Charité de grande consommation
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Le secteur de la charité organisée, fondations privées et organisations humanitaires, connaît un essor considérable. Bienvenue dans le meilleur des mondes ?
'Good Gifts’, une ONG anglaise, met en ligne pour Noël un catalogue de cadeaux ‘charitables’ à destination du Tiers Monde. Parmi les présents proposés : un « vélo pour un vétérinaire » : 35 livres ; une « nouvelle robe pour une mère » : 12 livres, ou si vous êtes riche pourquoi pas la « ferme modèle pour le Rwanda » : 25 000 livres ? En un clic, le client généreux sélectionne d'un le cadeau et paie ses emplettes paie par carte bancaire.
Si la philanthropie innove sur Internet, elle fait aussi de nouveaux émules chez les milliardaires et chez les stars. Elle se répand aussi parmi les cercles d'affaires, à l'image de la bourse de Paris, qui émet depuis 3 ans des Actions à but caritatif.
Lors d'une conférence au sommet de Davos en 2005, Sharon Stone a décidé d’offrir 10 000 dollars au Président de la Tanzanie pour acheter des moustiquaires contre le paludisme. L'actrice de Basic Instinct a ensuite mis au défi l'assistance de faire comme elle. Avec succès ? Oui, si on en croît CBS News qui titra le jour même: « Sharon Stone lève 1 Million de $ en 5 minutes ». Non selon le Courrier suisse qui révélait en janvier 2006 que 140 000 dollars seulement avaient été versés par les donateurs et que les moustiquaires offertes avaient perturbé les programmes d'aide locaux.
Charité glamour
Alain Caillé, sociologue français auteur de ‘Don, intérêt et désintéressement’, évoque un « retour du refoulé » pour expliquer le succès des pratiques bénévoles. Selon lui, les sociétés actuelles ont vu triompher l'idéologie utilitaire et la logique de l'intérêt individuel, au détriment de la gratuité et du don. Or, les hommes ne peuvent se contenter de maximiser leur petit intérêt égoïste dans une perspective monétaire : l'acte désintéressé, en somme la générosité, reste indispensable à notre humanité et c'est pourquoi le bénévolat et la philanthropie reviennent en force.
On pourra objecter que les bénévoles finalement trouvent leur compte dans les actes de bienfaisance. Ainsi Angelina Jolie, l’une des nouvelles prêtresses de l'humanitaire, n’a pas hésité à déclarer que son travail d'actrice ne l’aidait pas vraiment à dormir la nuit : « Lorsque je fais quelque chose pour les autres, alors je sais que ma vie a un sens.»
Si le bénévolat semble aller à rebours de l'injonction de s'enrichir qui est un des moteurs du système capitaliste, la philanthropie, avant tout une affaire de riches et de fondations, s'accorde très bien avec le libéralisme économique le plus aigu. Celui-ci pose en effet que pour lutter contre la pauvreté, la charité volontaire suffit et que la redistribution d'état et la protection sociale sont superflues.
C'est pourquoi les disciples de l'économiste Friedrich Von Hayek ne peuvent que se réjouir de voir des entrepreneurs milliardaires à l’image de Bill Gates et Warren Buffet se transformer en nouveaux Croisés de l’humanitaire.
Défaillance étatique
La Fondation Bill et Melinda Gates, créée en 2000 pour apporter aux plus démunis des innovations en matière de santé et de connaissances, pèse désormais 60 milliards de dollars, depuis qu'en juin dernier Warren Buffet, la deuxième plus grosse fortune des Etats-Unis, a décidé de lui donner une trentaine de milliards [une somme qui représente près des trois quart de son patrimoine estimé à 45 milliards]. La dotation totale de la Fondation dépasse désormais le PIB cumulé du Cameroun, de la Tanzanie, du Gabon, de la Côte d'Ivoire et de la République du Congo.
Et peu importe si les écoles aidées par la Fondation sont équipés en ordinateurs Microsoft… Certains s’empresseront de pointer la défaillance du système dans la mesure où l'éducation et la santé sont deux domaines considérés comme relevant des politiques étatiques.
Millionnaires, stars et bons sentiments : pour les chaînes de télévision, il y a là un vrai cocktail gagnant, l'assurance de faire grimper l'audience. Pas étonnant que les programmes de charité TV se soient multiplié : ‘Aranyag’ en Hongrie, ‘Téléthon’ en France ou en Italie sont même devenues des institutions.
Mais il y a plus : les médias qui recueillent les oboles de ces nouvelles messes du Bien, et particulièrement les chaînes privées sont elles aussi devenues charitables. Notamment vis-à-vis des associations, comme le souligne Bruno David, conseiller en communication : «il est extrêmement répandu que les chaînes de TV offrent de l'espace publicitaire aux ONG. Mais les ONG se retrouvent du coup soumises au bon vouloir de la régie publicitaire ou du directeur du média qui va décider lui-même de soutenir une association plutôt qu'une autre. »
C'est bien là que réside une des limites de la charité : le donateur est seul décideur, il tire les cordons de la bourse face à un bénéficiaire sous dépendance, qui a rarement son mot à dire.
Pour autant, les millions de bénévoles anonymes font eux actes de résistance, dans une société qui valorise l'achat impulsif de bonne conscience...comme un produit de grande consommation.