Ces motardes qui conquièrent l'Europe
Published on
Elles pratiquent la moto depuis plus de dix ans et ne craignent aucun terrain. Défiant les clichés, elles sillonnent l'Europe à la rencontre des paysages et populations du continent. Portrait d'une femme que rien ne semble arrêter.
Le pas léger, le geste est lent, affectueux, La main glisse sur le siège de sa 12 100 R noire, acquise il y a 13 ans. « Je ne peux pas m'en débarrasser, j'ai trop vécu de choses avec », confie Sophie, cinquantenaire sportive qui organise son temps entre sa thèse sur les femmes dans les troupeaux de la Camargue, son emploi de documentaliste pour un grand média et sa passion pour la moto. Suite à trois pannes fantômes sur l'autoroute, la BMW de Sophie, 130 000 km au compteur, va partir en révision. La chercheuse ne peut plus, à regret, compter sur cette monture qui l'a accompagnée en Europe. Remplacée mais pas oubliée, la 12 100 R partage désormais Sophie avec une Triumph.
« Avec ma soutenance de thèse dans dix jours, j'ai dû préparer en avance mon voyage », explique t-elle tout en observant les caisses en métal disposées dans son salon du 14ème arrondissement de Paris. Petit filet à vêtements, lessive, vaisselle et tente débordent des sacs. Le 7 juillet, Sophie et son amie Caroline enfourchent leur moto pour un mois de voyage en Europe. « Depuis 2003, chaque année je découvre un pays européen. C'est devenu une nécessité, j'attends ce moment avec impatience », explique Sophie. Cette année, elles feront une semaine de route jusqu'à Tallinn, en Estonie, pour retrouver les filles de la WIMA (Women's International Motorcycle Association), une association de motarde créée en 1950 aux États-Unis.
These girls are on fire
La passion de Sophie naît dès sa plus jeune adolescence. « J'ai commencé grâce à ma grande sœur et mon oncle. Vélo, mobylette, d'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été en deux roues ! », se remémore t-elle. À 20 ans, permis moto en poche, elle monte de sa Camargue natale pour Paris : « Un vrai cauchemar, de 1991 à 2003, je n'utilisais la bécane que comme moyen de transport pour la ville, pas pour le voyage », se souvient la doctorante. Le déclic se fait en 2003, alors qu'elle était partie seule en Irlande. Elle tombe sur les motardes de la WIMA, qui l'invitent à les rejoindre pour des semaines de traversées européennes en groupe. « Je les ai suivies, comme si c'était un espace familial, pour ne pas dire familier, écrit-elle sur son blog, certaines femmes viennent seules, d'autres sont même avec leur conjoint et leurs enfants. C'est un espace sans frontière où les différences sont gommées, où les masques sont levés et où la tolérance est le maître mot. »
Pour cette chercheuse dont une partie du titre de la thèse est « faire comme un homme et garder sa féminité », être motarde n'est pas forcément un acte féministe. Bien évidemment, faire de la moto est « viril » mais c'est surtout inhabituel pour une femme, estime Sophie, qui souligne la dangerosité physique de cette pratique plutôt masculine. Laurie, jeune motarde qui voyage également en Europe, considère qu'être motarde n'est « pas une revendication, mais une activité de passion. C'est un bon moyen pour vivre les choses au plus proche de la vérité : le contact direct avec la pluie, le vent, les gens… »
Carnets de voyages européens
Trônant au dessus de son lit, l'affiche du film Carnets de voyage de 2004, mettant en scène la traversée à moto de l'américaine latine par Che Guevara et Alberto Granado, en 1952, inspire Sophie. De ses multiples séjours en Europe, elle retient particulièrement la Croatie et les pays scandinaves : « On mourrait de chaud à Dubrovnik, mais l'eau cristalline était magnifique. Si je devais retourner quelque part ce serait dans les pays du nord. Il y a peu de monde, c'est hostile, froid, grand et lointain ». Pour autant, les voyages en Europe ne sont pas ce qu'il y a de plus dépaysant pour la motarde. « On reste en Occident, il est rare de faire de la piste comme dans d'autres régions du monde », explique-t-elle.
Sur le mur de son salon, une toile en feutre bleu s'étend sur une carte de l'Europe. Depuis 17 ans, chaque année, Sophie trace de nouveaux chemins. « Ce n'est pas si facile un mois en moto. On est archi-cuite à la fin, on ne pense plus qu'à dormir sur un matelas. Il m'est arrivé de franchir la frontière française au retour en pleurant de soulagement », glisse Sophie. Elle se souvient particulièrement de la Norvège, il y a trois ans, où elle a dû affronter les orages, le vent glacial. « Je n'arrivais même plus à tenir ma moto de 240 kg. Ce sont des moments durs mais très forts », résume t-elle. L'année prochaine, Sophie et sa moto quitteront peut-être l'Europe pour la première fois. « La Mongolie, pourquoi pas…», souffle t-elle.