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Christiania : le rejet de la société danoise, hippie c'est tout !

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SociétéStyle de vie

Dans le quartier libre de Christiania, au cœur de Copenhague, quelques centaines d’irréductibles vivent au sein d’une communauté autogérée unique en Europe. Mais, depuis les années 70, l’esprit libertaire et d’ouverture qui fit leur réputation a pris du plomb dans l’aile. Qui sont ces héritiers qui vivent, travaillent ou sortent aujourd’hui à Christiania ?

Faisons un bout de chemin avec Rasmus, Nynne et les autres résistants.

Un vent froid et piquant m’emporte à l’est de Copenhague, pas loin de l’Øresund, le détroit qui relie deux mers (la mer Baltique et la mer du Nord) et celui de Kattegat qui sépare deux peuples : les Danois des Suédois. C’est à quelques encablures que se trouve le quartier de Christiania, à la fois légende du plus grand squat d’Europe et pilier de l’esprit contestataire du début des seventies. À l’époque, les quelques centaines d’anarchistes du coin avaient su passer le pas qui sépare le rêve hippie de la réalité politique en s’autoproclamant ville « libre ». Mais, aujourd’hui, libre de quoi ?

« Bambi au milieu des cannettes en plastique »

J’approche du Green Light District et de « l’artère commerçante » principale de Christiania, plus connue sous le nom de Pusher Street, où la vente et consommation de drogues douces sont autorisées. Je pousse la porte de la Galerie d’Art. Rasmus nous reçoit à côté d’une peinture « Bambi au milieu des cannettes en plastique ». Pour lui, « le multiculturalisme ici n’est pas forcément lié à la mixité ethnique ou religieuse. » Il s’agit plus d’une communauté de personnes au background différent : « riches et pauvres, plus ou moins éduqués, tous se retrouvent mélangés ici dans une société sans hiérarchie ». Le point commun de tous ces gens ? Le rejet de la société danoise. D’ailleurs, les autorités du pays ont de plus en plus de mal à accepter ces citoyens libertaires. L’heure est aux compromis pour les Christianites, contraints de racheter les terrains qu’ils s’étaient appropriés et sur lesquels ils bâtissent depuis quarante ans.

"Eteignez vos caméras !"Tandis que le pays bat des records européens en matière de durcissement des règles de naturalisation et de regroupement, à Christiania, les questions d’immigration et d’intégration semblent moins vivaces qu'au sein du reste de la société danoise. Selon Rasmus, un tiers des habitants sont étrangers ici, la majorité d’entre eux étant allemands. Comme dans le reste du pays, la présence de cette minorité ne date pas d’hier : l’Occupation nazie durant la Seconde guerre mondiale, les frontières mouvantes entre les deux nations au début du XXe siècle ont favorisé des liens de longue date. Si la minorité est aujourd’hui parfaitement intégrée et protégée (contrairement à d’autres comme les Féroïens, les Groenlandais ou les Tsiganes), le Danemark a eu tendance à se méfier de son imposant voisin. En 1973, par exemple, quand le pays rejoint la CEE, des clauses spéciales sont prévues dans les traités pour empêcher les Allemands de pouvoir acquérir des résidences secondaires sur la côte danoise tant convoitée.

Ici, comme ailleurs, il faut postuler !

Tiens, ça tombe bien, Déborah, qui travaille au bureau de poste de Christiania, est Allemande. Arrivée à l'âge de 20 ans, à Copenhague, par curiosité, elle a épousé un journaliste danois très « 2.0. » et n’est jamais repartie. La jeune femme est du même avis que Rasmus : « J’aime Christiania parce que c’est un endroit où tu peux être toi-même, où tout le monde est le bienvenu. » Et cette phrase prend tout son sens dans un pays qui trébuche régulièrement sur sa politique de libre-circulation des personnes. Pourquoi Déborah ne s’installe-t-elle pas à Christiania alors ? « J’ai candidaté, une fois, pour une place, mais il y avait beaucoup trop de demandes, je n’ai pas été retenue. »

Car il n’est pas donné au premier venu de devenir résident de la communauté autogérée : « Il faut mériter sa place ! », affirme Jørn. Musicien, programmateur, réalisateur, il apporte depuis longtemps sa pierre à l’édifice christianite. Il y a tourné plusieurs documentaires, notamment sur les violences policières dont ont été victimes les habitués de Pusher Street en 2007 : « C’était une sale période, on foutait les gens à poils pour voir s’ils ne cachaient pas de la drogue dans leur slip ». Jørn ne cache pas que c’est d’ailleurs sa notoriété au sein de la communauté et les services qu’il lui a rendus qui ont permis à sa candidature d’être retenue : les voisins l’ont choisi, parmi 70 autres candidats, pour habiter une maisonnette trois pièces au centre du site. Pas de politique d’accueil favorisant la mixité, pas de quotas liés aux minorités, ni de discrimination positive, il semblerait bien qu’à Christiania on fonctionne au copinage et au mérite.

Christiania avance en eaux troubles

C’est une des raisons pour laquelle Nynne, 21 ans, n’a aucune envie de venir habiter à Christiania. Elle y vient pour faire la fête mais ça s’arrête là. « J’adore et, à la fois, je déteste cet endroit. Avant, les gens pouvaient marcher nu dans les rues. Aujourd’hui, certaines valeurs se perdent. » Pas loin de nous, assis aux tables du fast-food Nemoland, de jeunes Danois pâles et paumés illustrent son propos. Des valises sous les yeux, ils fument leurs (premiers) joints en buvant du Coca ou la bière bio soi-disant locale.

Culturellement, Christiania est restée une référence pour les artistes de tous bords mais, d’autre part, avec son million de touristes par an, la place avant-gardiste et underground est en train de se transformer en musée vivant d’une utopie désuète. Les curieux et les nostalgiques s’y pressent comme pour admirer les vétérans défenseurs de mouvements alternatifs des décennies passées. La légalisation et la normalisation forcée du point de vue politique et judiciaire, l’élitisme ou encore l’absorption dans la culture de masse danoise, sont des maux qui guettent Christiania depuis de nombreuses années. Et dont elle s’accommode avec plus ou moins de fatalisme. Car, il faut bien l’avouer, le dissident christianite version XXIe siècle, une créature parfois des plus paradoxales, a désormais quelques difficultés à entretenir le mythe de l’indépendance pure et de la marginalité totale.

Jørn le sait et ne lâchera pas le bras de fer face au gouvernement : « On a besoin d’une organisation forte : des porte-paroles pour s’adresser à la presse, des avocats pour nous défendre en Justice. » Pour survivre, l’esprit protestataire ne peut plus se laisser aller à l’anarchisme.

Cet article fait partie de Multikulti on the Ground 2011-2012, la série de reportages réalisés par cafebabel.com dans toute l’Europe. Pour en savoir plus sur Multikulti on the Ground. Un immense merci à Ulrik Troll Smed et à toute l’équipe de cafebabel Copenhague.

Photos : © Nicola Zolin pour ‘Multikulti on the ground‘ Copenhague' par cafebabel.com