Camps de réfugiés : la jeunesse solidaire
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Les chefs d’État et les institutions européennes continuent à réfléchir au sort à réserver aux centaines de migrants qui arrivent chaque jour sur les côtes européennes. Pendant ce temps, Camille et Alyssia, comme tant d’autres jeunes et moins jeunes bénévoles, ont elles choisi d’aller directement sur le terrain, aider « là où il y en a besoin ».
Jeunes et étudiantes, Camille et Alyssia ont fait le choix, face à l’afflux d’images de la crise migratoire qui touche l’Europe, de ne pas rester chez elles. Une décision qui n’en a pas été une. À la question de savoir pourquoi elles étaient parties, et à quel moment elles avaient pris cette décision, chacune d’elle répond qu’elle « ne sait pas vraiment », que c’était une « évidence ». Pour Camille, originaire du Nord, « j’ai toujours vécu à côté de Calais, et j’ai toujours vu des migrants et des associations pour les aider, alors évidemment, j’ai également voulu participer ». Alyssia est elle aussi originaire d’une zone de transit migratoire. Niçoise, elle a été confrontée aux tensions à la frontière italienne. Surtout récemment, quand Cédric Herrou a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour avoir aidé quelque 200 migrants à traverser la frontière italienne par la vallée de la Roya.
Lorsque Camille est partie en Erasmus en Turquie, à Istanbul, en janvier 2016, elle n’a pas hésité. « On voyait des réfugiés syriens partout dans les rues, qui étaient vraiment dans des besoins assez hallucinants. J’ai essayé de chercher une association pour travailler en bénévole, mais je n’ai pas trouvé. Soit c’était trop loin de chez moi, j’étais confrontée à des gens qui me disaient : "Mais pourquoi tu veux faire ça gratuitement ? Soit on t’embauche, et tu es là à plein temps, soit tu ne le fais pas". Je me suis aperçue que l’île de Lesbos était tout près de la Turquie. J’avais un mois entre Istanbul et mon retour en France, donc autant y aller. »
Pour Camille, le chaos de Lesbos
Sans contact sur place, et seulement avec des informations glanées sur des groupes Facebook, Camille arrive à Lesbos avec un plan en tête. Elle sait qu’elle ne restera pas très longtemps mais veut tout de même avoir un impact. Elle monte alors une campagne de financement participatif, et atteint en un mois son objectif de 1000 euros. Avec cet argent, elle compte acheter des vêtements, des draps et des chaussures sur place. Cependant, au contact de bénévoles et des associations, elle se rend vite compte que ce n’est pas ce dont le camp a besoin. «Dès le deuxième jour, dans le camp informel de Moria, j’ai rencontré quelqu’un qui gérait l’association «Better days for Moria» (Moria est une ancienne prison de l’île de Lesbos, où l’agence des Nations unies s’est implantée pour accueillir les migrants. Faute de place, un camp informel s’est installé autour, géré par l’association “better days”, jusqu’à ce qu’il soit démantelé, les migrants n’arrivant plus à Lesbos depuis l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie,ndlr.), je lui ai expliqué que j’avais de l’argent et que je pouvais acheter des vêtements, des chaussures, etc. Il m’a répondu ‘c’est gentil, tout le monde veut faire ça, mais ça ne sert à rien, parce qu’on n’a pas assez de place pour les stocker. Au final une grande partie prend l’eau : c’est démoralisant, et c’est du gâchis. Ce dont on a réellement besoin, c’est de l’argent pour acheter des combustibles pour chauffer l’hiver’. J’ai informé mes donateurs du changement de plan sur mon blog. »
Sur place, Camille fait également la connaissance d’une autre association, qui, trop endettée, a suspendu ses activités : Dirty girls. Pourtant, cette structure a eu l’idée ingénieuse de récupérer les vêtements mouillés que les migrants abandonnent sur les plages, afin de les laver et de les sécher pour ensuite les donner aux nouveaux migrants qui arrivent. Grâce aux 500 euros que Camille va leur donner, l’association peut reprendre momentanément ses activités. « Ils m’avaient envoyé en détail un décompte des vêtements et chaussures qu’ils avaient pu laver et sécher grâce à ça, et je l’avais mis sur le blog. C’était assez motivant de voir combien de vêtements ils avaient pu recycler grâce à ces 500 euros. »
Camille, comme Alyssia, a également participé à des missions dans les camps. Sur Lesbos, Camille s’occupe ainsi de nettoyer le camp, d’accueillir les migrants avec des vêtements dès leur arrivée sur les plages, et de répondre à des situations d’urgence. Plongée dès son deuxième jour dans la réalité quotidienne, elle doit se dépêcher, avec les autres bénévoles, de déplacer l’ensemble d’un camp à l’autre bout de l’île, là où les migrants se sont installés, attendant que les ferries, en grève, reprennent leur activité.
