Ce puzzle atomique qui lie Islamabad et Téhéran
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veronique daydetLe conflit n'est pas sans conséquence : le Pakistan a déjà contaminé l'Iran. Voici ce que doit faire l'Europe si elle veut défendre ses intérêts au Moye-Orient.
Le Pakistan n'est pas signataire du Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP), et possède un programme de développement d'armes nucléaires bien avancé. Un programme qui a déjà permis à Islamabad de faire éclater, en 1998, sa première bombe atomique. Et qui n'aurait pas pu réussir sans la technologie et l'assistance du régime communiste chinois. L'activisme pakistanais en matière nucléaire se développe dans le contexte politique de l'Asie du Sud, marqué par le vieil antagonisme entre Islamabad et New Delhi pour le contrôle de la région du Jammu-et-Cachemire.
David et Goliath
Mais la prolifération de la technologie nucléaire peut ne pas représenter en soi un élément négatif. Dans le cas du sous-continent indien, elle représente au contraire un facteur de stabilisation de la région, garantissant pendant longtemps que les nombreuses crises politiques n'aboutissent pas en conflits ouverts. L'équilibre de la terreur représente aussi la base plus appropriée sur laquelle des négociations peuvent s’engager pour une résolution des causes profondes de la rivalité entre les deux pays.
En effet, le Pakistan craint l'hégémonie indienne dans la région et voit avec une grande anxiété l'incessant développement de l'Inde en termes démographiques, économiques et technologiques. Islamabad est conscient de ne pas pouvoir supporter la confrontation avec le géant indien. Déjà aujourd'hui, l'Inde dépense pour sa défense une somme quatre fois supérieure à celle du Pakistan : plus de 66 milliards de dollars contre à peine 14 milliards. La sensation de sécurité qui dérive de la possession d’armes nucléaires peut permettre au Pakistan de relativiser la menace indienne et de faire en sorte que le conflit se désarme ou passe de l'agenda militaire à la confrontation politique.
Relations dangereuses (pour l'Europe)
Mais si d'un point de vue régional, la question nucléaire peut contribuer à calmer le jeu, les choses se compliquent lorsqu’on élargit la perspective aux effets en chaîne dont l'Union Européenne pourrait être victime. Via Téhéran.
En effet, les récentes déclarations d'Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe pakistanaise, ont dévoilé l'existence d'un réseau de contacts entre plusieurs services de l'armée pakistanaise et du gouvernement iranien. Il est probable, qu’à la fin des années quatre-vingt-dix, il y ait eu des transferts de technologie en direction du régime de Téhéran à l'insu du gouvernement central pakistanais. L'Iran fait partie du TNP, mais les gouvernements occidentaux suspectent qu’il ait entamé un programme nucléaire à but belliqueux. Le Secrétariat d'État américain, par exemple, le mentionne comme l'un des pays qui obtiendront la puissance nucléaire dans les dix à quinze prochaines années.
Mais qu'est-ce qui pousse Téhéran à la prolifération ? Certes, l’effondrement brutal du régime de Saddam Hussein a représenté pour l'Iran une amélioration considérable de sa position géopolitique. Mais les menaces sur les autres fronts restent importantes : en prime la présence
américaine en Irak et dans le Golfe Persique, et l'arsenal nucléaire israélien.
Mais le développement nucléaire de l'Iran représente t-il une menace pour la sécurité européenne ? D'un point de vue étroitement militaire, la réponse est pour l'instant négative. Il ne suffit pas de posséder des armes nucléaires pour constituer une menace, il faut aussi posséder les vecteurs pour les transporter. Et l'arsenal des missiles iraniens peut tout au plus constituer une menace régionale. L'Iran ne peut frapper aucun état membre de l'Union Européenne. En réalité, l’objectif de la politique nucléaire et des missiles de l'Iran est essentiellement régional. Une politique préventive et défensive plus qu'agressive.
Israël, noeud gordien
Mais le transfert de technologie entre le Pakistan et l’Iran représente de toute façon un problème pour le régime international de non-proliférationn. Sous cet angle, la fuite de technologie représente une menace, même si elle est indirecte, pour la sécurité européenne. Le TNP constitue en effet un pivot de la politique étrangère de tous les États membres.
Portant, on ne peut que condamner la politique exclusivement répressive que le Traité prévoit surtout dans le cas d'un échiquier géopolitique moyen-oriental aussi emmêlé et, surtout, interdépendant.
Dans ce cadre, il n'est pas raisonnable de demander à l'Iran d'interrompre son programme de recherche nucléaire sans également faire pression sur Israël pour qu'il élimine son arsenal. La situation est semblable, à une plus petite échelle, à l'interaction stratégique entre les deux super puissances pendant la guerre froide. Il aurait été absurde de demander à la Russie d'éliminer ou de réduire son arsenal, sans faire la même demande aux Etats Unis. Par contre, la politique européenne, en ce qui concerne le problème de la non- prolifération, réside principalement dans une politique de sanction à court terme. Elle se réduit à chercher à empêcher un développement des capacités nucléaires militaires dans l’immédiat. Elle ne se questionne pas du tout, par contre, sur les raisons profondes qui poussent un état à investir des milliards d'euros dans des projets et des infrastructures pour la recherche nucléaire. En ce sens le récent voyage des Ministres des Affaires Etrangères allemand, français et anglais (en octobre 2003) en Iran, a été un exemple supplémentaire de myopie de la politique nucléaire de l'Union Européenne.
Les secousses se répercutent d'un bout à l'autre de l'arc
La politique de l'UE manque d'une vision panoramique. Bruxelles devrait faire pression pour le dégel des relations entre USA et Iran, et devrait ensuite renforcer sa présence dans le processus de paix en Moyen Orient. Un environnement international plus sûr permettra aux dirigeants iraniens d'abandonner le développement nucléaire militaire, non pas contraint par les pressions des états occidentaux, mais parce que les raisons qui fondent ce développement seront devenues moindres.
Mais ce n’est pas suffisant. L'Union européenne doit arriver à une vision d'ensemble de l'arc de la crise moyen-orientale, une région à haute tension qui va des montagnes de l'Atlas à la jungle du Bengale. Les secousses qui se produisent d’un côté se répercutent tout le long de l'arc, sans solution définitive. Il est vital que l'UE comprenne qu’une politique de dénucléarisation de l'Iran sans politique de construction de l'Etat parallèle au Pakistan, n'est pas concevable. L'accroissement de la capacité de gestion de l’Etat pakistanais favorisera un meilleur contrôle de ces cellules grises de l’administration d'état qui ont permis la diffusion clandestine de la technologie nucléaire. Le cabotage ne peut pas être une stratégie politique pour le Moyen Orient : la politique étrangère européenne doit être guidée par une réelle approche multidimensionnelle de la sécurité.
Translated from Quel puzzle atomico che lega Islamabad e Teheran