Carnage : les attentats vus de Berlin
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cafébabel FRDeux jours après les attentats les plus meurtriers dans l’histoire de la France, j'ai décidé de raconter mon expérience du vendredi 13 novembre 2015. Le carnage en direct de Paris, sur le grand écran de Berlin.
Nous sommes vendredi soir. Il est 20h45. Début du match amical France-Allemagne, que je regarde dans un petit bar dans le quartier de Neukölln à Berlin, avec des collègues et des amis. Nous sortons tout juste d’une visite d’un bunker de la Deuxième Guerre mondiale, excursion organisée avec les collègues. Je viens donc tout juste de me remémorer les horreurs de cette guerre, de l’aviation française et britannique qui bombardait Berlin, il y a tout juste 70 ans. De cette violence inouïe, de ce lavage de cerveau à coup d’idéologie nazie. D’une Europe qui a fini en un bain de sang et de gravats.
Début du match. Un ami vient tout juste de passer quelques jours à Paris il y a deux semaines. Tout en regardant les préparations du match sur le grand écran, il me raconte des artistes qui jouaient au Pitchfork festival, d’un petit bar sympa qu’il a découvert vers le Canal Saint-Martin, tout près du nouvel appart de son ami parisien. Puis les joueurs entonnent la Marseillaise. Mes amis se moquent de moi parce que je ne me rappelle plus des paroles exactes. Je me justifie - je n’aime pas beaucoup les hymnes sanglants et les paroles de guerre. Par contre, je suis plutôt contente de voir le premier but de la France, juste avant la fin de la première mi-temps. Après tout, la Mannschaft est déjà championne du monde. C’est un match amical. Un match qui représente l’amitié franco-allemande. L’amitié des peuples, malgré l’histoire sanglante qui nous unit.
C’est une soirée entre amis, une soirée joyeuse. Pendant la première mi-temps, on voit Hollande et le ministre des affaires étrangères Steinmeier assis dans la tribune, en train de discuter. « Peut être qu’ils parlent du scandale de corruption de la Fifa, ou alors de l’affaire Benzéma », lance un ami. Lors du prochain gros plan, Hollande n’est plus assis à côté de Steinmeier. Je lâche en rigolant : « Hollande a dû partir en douce pour aller retrouver sa Julie ». Quelle naïveté.
En regardant par hasard l’écran de mon téléphone portable posé sur la table, à côté de mon verre de rosé, je vois une notification. « Fusillades à Paris, on compte les morts », annonce le Spiegel. Je fais passer mon portable à mon ami. Il réagit de manière consternée, mais me répond sur un ton rassurant : « Attends de voir si d’autres journaux en parlent. Quelquefois ils vont un peu vite ces journalistes ». Je me concentre sur le match. Mais quelques minutes plus tard, une nouvelle notification, cette fois-ci du journal anglais The Guardian. Mêmes informations. Je fais passer l’info au reste du groupe. On se regarde tous, incrédules. On s’entend dire : « Ça doit juste être un fou dingue qui a pété les plombs ». À ce moment-là, nous sommes bien loin de nous imaginer l’ampleur du massacre, du bain de sang en train de se dérouler devant nos yeux, sur le grand écran, en direct du Stade de France.
La fin du match approche. Doucement mais sûrement, on commence à prendre conscience de l’ampleur de la catastrophe. Les images du Stade de France en train d’être évacué, qui sont transmises en grand format dans le bar, resteront gravés dans ma mémoire pour le restant de mes jours. La panique sur le visage des supporters. La foule qui se retrouve sur la pelouse, en train de courir, sans savoir quelle direction prendre. Les regards apeurés. Et les commentaires de la correspondante de la télé publique allemande ARD à Paris, qui essaie de son mieux de garder le calme et de faire son travail de journaliste.
Puis la prise d’otage au Bataclan. On comprend mal ce qui se passe. Mais le nombre de mort ne cesse d’augmenter. On suit les infos, mais on n’arrive pas vraiment à digérer ce que l'on voit - cela nous paraît beaucoup trop surréaliste pour être vrai. Trop bouleversés, nos cerveaux se sont mis en « arrêt choc ».
Comme de nombreuses victimes de ces attentats, j’étais assise dans un bar, libre comme l’air, en compagnie de mes amis, rigolant et profitant du début du weekend. Et tout d’un coup, sans crier gare, ce vendredi bascule dans l’horreur la plus absolue. Je suis la seule française dans le bar, mais je sens l’effroi généralisé qui se répand en l’espace de millisecondes. On sent les frissons, les tremblements et les larmes de son voisin. Les visages décomposés de peur, de tristesse, et d’incompréhension. En encore. Nous sommes à Berlin, sain et sauf.
J’écris à ma meilleure amie à Paris, qui bosse à TF1 ce soir - elle est journaliste. Elle confirme. J’écris à une autre amie, qui voulait sortir dans le 11ème ce soir. Finalement, au bord des larmes, je sors du bar et j’appelle ma mère. Elle dormait tranquillement. Je fonds en larme devant le bar. Les mots ne veulent pas sortir de ma bouche. Après tout, une fois qu’on la nomme à voix haute, la terreur devient réelle. Je me répète : « C’est horrible, c’est horrible, je comprends pas... » Même deux jours après, je ne veux toujours pas y croire.
Après avoir longuement serré dans mes bras tous mes amis, je quitte le bar, pour aller skyper avec une amie à Paris et suivre les évènements sur BFM. Du fond de mon lit, on se parle, on s’informe mutuellement grâce aux fils de l’info en continu. On essaie de sourire. On s’énerve. On se sent impuissantes face au carnage. On se regarde en silence. Après le discours d’Hollande, on raccroche. Et on tente de dormir.
Le lendemain, dans mon mi-sommeil, les images des évènements de la veille me reviennent. Le cauchemar est bien une réalité.
Translated from Carnage. Les attentats vus de Berlin.