôles aux ports, le renforcement des procédures d'inspections des navires et l’accélération du calendrier pour l’élimination des pétroliers monocoques. Le deuxième paquet envisageait des mesures de long terme, telles que l’établissement d’un fond de compensation pour les victimes des marées noires et la création d’une agence de sécurité maritime européenne.
Mais ces mesures ne sont pas encore en vigueur. Et donc pas applicables. Les Etats membres avaient décidé de leur entrée en vigueur pour le mois de juillet prochain. La question n'est pas de dire qu’il faut adopter des mesures draconiennes en matière d'environnement, ni d’avoir des centaines de réglementations. La question est d’en avoir qui soient effectives.
Les hésitations et chamailleries entre l’Espagne et le Portugal ont laissé le Prestige dans les eaux galiciennes trop longtemps, souillant les eaux atlantiques, avant même que le bateau ne se brise en deux et ne commence à couler le matin du 19 novembre. Ainsi, le naufrage du Prestige, a surtout révélé le manque de moyens et de normes prévoyant des mécanismes de coordination permettant de réagir d’une façon rapide et efficace devant ce type de situation. Cela est grave car la catastrophe du Prestige aurait pu être, non pas complètement évitée, mais au moins atténuée. Le surplus d’efficacité apporté par les initiatives et mesures adoptées pas la Communauté dans la protection de l’environnement ne sert à rien si celles-ci ne sont pas effectivement et strictement suivies et appliqués par tous les États Membres.
La législation européenne en matière d’environnement s’est surtout développée, quoique d’une façon éparpillée, en réponse aux négociations internationales et aux traités ainsi qu’à la pression de l’opinion publique et de certains États membres. Il faut noter que chacune des avancées a été déclenchée par de très graves accidents. Il suffit de se souvenir des déversements de matière toxiques dans le Rhin en 1986, de l’accident de Tchernobyl en 1986 ou des 37.000 tonnes de fioul déversées lors de l’accident de l’Erika en 1999.
Réagir maintenant
Le naufrage du Prestige, classé 14ème sur la liste noire des accidents maritimes pétroliers au niveau mondial, se veut un tournant dans le chapitre des mesures de sécurité maritime et de protection de l’environnement. Cette catastrophe a été l’un des rares événements à donner lieu à une réaction instantanée. La nécessité d’une action, ou plutôt réaction, rigoureuse, dans le but de protéger les côtes européennes de ce genre de catastrophes, a été confirmée, et reconnue par la Commission Européenne dans sa communication au Parlement et au Conseil sur l’amélioration des mesures de sécurité maritime.
Aussi longtemps que l'on dépendra du pétrole provenant de terres lointaines, une grande partie de celui-ci sera acheminée par divers moyens. Il est prévu que dans les cinquante prochaines années, plus de 150 000 000 tonnes de pétrole circuleront par mer, et que 70% de ce pétrole passera devant la Galice. D’après une estimation prospective prenant comme référence les statistiques susmentionnées, la côte galicienne subirait encore au moins dix autres catastrophes au cours des 50 prochaines années. La concrétisation de cette statistique ne dépendra pas uniquement des conditions météorologiques.