Charlie Hebdo : un combat hilare contre la connerie
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« Charlie doit être un instrument de lutte contre la connerie. À part ça, on est en désaccord sur tout. »
Je n’ai que très peu goûté à Charlie Hebdo. Comme tous les mecs aspirants journalistes de ma génération, j’ai bien dû le laisser traîner sur la table de l'école pour montrer que j’en avais. Pour faire bien, quoi. Mais franchement pas tant que ça. D’une part, l’humour me renvoyait toujours à des vannes de beaufs : des trucs insortables, qu’on devait sûrement se raconter dans des bouges d’abrutis en buvant de la Suze. D’autre part, je trouvais ça mal dessiné. Bref, quand j’ouvrais Charlie j’avais l’impression de me retrouver dans un monde où une sombre buse aurait gribouillé une réunion de ganaches qui dégueulent sur tout ce qui relève du bon goût.
Mais Charlie fait partie de ces choses qui s’expliquent. Alors, souvent à table, parfois dans des livres, on me disait qu’il fallait voir, exactement là où je voyais des saloperies, une certaine forme d’élégance. Grâce à Charlie et aux gens qui l’ont lu avant moi, j’ai été élevé au mauvais goût, à l’irrévérence, à l’insolence. Quand un colporteur, George Bernier alias le Professeur Choron rencontre un génie littéraire incompris, François Cavanna à la rédaction de Zéro dans les années 50, Hara-Kiri que l’on retiendra comme le journal satirique « bête méchant » naîtra sur le terreau d’une idée : s’élever, quoi qu’il en coûte, contre la connerie.
Au-delà de la figure du beauf, macho, raciste, alcoolique, homophobe, peureux, moche...par delà les noirs, blancs, jaunes, beurres, musulmans, chrétiens, juifs, bouddhistes, Charlie Hebdo, né sur l’interdiction de paraître d’Hara-Kiri, est et restera un formidable rempart contre la connerie. Exprimées à mains levées, les idées dans les dessins de Cabu, de Charb, de Tignous, d’Honoré, de Wolinski doivent comporter plusieurs niveaux de lectures mais s’attacher à ne respecter qu’un seul principe : salir les cons. À l’occasion du premier anniversaire de la relance du titre, en 1993, Philippe Val, son rédacteur-en-chef rappelait : « Charlie Hebdo est un journal de résistance. Résistance à la barbarie et au kitsch ». Pour évoquer les querelles internes auxquelles le journal a été souvent confrontées, Luz (dessinateur de Charlie, ndlr) affirmait : « Charlie doit être un instrument de lutte contre la connerie. À part ça, on est en désaccord sur tout ».
Mal dessinés, éructant des vannes de beaufs et transpirant la Suze, les deux terroristes de mercredi dernier m’apparaîtront dans le prochain numéro de Charlie Hebdo à paraître mercredi, surtout et avant tout, comme deux gros cons.