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Celle qui rendait le monde meilleur avec 4 centimes

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Amélie Marin

Maria Gross avait tout ce que l'on peut désirer : des parents heureux, un bon boulot et longue carrière devant elle. Malgré cela, elle a tout plaqué du jour au lendemain. C'est l'histoire d'une fille qui est partie pour rendre le monde un peu meilleur. Et qui, en chemin, y a trouvé son bonheur.Von Hannes Schrader

Jusqu'à l'épisode des quatre centimes, la vie de Maria était ordonnée. Enfance dans le Sud de l'Allemagne, le père travaillant chez Daimler, le frère chez Daimler. C'est comme ça que Maria Gross a aussi atterri chez Daimler après le Bac. Elle ne voulait surtout pas faire d'études, mais enfin faire quelque chose de sa vie. Travailler, gagner de l'argent. Elle a suivi une formation en commerce industriel et a décroché un CDI. Elle travaillait aux ressources humaines, établissait les fiches de paie, gagnait bien sa vie. Elle a décroché, en formation continue, une licence en gestion d'entreprises.

Cela aurait pu continuer ainsi pour Maria, avec une famille, une maison et une carrière. S'il n'y avait pas eu cette histoire des quatre centimes.

Quatre centimes et une démission

Un jour, le téléphone a sonné dans le bureau de Maria. C'était un nouveau monsieur d'un des plus hauts étages de l'entreprise. Un cadre supérieur, avec voiture de fonction et toutes les commodités qu'une entreprise comme Daimler peut proposer. Il avait contrôlé ses comptes et avait remarqué que Maria avait commis une erreur. Qu'il avait reçu un trop petit salaire. Quatre centimes, dit-il, manquaient à son compte. C'est à ce moment-là que Maria Gross a décidé que ça ne pouvait plus continuer comme ça. Qu'elle ne voulait plus travailler dans cet environnement. Qu'elle ne voulait plus faire quelque chose, mais améliorer quelque chose. Avant de démissionner, elle a appelé son père. Il lui a demandé d'y réfléchir encore. Elle lui a répondu que sa décision était prise. À l'autre bout du téléphone, elle a entendu son père pleurer.

Aujourd'hui, le bureau de Maria ne se trouve pas dans un immense bâtiment d'une multinationale, mais dans une arrière-cour dans le quartier de Kreuzberg. Sur son écran, un autocollant rose avec l'inscription "Superchef". Le stagiaire ne porte pas de costume mais des jeans et des baskets. Dans le frigo, on trouve de la limonade d'un petit fabricant de boissons de Hambourg. Les grains de café qui sortent de la machine sont issus du commerce équitable. Ici, toutes les portes sont en verre et dans la cuisine se trouve un baby-foot. Et quand le téléphone sonne, on se tutoie. Maria a de longs cheveux blonds, rasés sur le côté droit. Elle porte des lunettes grises et un pendentif en argent avec deux oiseaux qui s'embrassent. Maria travaille aujourd'hui pour Social Impact Lab, une entreprise qui lance des start-ups qui ne misent pas sur le profit mais qui ambitionnent de rendre le monde un petit peu meilleur. Comme le supermarché Original Unverpackt, qui a ouvert ses portes il y a peur de temps à Berlin et dans lequel tous les produits sont vendus sans emballage, afin de limiter les déchets. C'est ce genre d'initiatives que promeut Social Impact Lab. Car quiconque veut monter une entreprise n'a pas seulement besoin d'une bonne idée mais aussi d'un businessplan et d'un numéro fiscal. Les entrepreneurs doivent se rendre dans les administrations et se soucier de leur clientèle cible. Le Lab connecte entrepreneurs et entrepreneuses avec des gens qui s'y connaissent. Afin de faire d'une idée géniale une entreprise. L'argent vient notamment du Ministère de la Famille et de l'entreprise de logiciels SAP.

Après sa démission de chez Daimler, Maria est partie sept mois au Togo pour travailler dans le développement. Mais elle n'a pas eu l'impression de vraiment changer quelque chose. De retour en Allemagne, à Berlin donc, elle a étudié le management sans but lucratif. Mais elle ne s'en sortait pas avec toute la théorie sans lien avec la pratique. Elle s'est alors mise à chercher la pratique par elle-même. Un ami venait de monter une start-up à Friedrichshafen, qui permettait à des élèves de familles défavorisées d'avoir un étudiant à leurs côtés pour les aider à trouver un chemin plus facile pour avoir une bonne formation. Avec un ami de Berlin, Maria a créé la première filiale de la start-up en dehors de Friedrichshafen. C'est à ce moment-là qu'elle a été en contact avec une entreprise sociale pour la première fois. Lors d'une manifestation, elle a fait la connaissance de Norbert Kunz, le PDG de Social Impact Lab GmbH, qui gère depuis lors les laboratoires dans quatre grandes villes allemandes. Elle y a postulé après ses études, dans le but de coopérer à un meilleur avenir.

