Che Sudaka, les « clowns espiègles » nés de la rue
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William HoulmontLes membres de Che Sudaka sont Argentins et Colombiens, mais c’est à Barcelone qu’ils se sont rencontrés et, depuis quelques années, ils ont presque élu domicile sur les routes européennes.
C’est autour d’un verre d’eau et d’une bière à la fin d’un concert que nous rencontrons ce groupe multiculturel qui nous parle de musique, du fait de jouer dans la rue, de leurs illusions toujours intactes et de l’apprentissage de leur vécu.
Le concert prend fin parce qu’il doit prendre fin. En effet, nous sommes au Solidays, un festival parisien, il faut donc respecter l’horaire pour que les autres groupes puissent jouer. Toutefois, le public en redemande après s’être déhanché durant plus d’une heure sur les rythmes métissés de Che Sudaka. Peu de temps après leur sortie de scène et après avoir vendu quelques albums et pris connaissance du résultat du match Allemagne-Angleterre qui se tenait pendant leur prestation, nous rencontrons Leo et Kacha, les deux frères argentins du groupe. Ils n’apportent pas d’eau car c’est la bière dont Kacha raffole et elle ne tarde pas à arriver.
Mais comment des Argentins et des Colombiens, émigrants et sans papiers, se rencontrent-ils en Espagne et finissent par former un groupe ? Selon Leo, l’un des chanteurs et guitaristes du groupe, « il n’y a qu’a Barcelone qu’une telle rencontre est possible. Dans les rues du quartier gothique, on rencontre de nombreuses personnes qui vivent de leur musique et qui tracent leur route ». C’est de cette manière qu’est né le groupe qui compte déjà quatre albums à son actif dont le dernier, Tudo é Possible (2009). « Nous avions tous déjà fait quelque chose dans nos pays d’origine, et nous avons toujours écrit des textes populaires ».
Les choses ont changé depuis 2002. La rue a laissé la place aux scènes même si, selon eux, l’esprit est resté le même. « Lorsque l’on joue dans la rue, il y a toujours un effet de surprise alors que dans les festivals on sait ce qu’on doit faire. Nous ne perdrons jamais l’énergie qui nous caractérise depuis nos débuts. Les apparences sont trompeuses et quelques fois, on s’amuse plus dans la rue que dans un festival et vice-versa : à l’extérieur, on se demande toujours si la police ne va pas arriver et nous prendre nos instruments comme c’est le cas à Barcelone aujourd’hui. Sur scène on peut jouer tranquillement, on ne doit pas essayer de gagner l’argent du public ».
Nous abordons un sujet qui inquiète les musiciens et qui n’a pas lieu que dans la ville espagnole qui les a accueilli. Il s’agit de la difficulté croissante de jouer sur la voie publique. « C’est le seul travail que nous pouvions faire lorsque nous sommes arrivés, car nous n’avions ni argent ni papier et que c’est tout ce que nous savons faire », déclare Leo. C’est de cette façon qu’un jour, durant une représentation, quelqu’un les approcha et leur proposa d’enregistrer un album, pour lequel ils avaient investi un an et demi « parce que nous avions le temps ». Tout à coup, les choses ne semblaient plus aussi difficiles. « Moi, j’ai passé des années en Argentine avec mon groupe à essayer d’enregistrer mais nous n’avions pas les moyens. Et ici, on vient te trouver dans la rue pour te demander si tu veux faire un album. Tout ce que j’avais à faire était de sortir dans la rue ! C’est tout », dit-il en riant. « Et changer de pays », rajoute en blaguant son frère Kacha, chanteur principal aux commandes du mégaphone.
Kacha remarque aussi que « la rue est très différente en fonction de l’endroit où l’on se trouve ». « En Argentine, du moins à Mar de Plata, on entendait les commentaires des gens, principalement des personnes âgées, qui disaient que nous étions des hippies sales et fainéants… et on s’y habituait. Par contre, en arrivant à Barcelone, les gens nous applaudissaient, nous donnaient des pièces. On pouvaient vivre de notre musique dans les rues tout en étant respecté en tant que musicien ».
Toutefois, il semble que la situation ait changé. « Aujourd’hui, on ne peut plus jouer dans la rue sans un permis et celui qui ne le possède pas est considéré comme un délinquant. Si tu n’es pas en possession du document et que tu joues de la guitare, tu peux finir en prison. C’est injuste et c’est ce qui est en train de se passer à Barcelone, la ville dont nous sommes tombés amoureux. C’est parce que les artistes et les musiciens en général naissent libres et ne savent pas vivre autrement. Et, selon toute vraisemblance, les gouvernements n’aiment guère les gens libres et ils mettent de plus en plus de bâtons dans les roues des artistes. Barcelone était ce qu’elle était et malheureusement elle ne l’est plus. Mais il reste Berlin, Zurich et Londres », affirme Kacha en connaissance de cause. En effet, ces dernières années, le groupe a sillonné l’Europe de concert en concert en faisant la demande d’un visa à chaque déplacement pour les membres colombiens (il n’est pas nécessaire pour les Argentins), étant donné que seul Cheko, au clavier, a la nationalité espagnole depuis peu.
Le dernier album de Che Sudaka s’appelle Tudo é Possible : « Car au-delà de la politique, nous sommes des êtres humains et il arrive que les êtres humains prennent le pouvoir sur d’autres. Donc, de qui dépend le monde ? D’un être humain qui est sur le même pied d’égalité que vous, mais on nous fait croire le contraire. La politique est une étiquette de plus, au même titre que la musique ou le journalisme », remarque Kacha.
Nous devons mettre un terme à la discussion car nous sommes dans un festival et ils doivent accorder d’autres interviews. De plus, l’Argentine joue dans quelques heures (c’est le Mondial). Nous leur disons donc au revoir. « Au bout du compte, c’est panem et circenses. Les gouvernements ont besoin de pain et de jeux de cirque et que les gens se divertissent, c’est lamentable mais c’est ainsi. Et dans le cirque, nous sommes un peu les clowns espiègles », affirme Kacha pour conclure. A la prochaine espièglerie.
Che Sudaka est en pleine tournée européenne qui les amènera en France, en Espagne, en République Tchèque, en Roumanie et en Belgique. Voir les dates et les lieux. De plus, l’album est disponible en téléchargement gratuit et légal.
Photos : Che Sudaka. Vídeo: CheSudakaStyle/Youtube
Translated from Che Sudaka: “Los gobiernos no quieren gente libre y los artistas lo somos”