Cinéma et psychologie : la dépression en toile de fond
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Delphine MalosseDe Black Swan à Melancholia, le grand écran semble se sentir en devoir de mettre les troubles psychologiques au cœur de ses propres histoires. Dépression, troubles de la personnalité, sentiments d’inadaptabilité et tendances suicidaires sont quelques uns des thèmes abordés par les grands réalisateurs contemporains.
Le public et les critiques du monde entier les applaudissent et les récompensent, signe que nous vivons dans une société, condamnée à se tenir dans un équilibre instable entre capitalisme forcené et crise économique, qui a peur de se regarder dans le miroir.
S’il est vrai, comme le souligne Umberto Eco, que chaque auteur a un lecteur modèle en tête lorsqu’il écrit, on pourrait dire qu’aujourd’hui l’archétype du public cinéphile est composé en majorité de pessimistes et de dépressifs. Cinéma et maladies psychologiques forment depuis ces derniers mois un couple vivant et prolifique, si bien qu’il est inévitable de se demander jusqu’à quel point cette tendance représente le miroir de notre société. Les chiffres sont parlants. Selon une récente recherche conduite par le collège européen de Neuropsychopharmacologie, 38,4% des Européens (plus d’un sur trois) souffrent d’une maladie mentale. Un chiffre qui correspond aussi aux résultats enregistrés au niveau mondial et qu’il est nécessaire de prendre en considération.
L’imaginaire « dark » de l’Europe du Nord
Les artistes d’Europe du Nord, traditionnellement considérée (principalement par ceux qui croient en la « météopatie », troubles mentaux qui procèdent des changements climatiques) comme une région à hauts risques de maladies dépressives, ne s’engagent pas vraiment dans la voie du démenti de cette théorie lorsqu’on s’intéresse à leurs œuvres.Si vous n’y croyez pas, essayez d’aller voir l’exposition consacrée au norvégien Edvard Munch, par exemple, avec laquelle le musée Beaubourg de Paris a décidé d’inaugurer la saison. Ou bien regardez simplement ce dessins animé Drivers in the rain réalisé par le multi-récompensé réalisateur estonien Priit Pärn.
Lars von Trier, qui lui est Danois, et qui n’a jamais consacré beaucoup de place dans son travail à la légèreté et à la joie de vivre, a dédié son dernier film Melancholia à la dépression. Un des maux dont il a lui-même déclaré souffrir. La formule est celle d’une histoire de science-fiction : une planète (nommée justement Melancholia) qui aurait dû seulement effleurer la Terre, va lui rentrer dedans et la détruire. Deux sœurs que tout oppose attendent l’Armageddon, vivant l’évènement de manière différente : Claire, une femme qui a construit une vie à l’apparence parfaite avec son mari et son fils, est terriblement épouvantée, tandis que Justine, jeune fille difficile avec des tendances dépressives, qui déteste le monde et a du mal à y trouver sa place, embrasse cette disgrâce avec la sérénité mystique de celle qui n’a plus rien à perdre. L’avantage d’être en dépression est peut-être de ne plus avoir peur de la mort ?
Dépression et société
Décidément plus frais et délicat, malgré le sujet traité, le ton de la comédie canadienne It’s a kind of a funny story, co-réalisé par Anna Boden et Ryan Fleck, ouvre de nouvelles portes. Contrairement à von Trier, pour qui la mélancolie est un mal surnaturel, ontologique, ce film raconte comment les pressions exercées par la société peuvent pousser un garçon de 16 ans à penser au suicide. Le héros, dont la vie semble parfaite, est obsédé par ses résultats scolaires, par les attentes de son père et par la présence de son meilleur ami qui semble meilleur que lui dans tout ce qu’il fait. C’est ainsi qu’il décide de se guérir dans une clinique psychiatrique, dans laquelle, paradoxalement, il trouvera l’amitié et connaîtra l’amour.
En tapant sur Wikipédia « list of films featuring mental illness » (liste de films qui traitent des maladies mentales) vous en trouverez un qui incarne la somme de tous les problèmes existants dans les livres de psychiatrie : il s’agit du dernier film de Darren Aronofsky, Black Swan. Un authentique plongeon dans la folie psychologique qui a valu un Oscar à Natalie Portman. L’héroïne, étouffée par une mère insatisfaite qui la traite encore comme une enfant, a l’opportunité d’obtenir le rôle principal du célèbre ballet Le Lac des cygnes. Le fait de ne pas se sentir à la hauteur dans l’interprétation de la partie du cygne noir (l’alter ego sournois et malin du cygne blanc) et la compétition avec une autre ballerine, vécue de manière pathologique, la feront sombrer dans une spirale d’autodestruction dans laquelle, autant pour elle que pour le spectateur, il devient impossible de distinguer la réalité de son imagination produite par son esprit malade.
Si le fait d’avoir vu ces films vous a rendu curieux et si vous voulez en savoir plus sur la psychanalyse, pas de problèmes. Il suffit de changer de salle. Arrivé tout frais du dernier festival de Venise, le dernier film du réalisateur canadien David Cronenberg (A Dangerous Method), lui aussi expert en déviances et paranoïa (regardez, entre autre, Crash ou Videodrome) qui dans son dernier film a décidé de raconter les rapports turbulents qu’ont vécus Sigmund Freud, (récemment au cœur d’une grande polémique provoquée par le livre du philosophe français Michel OnfrayLe crépuscule d’une idole) son élève Carl Jung et la belle et tourmentée Sabina Spielrein, une des premières femmes à avoir exercé le métier de psychanalyste.
Quand les films influencent la société
Cela devrait être un des devoirs de l’art, en somme, quand il se fait le miroir critique des évolutions de la société, que de mettre en scène ce qui dans un moment historique sensible, épouvante ou séduit son public. Mais cela n’exclut pas que le processus inverse ait lieu. C’est le cas du très acclamé phénomène cinématographique Avatar, le colossal film de James Cameron, qui apparemment, a été la cause de dépression d’une partie de son propre public passionné. Ce sont ces même spectateurs qui ont sonné l’alarme à CNN : après avoir vu le film et ses effets spéciaux révolutionnaires, ils se seraient déclarés incapables de se réadapter à une vie grise et triste. La vraie vie.
Photo : Une © Twentieth Century Fox France ; Vidéos : Drivers in the rain (cc) carteblanche2010/youtube, Melancholia (cc) filmactu.com/youtube, It’s a kind of a funny story (cc) HDtrailerman/youtube, Black Swan (cc) 20thcenturyfoxfrance/youtube, A Dangerous Method (cc) MrKyhou/youtube, Avatar blues (cc) CNN/youtube
Translated from Tra Cameron, von Trier e Natalie Portman: l'era della depressione al cinema