Un imagier pour une monde meilleur

Quand on demande à Maria comment elle imagine un avenir meilleur, elle tourne la tête, appuie son menton sur sa main et regarde par la fenêtre. Elle réfléchit mais semble rêver. Ses grands yeux verts deviennent encore un peu plus grands et elle devient toute calme. On voit qu'elle réfléchit à quelque chose qui lui tient à coeur. Sa voix douce devient plus grave. Et elle se met à parler de son imagier.

Dans son imagier, les gens ne s'enrichissent pas aux dépends des autres, mais essaient de vivre de manière sociale et écologique. Ils ne vont pas au boulot en Porsche mais en vélo électrique. Notre monde est dévenu démesuré, dit-elle, et tout le monde en veut toujours plus. C'est contre cela qu'elle oeuvre avec vigueur, dans son labo en tant que chef de bureau ou dans sa propre start-up. Avec Jan Löwenherz, un designer berlinois, elle vend des gants de boxe végans. Löwenherz voulait produire une alternative végane aux gants de boxe en cuir. Il voulait en fait uniquement une paire pour lui, mais il fallait un minimum de 100 paires. Il a donc créé une boutique en ligne. En l'espace de 24 heures, tout était vendu. Mais l'effort, pour faire d'une idée une affaire, l'a dépassé. Maria lui a alors dit : Je sais faire ce que tu ne sais pas faire. Businessplan, numéro fiscal, les démarches administratives. Maria s'y connaît, voilà son apport pour un avenir meilleur, son capital dans son imagier. Ils vendent désormais les gants, la deuxième version est en phase de test. Mais ils ne sont pas fabriqués en Allemagne ou dans l'Union Européenne, mais au Pakistan. L'usine est certifiée par les organisations internationales du travail, dit Maria, qui garantissent des salaires justes et un standart minimum en fair-play. La raison à cela est vraisemblablement le prix, car les gants végans ne coûtent pas plus cher que leurs concurrents conventionnels.

Il y a des gens qui se moquent du travail de Maria. De ses projets, de sa limonade équitable et de son véganisme. Ceux qui ne voient pas cela comme un mode de vie, le rejettent et disent que ça n'apporte rien. Qu'elle ne va pas sauver le monde avec des gants de boxe végans. Maria leur parle alors de Auticon, un des projets promus par Social Impact Lab. Auticon met en relation des personnes présentant un syndrome Asperger, des autistes avec des entreprises qui doivent faire corriger de grandes quantités de codes informatiques. La plupart des gens n'arrivent pas à accomplir ce genre de tâches, mais les autistes savent bien le faire. L'entreprise emploie 50 autistes, 50 personnes qui n'auraient aucun chance sur le marché du travail. Quand Maria raconte cela, elle rayonne et rit comme si elle n'y croyait pas elle-même.

Maria vit végan, fait ses courses dans les magasins bio et bénéficie d'électricité écologique. Cela fait aussi partie de son imagier. Mais quand il y a du cheese-cake chez sa grand-mère, elle en mange. Parce qu'elle sait que sa grand-mère est contente quand elle lui rend visite. Et parce qu'elle trouve que ça suffit si elle fait bien les choses pendant 340 jours de l'année. C'est pourquoi elle n'a pas non plus de smartphone équitable, parce qu'elle trouve les téléphone d'Apple tout simplement meilleurs. Et quand elle va chez ses parents et qu'elle voit les deux nouvelles Mercedes de son père et de son frère, elle ne peut pas s'empêcher de faire un tour à bord de l'une d'elles.

Et même si elle a encore du mal à résister au rayon confiseries du supermarché, Maria ne regrette rien. Ni son véganisme, ni sa formation chez Daimler, où elle a énormément appris. Ni sa démission. Maria aurait pu se faciliter la vie, aurait pu renoncer et être heureuse avec ce qu'elle avait. Mais elle ne voulait pas de tout cela. Elle voulait faire la différence, rendre le monde un peu meilleur. Et elle a réussi, professionnellement mais aussi chez elle. Son père est content qu'elle ait autrefois démissionné. Il se réjouit de voir sa fille heureuse dans ce qu'elle fait. Et elle trouve maintenant toujours du lait d'amande dans le frigo des parents. Juste à côté du fromage bio. Elle s'est désormais posée à Kreuzberg et essaie de réaliser son imagier pour un avenir meilleur. Jamais on n'aurait imaginé ce que pouvaient changer quatre centimes !

Cet article a été originellement publié dans Brennpunkt F!, le magazine en ligne de la Jeune Presse de Berlin. Tous droits réservés.

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