Captain Europe : changement de cape
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Débarqué en 2006, Captain Europe, le « seul super-héros européen », a décidé de ranger sa cape et ses collants bleus au placard. Portrait et rencontre avec celui qui, un temps, a voulu sauver le Vieux Continent de ses vieux démons.
Il ne saute pas d’immeubles en immeubles, ne court pas le 100 mètres en 5 secondes et n’arrive pas encore à voir ce qu’il se trame derrière le mur du Parlement. Mais voilà 7 ans que Captain Europe trimballe sa cape et son slip jaune dans tous les recoins du quartier européen à Bruxelles. Au détour d’un bar ou lors d’une réunion publique, il discute, interpelle et tient tête à ceux qui veulent bien débattre. Ses pouvoirs ? Les valeurs européennes et les traités qu’il connaît sur le bout des doigts. À la place des costards anthracites, il a choisi un uniforme en lycra pour en parler. Une certaine idée de l’audace qui lui a permis de rencontrer le gotha européen et les plus influents chefs d’États du continent. Seulement aujourd’hui, le héros ne repartira plus faire le justicier pour l’UE. Captain Europe a décidé de raccrocher le mois dernier, laissant une vraie belle histoire et le peu du fun qui restait des institutions bruxelloises derrière lui.
« Pourquoi l’Europe n’aurait pas son propre super-héros ? »
Lorsqu’il passe la porte, tous les regards convergent vers lui. Pour sa tournée d’adieux aux abords des bars de Bruxelles, l’homme a décidé de donner un peu de rab au costume. Habillé de la tête aux pieds en combinaison bleu-lycra, il parvient à longer le bar en slip jaune sans trop abandonner de fierté en route. Sa cape, son masque et sa casquette finissent de lui procurer l’anonymat qui lui a permis de faire oeuvre de justice. Les curieux le prennent en photo, les courageux lui proposent un selfie. C’est au milieu d’un bar assez tradi de Bruxelles, rempli de bières trappiste et de bonne humeur que Captain Europe a choisi de raconter la fin. Sa fin. « J’ai toujours dit que j’arrêterai ma carrière de super-héros à l’âge de 40 ans », souffle-t-il. « Entre temps, il y a eu une réforme du service public européen qui a prolongé de 3 ans l’âge de départ à la retraite ». L’homme masqué a donc décidé de faire durer le plaisir, jusqu'à ses 43 ans.
L’idée d’enfiler le costume l’a piqué il y a 10 ans. C’était en 2006, lors d’un carnaval. Déguisé en moine pour l’occasion, il se retrouve entouré des super-héros américains bien connus : Batman, Spiderman, Captain America... « C’est alors que je me suis demandé pourquoi l’Europe n’avait pas encore son propre super-héros ? », explique-t-il en levant le coude. L’histoire s’écrit ensuite comme un Marvel. L’homme rentre chez lui animé de la volonté de faire le bien. Il dessine les traits et le costume qu’endossera son futur double, dans l’ombre, pendant 3 ans. Car ce n’est qu’en 2009 que Captain Europe se dévoile enfin « lors des journées Portes ouvertes des institutions européennes ».
Captain Europe répond : « Qu'est-ce que l'Europe a fait pour nous ? »
Depuis, on aperçoit sa silhouette aux évènements qui animent la bulle bruxelloise, quelque fois à l’étranger. « À Londres, à Copenhague, qui sont pourtant présentées comme les capitales de deux pays plutôt eurosceptiques, j’ai été accueilli très favorablement », souligne-t-il. Pourtant, difficile d’affirmer que notre Kickass européen à la carrure « d’héros normal » est une star dans les États membres. À en croire les réseaux sociaux, son slip jaune n’agite que la Toile de son quartier bruxellois : sa page Facebook affiche un peu plus de 2 000 fans tandis que 3 000 personnes suivent ses exploits sur Twitter. Rejeté loin derrière la popularité de ses homologues américains, Captain Europe et sa vision fédéraliste effraie sans doute un peu.
Le « meilleur » pire moment
Crise des dettes souveraines, de l’euro, montée de l’extrême droite et du populisme, Brexit... l’Union européenne rogne toujours un peu plus son image. Partir maintenant, dans le sillage du président du Parlement européen – Martin Schulz – reviendrait presque à prendre la fuite. « Ce n’est jamais le bon moment, rétorque le Captain. Mais, je ne prétends pas et n’ai jamais prétendu que l’Union européenne telle qu’elle est aujourd’hui est parfaite, il y a encore du boulot. » Interrogé sur les affaires touchy qui égratignent plusieurs Commissaires européens, il se dit d’ailleurs « déçu » par certains responsables politiques. « Quand des eurodéputés et des commissaires se comportent mal, ça retombe sur nous tous. » D’ordinaire, l’homme à la cape préfère prendre de la hauteur en énumérant les nombreuses crises qu’a déjà connues l’Union et qu’elle a surmontées. « En 1960 avec la politique de la chaise vide du général de Gaulle, les années 70 avec les crises du pétrole, la crise financière de 2008, le Brexit […] et l’Europe est toujours là. Et à chaque fois elle a réagi et résisté », envoie le héros. Un brin optimiste, mais nullement naïf, il faut selon lui avoir les valeurs européennes chevillées au corps pour tenir la barre du Vieux Continent. « Avoir une connaissance approfondie des valeurs européennes […] et être intègre », complète-t-il. Ce sont en tout cas les qualités qu’il espère retrouver chez ses successeurs. Car oui, Captain Europe fait passer des entretiens pour qu’une sorte de « Robin européen » prenne la relève. « J’aimerais que ce soit une femme mais je n’ai toujours pas de candidates, seulement un homme », confie-t-il en remuant sa mousse. « Un candidat sérieux », tient-il à préciser.
En 7 longues années, Captain Europe n’aura jamais tombé le masque. On sait tout juste que l’homme s’est un jour laissé pousser le bouc, qu’il parle 6 langues - dont un français marqué d’un accent étranger. À la ville, il serait fonctionnaire au sein des institutions dont il connaît très bien les rouages. Mais dans un grand moment de suspense, l’inventeur derrière le masque précise que son personnage est plus qu’une personne : « Captain Europe est en quelque sorte l’Europe telle qu’elle devrait être. C’est-à-dire forte mais pas trop lourde » et « proche du citoyen ».
Loin des discussions feutrées des couloirs bruxellois, Captain Europe est davantage un « agitateur d’idée » que le symbole d’un hypothétique héroïsme européen. Un homme qui s’est pris au jeu du costume pour attirer l’attention, interpeller et parfois faire sourire ceux qui l’observent. Et si on tenait là, la vraie mauvaise nouvelle de l’année ?
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