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Chirac, « alternative morale » à la politique étrangère de Bush et Blair ?

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L’ancienne opposition franco-britannique semble ne jamais devoir s’arrêter et continue de nous divertir même en ce qui concerne des sujets tels que le post et néo-colonialisme.

Le « néo-colonialisme » est une expression décidément à la mode depuis quelque temps. Elle apparaît dans la plupart des textes portant sur les relations internationales actuelles et sort facilement de la bouche de quiconque souhaite exprimer un modeste désaccord avec les politiques occidentales menées envers les pays sous-développés du sud. En réalité ce mot peut, et c’est ainsi qu’il est fréquemment utilisé, servir à caractériser toutes les relations ou échanges entre le monde occidental et le « Tiers Monde ». Le néocolonialisme, ce nouvel impérialisme insidieux, est synonyme d’exploitation, de dépendance délibérément orchestrée, d’inégalité dans les droits, d’ingérence intéressée dans les affaires de nations ostensiblement souveraines, sans parler d’un usage injustifié de la force.

Effectivement. Cela peut se résumer à la politique étrangère Américaine d’aujourd’hui, soutenue et suivie par les duplices camarades anglo-saxons, les Britanniques, et un grand nombre de grandes firmes multinationales. Évidemment cela n’est qu’une caricature mais qui est clairement proche de ce vers quoi ont convergé la semaine dernière les participants au sommet franco-africain. 50 pays africains se sont engagés de tout leur poids derrière la politique de Jacques Chirac en Irak, défiant la volonté américaine d’établir une seconde résolution des Nations Unies autorisant une guerre, et un engagement à « la lutte pour le respect mutuel, le droit et la morale ».

Le dernier bastion contre l’impérialisme

Mon intention dans cet article n’est cependant pas d’ajouter ma voix au couplet sur le sentiment anti-américain qui a été exprimé sur les questions relatives à l’Irak, la Palestine ou de façon plus générale, les questions relatives à une justice mondiale et au commerce équitable. Au contraire, ce qui me surprend le plus dans ces débats -et ce que je cherche à illustrer dans cet article- est la manière dont la France essaye de se positionner comme le dernier bastion de protestation contre cette nouvelle et perfide expression de l’impérialisme. Dans un monde discordant, Chirac a repéré une brèche sur le marché. La stratégie de Chirac au cours des dernières semaines, stratégie qui a culminé lors du sommet France-Afrique, est une tentative de placer la France dans une position avantageuse à partir de laquelle l’on peut bâtir un robuste procès intellectuel contre l’hégémonie exagérée, injuste et sans culture des Etats-Unis. Cela semble être une tâche particulièrement simple si l’on considère l’actuelle approche belliciste, coercitive et unilatérale des Etats-Unis sur toutes les questions allant de Kyoto au Proche-Orient, au Conseil de Sécurité des Nations Unies et à l’OTAN. Et cela est encore facilité par la liste des pays que les Etats-Unis peuvent mettre au rang de leurs meilleurs amis : l’Arabie Saoudite, le Pakistan et Israël en particulier.

Néanmoins, la politique de Chirac (et de Villepin) est remplie de paradoxes et de contradictions susceptibles de revenir le hanter. Chirac peut très bien réussir à se positionner à l’avant-garde d’une coalition contre le « style » de la politique étrangère américaine mais, comme l’attestent les aspects clés de la conférence France-Afrique, il risque d’être taxé d’hypocrite quant à la substance même de sa politique étrangère. Considérez par exemple les invités présents au Sommet. L’on a fait beaucoup de bruit autour d’une « sale poignée de main » [avec Mugabe, le président du Zimbabwe qui avait été interdit de séjour dans l’UE] mais l’on devrait également noter que le Quai d’Orsay a accueilli 32 dictateurs, Chirac ayant parmi eux échangé des embrassades cordiales avec l’autocrate du Togo, Gnassingbye Eyadema, qui a fait modifier la constitution de telle sorte qu’il puisse se maintenir au pouvoir au delà de 38 ans ; Omar Bongo du Gabon dont le caractère impitoyable a permis qu’il reste au pouvoir durant trois décennies et Sam Nojoba qui, comme Mugabe, souhaite mettre en oeuvre par la force une politique de ré-appropriation des fermes appartenant aux fermiers blancs. Et c’est ainsi que Robert Mugabe, Président non élu, a déclaré, après avoir reçu une sèche poignée de main de Chirac, peut-être en reconnaissance du dégoût que sa visite inspirait au Commonwealth et à l’Union Européenne, que « la France unit le monde ».

Les « règles » de l’âge post-colonial

Bien au contraire, la politique de Paris et bien sûr ses intentions n’ont rien à voir avec l’unité du monde. La facilité avec laquelle les paroles de Donald Rumsfeld sur la « Vieille » et la « Nouvelle » Europe ont enflammé la controverse concernant l’attitude de Chirac par rapport à l’élargissement européen et sa tentative simultanée de présenter la France comme un port d’escale alternatif à celui des pays anglophones nous montre les divisions de ce monde. Chirac croit apparemment à l’intégration politique de l’Union Européenne mais sa conduite au cours des dernières semaines nous sert à démontrer qu’il a oublié les « règles » de l’âge post-colonial.

