Cem Özdemir : « Les Verts sont à l’avant-garde en Europe »
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Philippe-Alexandre SaulnierIl est encarté chez les Verts depuis l'âge de quinze ans. A 43 ans, Cem Özdemir vient finalement d’être élu à la tête du parti politique écolo allemand et devient, en même temps, le premier leader politique à être issu de l’immigration. Interview.
«Il a fallu que nous attendions huit ans avant que les Américains signent le protocole de Kyoto»
« Yes, we Cem ! » Reprenant le désormais célèbre slogan du président américain, ses fans ont créé un groupe Facebook pour le soutenir. Son succès lui a valu d’être surnommé le « Obama vert » par la presse d’Outre-Rhin. Au congrès des Verts européens qui s’est tenu à Bruxelles en mars dernier, le chef charismatique de l’Alliance 90/Les Verts (« Bündnis90/Die Grünen », la formation écologiste au Bundestag à Berlin), également eurodéputé aux origines turques, nous expose sa conception d’une reconstruction écologique de l’économie et des élections européennes.
Commerce équitable, vélorution, recyclage : en tant que chef de file des Verts, avez-vous un comportement exemplaire ou vous arrive-t-il aussi de manger des fraises en provenance d’Amérique du Sud en plein hiver ?
… ou de pommes d’Argentine ! Je m’efforce au mieux de mettre en pratique les valeurs que nous prônons. Ou du moins, de vivre dans une certaine mesure en contribuant à la réduction du dioxyde de carbone. Mais, bien entendu, je n’y parviens pas toujours. En ce moment par exemple, je dois effectuer en avion le trajet de Bruxelles à Berlin parce qu’il m’est difficile de faire autrement. Je dispose cependant d’une bicyclette dans mes bureaux au Parlement allemand avec laquelle je me rends à mes rendez-vous de proximité.
Les Verts sont-ils les meilleurs Européens ?
Ce qui est important, c’est surtout que nous présentions aux élections une liste qui se bat pour l’Europe. J’ai le sentiment que pour les autres partis, aussi bien en Allemagne que dans les autres pays de l’Union, les élections européennes ne représentent qu’un test, une sorte de lifting prestigieux pour accéder aux directions nationales. Nous, les Verts, je crois en revanche que nous constituons une avant-garde puisque nous militons pour que chaque électeur, quelque soit l’Etat-membre de la communauté auquel il appartient, puisse choisir sur une liste commune un candidat européen et non un candidat national chargé de le représenter au Parlement européen. Voilà ce pourquoi nous militons.
En ces temps de crise financière, la politique des Verts est-elle en danger ?
La crise économique n’est pas une chose nouvelle en ce qui nous concerne. Mais nous n’avons pas attendu que Merkel se fasse photographier sur la banquise aux côtés d’un ours polaire pour parler de la protection de l’environnement. Tous les autres, d’ailleurs, en parle aussi maintenant. Pourquoi dans ce cas avons-nous encore besoin des Verts ? Des débats de ce type ont lieu dans plusieurs pays de l’Union. Je trouve cela très bien si les Verts, tout en restant fermement attachés à leurs convictions, se sentent aussi solidaires des gens et soucieux de leurs préoccupations quotidiennes. Mais il n’y a aucune raison que nous ne fassions pas notre propre examen de conscience indépendamment des autres partis qui, malgré leur prétendues compétences en matière économique, nous ont fait tomber dans la crise et le chômage avec leurs recettes politiques.
Il a fallu que nous attendions huit ans avant que les Américains signent le protocole de Kyoto. Et aujourd’hui nous trébuchons sur un nouvel obstacle puisque les Européens ne réussissent pas à parler d’une voix unique qui leur permettrait, en accord avec le président Obama, de faire aboutir le processus de Copenhague. Et cela ne pourra marcher que si l’Union européenne ne relègue pas de nouveau au second plan la question du réchauffement climatique. C’est pour cette raison que nous avons besoin d’un groupe Vert solide.
L’UE s’est fixé l’objectif de 20 % d’énergies renouvelables d’ici 2020, là où le Green New deal prévoit 40 %. N’est-ce pas un peu utopique ?
En Allemagne, l'association nationale pour les énergies renouvelables (BEE) parle même d’atteindre les 47 % d’ici 2020.
