Cédric Klapisch, la Nouvelle Vague européenne
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Tendre observateur de la génération Erasmus, mise en boîte dans l’Auberge Espagnole, le cinéaste français Cédric Klapisch aime démontrer qu’« il y a une vie européenne sans Bruxelles».
Ce n’est pas dans une auberge espagnole mais dans un bistrot parisien que je rencontre Cédric Klapisch, le désormais très « bankable » réalisateur du film éponyme, 3 millions d’entrées dans l’Hexagone et véritable pub sur grands écrans du programme Erasmus. Rendez-vous est pris dans le quartier branché d’Oberkampf. Alors que je patiente en pianotant sur le zinc, je détaille les lieux : fraîchement peint en rouge et jaune, le café, baigné de lumière, est presque vide. L’horloge en acier chromé indique 11 h 30. Dans mon dos, des pas résonnent sur le sol en mosaïque : souriant, un casque de moto à la main, Cédric Klapisch, 44 ans, me gratifie d’une chaude poignée de main. Hâlé et visiblement détendu, cet authentique parisien a de bonnes raisons de voir la vie en rose : son dernier opus, Les Poupées Russes, suite de l’Auberge Espagnole, cartonne. En 2002, les péripéties sur pellicule de Xavier à Barcelone avaient aussi réalisé un joli nombre d'entrées pour un petit film sans prétention issu d’une expérience personnelle. « Dans les années 90, j'étais parti une semaine voir ma sœur qui faisait ses études dans la capitale catalane et cohabitait avec des colocataires de nationalités différentes. Je me suis dit que c’était hallucinant ce mélange drôle et vivant qui donnait de l’espoir, » se souvient le réalisateur. Beaucoup d’étudiants s’étaient alors reconnus dans le tableau de cette euro-génération balbutiante et enthousiaste. Banco ! Comme le souligne Klapisch, le film se veut la preuve évidente qu’« il y a une vie européenne sans Bruxelles. »
De l’étudiant américain
Nous prenons place autour d’un petit guéridon, lui derrière un espresso et moi un thé vert menthe. Malgré sa tendresse à l’égard des jeunes européens, Klapisch n’a jamais profité du programme d’échanges universitaire Eramus. A 23 ans, après avoir échoué deux fois au concours d’entrée du prestigieux institut cinéma de l’IDHEC, il s’envole de l’autre côté de l’Atlantique. « Je me suis inscrit à l’Université de cinéma de New York. En France dans les années 80, la culture ciné était très prisonnière de la ‘Nouvelle Vague’ - des années 50 - qui commençait à dater sérieusement. La période me semblait sclérosante, lance-t-il. J’ai découvert qu’il n’y avait pas que Godard. Voyager et vivre à l’étranger est forcément enrichissant, rapport à ce qu’on vit en dehors des études. » Quid alors de l’antagonisme légendaire Europe et Etats-Unis ? « L’opposition entre neuf et vieux, répond-il l’œil malicieux. Les Américains ont la hantise de l’ancien, ils fabriquent de l’anti-âge à tout va alors qu’en Europe on se trouve beaucoup plus dans la réhabilitation de l’ancien, sacralisé. Le décalage est particulièrement visible en France où politiquement on n’arrive pas à sortir de clivages ancestraux. »
Au cinéaste de l’air du temps
Sa parenthèse américaine refermée, Klapisch revient en France. Après quelques années de galère, il finit par imposer une image de cinéaste de l’air du temps distillant à travers ses longs métrages un univers léger, mordant et subtil. Celui qui aime Almodovar, la Russie et le mot « truc » multiplie les succès critiques et publics. Aujourd'hui, après ses vacances, Klapisch part promouvoir ses Poupées Russes à l’étranger . « Le cinéma européen ne se porte pas très bien. La France est le seul pays européen qui aide sa production, » glisse t-il. « Certaines industries comme en Italie ou en Angleterre ont quasiment disparu. Impérialisme américain, concurrence de la télévision ou subventions communautaires trop ' administratives ' rendent la situation difficile » sur les écrans noirs européens.
Europhile engagé
Quelles sont donc les destinations de prédilection de cet européen de coeur ? L’Espagne et l’Italie à l’image de ses deux réalisateurs fétiches, Almodovar et Fellini. « C’est génial de voir à quel point on est géographiquement proche et radicalement différent. Le côté latin me plaît, festif avec la vie qui se montre... » Mais Klapisch, d’ascendance polonaise apprécie aussi la Russie où il retourne régulièrement, après y avoir vécu quelques mois adolescent. « Il y a ce truc slave que j’aime bien qui existe aussi en Hongrie et en Tchécoslovaquie, cette tristesse marrante, un humour lié à la tragédie, » souligne-t-il en plissant les yeux.
Depuis mai 2005, cet europhile convaincu s’avoue plein d’incertitudes quant aux conséquences du « non » français à la Constitution. « C’était un drôle de moment. L’histoire ultra raciste du ‘plombier polonais’ a pris le pas sur la pensée sociale, martèle-t-il. Je n’arrive pas à savoir si c’est juste un ralentissement de la construction communautaire ou la première étape d’un truc qui ne va pas marcher. » Face à ce constat mi-figue, mi-raisin, le cinéaste admet quelques points positifs. « Le débat sur l’Europe a bel et bien eu lieu, et ce pour la première fois en dehors de la sphère politique. J’aimerais que les Français fassent quelques sacrifices nationaux pour un truc qui les dépasse. » L’aspiration au politique finit néanmoins par rattraper l’artiste. « Il y a quand même un truc de dingue dont on ne se rend jamais compte,» lance t-il en se levant, « mettre un Allemand face à un Français avant la construction européenne correspondrait à placer aujourd’hui un Palestinien devant un Israélien. Mes grands-parents sont morts à Auschwitz. Si 60 ans plus tard, il n’y a rien pour nourrir ma haine, c’est quand même grâce à l’Europe. Ce sont les efforts politiques qui ont amené un changement psychologique. » Clap de fin, Klapisch s’éclipse. Ni pour, ni contre l’Europe, bien au contraire.