Alyssia et le camp « idéalisé » d’Elpida
Alyssia, elle, vit une toute autre expérience. Au sein du camp Elpida, à Thessalonique, ce ne sont pas des « migrants » qu’elle va aider, mais des « résidents ». Le camp, construit dans une usine désaffectée, a pour objectif d’accueillir les familles le plus dignement possible. L’initiative, portée par trois associations (The Racliffe foundation, Better Days et Médecins sans frontières), n’a alors que trois semaines d’existence. « La plupart des chambres étaient faites, les sanitaires également, mais il n’y avait pas encore de cuisine », raconte la jeune fille. Le camp que découvre l’étudiante se veut être un modèle pour l’Europe : un jardin, des équipes de bénévoles se chargeant des activités, des résidents impliqués dans la vie du camp, des panneaux solaires... l’objectif est « qu’un jour, ils n’aient plus besoin des associations ».
En attendant, difficile de savoir quoi faire pour se rendre utile. Surtout qu’à son arrivée, Alyssia est briefée : «Attention à ne pas trop vous rapprocher des résidents si vous ne restez pas longtemps, ne leur faites pas de promesses que vous ne pourrez pas tenir ». En effet, dans ces conditions, les liens peuvent rapidement se nouer. Les migrants partagent leurs histoires, parfois très dures, avec les bénévoles. « Il y avait par exemple ce garçon de dix-huit ans, qui avait perdu toute sa famille, il était isolé, d’autant plus qu’il était kurde et ne parlait pas arabe. Il s’était lié à un groupe de bénévoles, mais ils sont partis. Lorsque je suis arrivée, il était en miettes. » Comme dans tout engagement, viennent les doutes. Alyssia partage sa peur de faire parfois plus de mal que de bien. « On bascule vite dans un côté malsain et dangereux de l’humanitaire. »
Alors Alyssia choisi de faire ce qu’elle fait de mieux : apporter la joie de vivre. «On a décidé de venir tous les jours avec le sourire aux lèvres.» Elle partage des moments privilégiés avec les migrants et leur famille, surtout quand elle prend le poste du «shop». Il regroupe toutes les donations de vêtements que les associations reçoivent. Chaque famille peut venir et s’équiper.
« Du chaos naît la lumière »
En commun, elles ont l’émerveillement. De voir qu’au milieu du chaos, les hommes et les femmes ont la capacité de s’organiser, de créer des chaînes de solidarités. Camille, stupéfaite, s’est rendue compte que la plupart des associations de Lesbos étaient en fait créées par des locaux. La première association sur les plages de Lesbos, créée par un retraité, consistait en une baraque sur la plage, ou le vieil homme fournissait des repas. « Il faut imaginer, à l’époque, 100 bateaux arrivaient tous les jours. Chaque bateau contient en moyenne 20 personnes. C’était du non-stop. Aujourd’hui, il en arrive 2-3 par jour ».
Des hommes et des femmes de tous horizons, aussi bien à Lesbos qu’à Thessalonique, se sont retrouvés, unis par la même envie d’aider. Certains, alors en vacances, ont décidé de rester. Des banquiers, des assureurs, des étudiants, des logisticiens, des médecins... peu ont suivi une formation dans l’humanitaire, témoigne Alyssia. Et pourtant, ils sont là.
Les expériences des deux étudiantes ont été extrêmement différentes, mais chacune d’elle partage la même détermination : ce ne sera pas la dernière fois. Toutes les deux en stage dans des ONG humanitaires, elles ont continué à participer à ce grand mouvement de solidarité. Alyssia, au sein de SOS méditerranée, a eu pour mission de récolter des fonds à Grenoble. Loin du bateau médiatique qui sauve les migrants en mer, elle partage son sentiment d’utilité. « C’est une chaîne de solidarité. Pour fonctionner, le bateau a besoin de onze mille euros par jour. Or 99% des ressources de l’association proviennent des dons privés. Tendre la main, faire des petites choses... Tout le monde peut aider, même si tu n’as pas grand-chose. Je ne veux pas faire partie, dans 20 ans, des gens que l’on montrera du doigt en les accusant de n’avoir rien fait face à cette crise humanitaire », assène-t-elle.
Quid de la politique de l’Union européenne et sa gestion de la crise migratoire ? Pour Camille, la question n’est pas là. « L’humanitaire, ce n’est pas faire de la politique, mais c’est être là où l’on subit les conséquences de ces politiques. »
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