Mais l’Allemagne est un peu le fer de lance de la question écologique en Europe…
Oui et nous tenons un rôle important car si en Allemagne, nous n’arrivons pas à atteindre ces 40 %, il sera difficile, pour l’ensemble de l’Europe, d’atteindre les 20 % minimum et les 30 % maximum que se sont fixés les autres Etats membres. Mais l'Allemagne n’a pas encore atteint son but : celui de faire baisser le taux de CO2 de 40 %. « All politics is local » (La décision est laissée à l’appréciation de chaque direction nationale). Nous devons donc montrer le bon exemple.
Toutefois, les énergies renouvelables ont un coût. Comme d’ailleurs, les produits issus du commerce équitable. Ce paquet de café se vend plus cher que celui que l’on achète chez Lidl. Les Verts ne seraient-ils pas finalement un parti de luxe ?
C'est la plus grande cochonnerie à mes yeux si notre génération quitte le comptoir sans payer la note. Une réglementation des prix doit se mettre en place si ces prix ne cadrent pas avec la réalité écologique. Ainsi, quand les atteintes à l’environnement sont vraiment prises en compte dans le coût final, l’achat de produits bio reste toujours le choix le plus favorable. Les effets secondaires indésirables doivent donc être maîtrisés. Cela est également valable pour le secteur automobile qui est déjà subventionné par les impôts depuis un certain nombre d’années alors que le trafic dans un grand nombre de pays d’Europe n’a malheureusement pas été revu à la baisse.
Cependant, dans le cadre de la mondialisation, le thème de la mobilité des jeunes Européens revêt une importance majeure.
Nous ne voulons pas diaboliser l’automobile ; nous voulons seulement qu’elle soit utilisée que s’il n’existe pas d’autres alternatives.
Avec quels thèmes pensez-vous pouvoir toucher les jeunes électeurs en faveur d’un combat pour l’Europe ?
Il y a en substance trois thèmes principaux : la protection du climat et la nouvelle donne écologique car chaque mesure qui ne sera pas prise dès maintenant en faveur de la question climatique, les générations futures en paieront le prix. Le point numéro deux : nous sommes en crise, donc nous ne pouvons plus prodiguer sans compter et dépenser en agitant impunément la corne d’abondance au risque d’en faire payer, là aussi, le prix aux générations futures qui en retour devront en supporter la charge.
Aussi on se doit de procéder à des dépenses qui constituent une réelle plus-value pour les générations à venir, comme par exemple le développement et la formation. Le troisième plan concerne la justice sociale, à savoir la mise en place de salaires minimaux dans tous les Etats-membres de l’Union. Ce sont les conditions nécessaires si nous ne voulons pas un jour être maudits par les générations futures.
Quand vous jetez un regard en arrière sur vos cinq années passées au Parlement européen, quel bilan en tirez-vous ?
J’ai presque l’impression de faire ma tournée d’adieux. Il me semble toutefois qu’il me sera plus facile de diriger un parti si je ne suis pas en même temps député européen. Non seulement à cause du dossier CO2, mais aussi question de temps. La fonction de membre du Parlement européen à Bruxelles et à Strasbourg et celle de député au Bundestag à Berlin représente près de quatorze semaines consacrées uniquement à des réunions, des sessions et des débats d’assemblées : sérieusement ce n’est pas réalisable ! L’une ou l’autre de ces deux fonctions finit par en pâtir. Mais je dois avouer que je ressens comme une pointe de nostalgie parce qu’à tout moment, j’ai vraiment trouvé ce travail très captivant. Ici, au contraire de ce qui se passe dans les parlements nationaux, les problèmes de fond sont pris en charge, au delà des partis.
Aux dernières élections européennes, les Verts avaient remporté 11,9 % des suffrages. Quel score souhaiteriez-vous atteindre à la prochaine échéance ?
Je souhaite évidemment que nous obtenions plus de députés que la fois précédente au Parlement européen. Voilà pourquoi, il me semble important que des candidats verts soient aussi élus dans d’autres pays, surtout dans ceux où il n’y en a pas un seul, comme en Tchéquie ou en Hongrie. Et, j’espère qu’en Allemagne, nous ferons un score qui nous permettra de renforcer notre groupe pour décrocher, au moins, autant de sièges que la dernière fois.
Translated from Cem Özdemir: „Die größte Sauerei ist, wenn die heutige Generation die Zeche prellt“