La décolonisation pour la Grande-Bretagne et la France s’est réalisée grâce au fait que deux vides essentiels ont été comblés par leurs politiques étrangères respectives. Le premier aspect -qui étaye tout le débat sur le néo-colonialisme- était de reléguer le contrôle du tiers-monde et de l’ordre mondial à l’unique superpuissance démocratique, les Etats-Unis. Le second était de rapatrier la diplomatie et l’intégration sur la scène européenne. Le marché commun, destiné à conduire à une communauté politique, étant le substitut aux empires d’ores et déjà devenus intenables en raison du coût des guerres et des révoltes des populations indigènes.

Chirac, en invitant cette semaine Robert Mugabe, rejette toute perspective d’une politique étrangère européenne rigoureuse qui serait fondée sur nos meilleures valeurs – démocratie, Etat de droit, tolérance envers les minorités ethniques, solidarité. Au lieu de cela Chirac a réinstauré une politique étrangère rétrograde, qui se base sur de très anciens préjugés nationalistes et sur une conception myope de son propre intérêt.

Suite aux élection honteuses aux Zimbabwe, la Grande-bretagne a durement fait pression afin d’instaurer des sanctions diplomatiques et économiques contre Mugabe et ses cohortes et a réussi à le faire dans le cadre du Conseil de l’Union Européenne et du Commonwealth. La manipulation cynique par la France de la date limite et les négociations pour la reprise de nouvelles sanctions étaient un pied de nez délibéré à l’intention du gouvernement britannique dans la lignée du fait accompli de Chirac à propos de la PAC à l’automne dernier.

C’est sur cette vieille animosité que Mugabe a cyniquement compté. Depuis quelques semaines, les medias de son pays diffusent le soutien de Chirac aux invasions de terrain de Mugabe, contrastant avec l’ancien maître colonial. Une poignée de main plus tard et un 79è anniversaire passé au Plaza Athénée le jour où l’Union Européenne rétablit le contrôle des visas, quelle preuve supplémentaire faut-il au peuple Africain subjugué ?

La vieille contradiction franco-britannique

Les efforts de Chirac pour isoler les Anglais et frustrer les Américains doivent cependant être regardés d’une façon plus sérieuse qu’un simple désaccord sur une politique ou des points de vue. On peut comprendre que le modèle anglo-saxon soit peu attirant pour les Français – son insistance sur l’embauche et le licenciement faciles, des soutiens publics minimaux ainsi que le manque d’obligations civiques sont à juste titre détestable aux yeux de nombre d’entre nous aussi – mais l’alternative « civilisée » de Chirac ne vaut pas beaucoup mieux.

Juste au moment où l’attaque en Irak est expliquée par les intérêts pétroliers et une stratégie de déploiement de forces dans la région, la conférence africaine de la France a été un moyen de gagner de l’influence dans des zones où les marchés et les matières premières au coût avantageux pourraient relancer l’économie française structurellement affaiblie.

Le soin dont elle entoure Mugabe est une étape de plus qui fait progresser les intérêts de la France à l’intérieur et au delà de l’Afrique francophone. Mugabe a stationné des troupes dans plusieurs pays africains à des fins économiques privées, dans des endroits où elles sont capables d’extraire et de contrôler de précieuses ressources naturelles, y compris au sein de la République Démocratique du Congo. La RDC possède la plus grande concentration de cuivre, cobalt, diamants, tantalum et tantalite du monde. Ces deux dernières ressources sont vitales pour l’industrie moderne –pour approvisionner l’ère des communications en téléphones mobiles et PC et pour la production de verre et d’acier haute performance. Chirac a porté une attention particulière aux dirigeants des voisins de la RDC.

Suite au succès britannique (système Bae) qui a assuré le marché controversé destiné à équiper la Tanzanie d’un système militaro-civil de contrôle du trafic aérien, la France a mené une politique commerciale encore plus agressive en Afrique. Au rang de ses succès, ART est maintenant sur le point d’assister les transporteurs aériens nationaux assiégés du Zimbabwe. Mais pourquoi soutenir les transporteurs d’un Etat despotique ?

« Immoral, moi ? »

Chirac parle d’un monde dans lequel « le temps de l’impunité ou de la justification de l’usage de la force est révolu », mais si l’on regarde ceux à qui il s’adresse, si l’on considère ses propres incursions dans la corruption (en tant que Maire de Paris) et son militarisme (les essais nucléaires et son entrée rampante en Côte d’Ivoire), il a simplement l’air de quelqu’un qui cherche des amis dans tous les mauvais endroits.

Si la France cherchait vraiment à fournir une alternative morale à la domination américano-britannique et à son empreinte de néocolonialisme intéressé et militariste, alors elle a vraiment manqué des opportunités étonnantes. Elle aurait pu renoncer à la PAC pour donner des marchés aux populations agricoles africaines dont elle se dit tellement préoccupée et refuser de vendre des armes à leurs dictateurs. Mais surtout la semaine dernière constituait une occasion parfaite de rassembler quelques uns des tyrans les plus vénaux de la planète et de les poursuivre en justice comme Milosevic.

Au lieu de cela, ce fut une gifle infantile de plus aux Anglais et aux Américains (et à des atlantistes aussi à l’Est que la Lituanie !), faisant passer cela pour un challenge éthique contre le néo-réalisme. C’était en réalité un nouveau round du combat entre la France et les Anglo-Saxons et il n’y a rien de nouveau là-dedans.

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Translated from Is France a ‘Moral Alternative’ to US and UK Foreign Policy?