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Cette image que les Allemands traînent

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De Lisbonne à Vienne et d’Oslo à Rome, l’image des Allemands ne varie guère : perçus comme disciplinés, froids, rigoureux, buveurs de bière et mangeurs de saucisses, ils traînent encore derrière eux le spectre de la deuxième guerre mondiale et de la Shoah. Clichés et vieilles rancoeurs ont la vie dure.

Mais le peuple qui a la plus mauvaise image des Allemands est peut-être le peuple allemand lui-même…

La recherche d’une fierté nationale est un exercice des plus délicats pour les Allemands qui portent, encore aujourd’hui, le poids écrasant de la responsabilité de leur pays dans la deuxième guerre mondiale. L’image qu’ils ont d’eux-mêmes est rongée par la culpabilité et les complexes. « Lorsqu’ils sont à l’étranger, les Allemands se sentent coupables envers les autres au niveau de l’histoire », affirme Sven, 27 ans, originaire de Braunschweig en Allemagne de l’Ouest. « Quand j’étais à Berlin, raconte Sandra, une Française qui a vécu un an et demi dans la capitale allemande, j’ai été frappée par une campagne d’affichage très importante, qui a dû coûter très cher, pour dire aux jeunes d’être fiers d’être allemands. Comme si c’était vraiment difficile. »

Mais beaucoup de jeunes se révoltent sous ce joug hérité de l’histoire, et sous cette image de « Hitler » que les autres Européens continuent à leur coller au front : « La guerre est terminée depuis 60 ans à présent. C’est vraiment dommage que tant de personnes éprouvent encore de la haine pour nous aujourd’hui » regrettait Seraph, un jeune Allemand, sur un chat dans lequel il était pris à partie.

Même en dehors de cet aspect des choses, les Allemands en Europe n’ont pas une image très sympathique. « Mon image des Allemands ? Froids et rigoureux », dit Marc, un informaticien français d’origine portugaise. « Ceux qui viennent en vacances en Angleterre n’ont pas l’air très amicaux », affirme Bella, 40 ans, de Londres. Il faut dire que les valeurs de travail, de rigueur et de discipline, qui font partie de la culture allemande, sont plutôt perçues comme contraignantes et peu conviviales.

Des Allemands riches, fiables, et… timides

La contrepartie, c’est que ces valeurs ont contribué à créer une économie puissante et solide. Un « miracle allemand » qui a longtemps servi de modèle. Ainsi, alors même que Berlin se débat avec des difficultés économiques structurelles et n’a pas su respecter les critères du Pacte de stabilité européen, le mot « allemand » continue à évoquer la richesse, les bonnes voitures, le savoir-faire industriel. La fiabilité aussi. « Quand j’ai dit à mon propriétaire ma nationalité, raconte Sven, qui vit en France depuis quelques mois, il a m’a dit : ‘C’est bien, comme ça je suis sûr que vous allez verser votre loyer régulièrement’. » Les clichés ont parfois du bon…

Quand à la nouvelle génération politique, représentée par Fischer, ancien gauchiste, et le chancelier Schröder qui a voulu se démarquer du passé allemand lors de son arrivée au pouvoir, ils ne modifient en rien l’image de l’Allemagne auprès du grand public européen… Pour la simple raison qu’ils sont presque des inconnus hors de leurs frontières, où la politique allemande ne mobilise personne. L’indifférence enveloppe à présent un peuple qui n’est plus perçu comme dangereux mais pas non plus comme très intéressant.

Finalement, comme l’explique Michel Meyer (1), spécialiste de l’Allemagne, « Les Allemands, affligés de complexes issus de l’histoire, sont convaincus de leur négativité et s’interrogent donc fatalement sur la manière dont ils sont perçus. Rien à voir avec les Anglais et les Français convaincus d’eux-mêmes jusqu’à l’arrogance. »

Un peu trop de timidité vaut parfois mieux qu’un orgueil démesuré. A force d’être humbles et de faire des efforts, les Allemands arriveront peut-être à modifier l’image peu flatteuse que leurs voisins ont d’eux. L’espoir est permis : les jeunes Européens, nés pendant le « miracle économique allemand » et la construction européenne, ont souvent une opinion plus positive que leurs aînés. Plus ouverts, moins ignorants parce que plus habitués à sauter les frontières et à fréquenter les jeunes des autres pays, ils sauront peut-être effacer en eux ce « vieux fond de méfiance, voire de désamour (…) sûrement dû à une absence dramatique de fréquentation réciproque » qu’évoque Michel Meyer.

Quoi qu’il en soit il est temps d’oublier, des deux côtés, une histoire à laquelle nous n’avons pas participé et à laquelle personne ne peut plus rien. Regardons plutôt vers l’avenir. Vers une Europe ouverte qui sorte les Allemands de leur relatif isolement.

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(1) Directeur de la radio France Bleue et auteur de « Le démon est-il allemand ? », éd. Grasset, 2000.