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Camp de réfugiés : solidarité citoyenne en action

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Bruxelles

Retour au camp du parc Maximilien à Bruxelles. Là où solidarité et entraide permettent aux migrants de vivre dans des conditions plus ou moins correctes. 

Vers 13 heures, un parfum appétissant commence à s’échapper de la partie cuisine. Riz, poulet, couscous, curry, safran…Des saveurs orientales entêtantes se répandent dans le parc. Je décide d’aller voir comment se passe la distribution de nourriture. Et suis sidérée en arrivant sur place. La foule paraît immense, une file interminable se dessine à l’entrée du camp. 900 personnes (estimation) à nourrir ça demande un brin d’organisation. Je me demande bien comment les bénévoles arrivent à gérer ça sans que le chaos ne s’installe.

Tout simplement en fait. Une vingtaine d’entre eux se tient la main pour délimiter une sorte de couloir en face des tables de distribution. Ainsi pas d’attroupement ou d’effet de masse, chacun prend son plat en file indienne et la circulation est fluide. C’est bête mais il fallait y penser.

Après le repas, le camp commence à s’animer. Vers 15 heures, on voit de plus en plus de monde déambuler dans les allées. Quelques parties de foot s’organisent, de nombreux enfants rejoignent les tentes jeux et école, des volontaires supplémentaires arrivent…

Et tout d’un coup, un moment de grâce. De la musique résonne et c’est l’étincelle. Sublime, inattendue. Un jeune réfugié s’est procuré un djembe et se lance dans une impro. Ses amis l’entourent et dans les airs s’élèvent des chants, des cris d’allégresse, une joie de vivre qui défie toutes les horreurs qu’ils ont traversées ces derniers mois. En cet instant ils retrouvent leurs racines, ils sont chez eux. Mouvements souples des hanches, mains qui se lèvent, sourires béats et flammes dans les yeux…Ils sont vivants. Ici et maintenant. Peu importe avant, peu importe après…Là, tout de suite, ils célèbrent la vie.

Je vais prendre des nouvelles de l’espace femmes créé en fin de matinée. À mon arrivée, je trouve Julie, l’une des quatre filles à l’origine de l’initiative. Point de migrantes sur place. « Quelques personnes sont venues, m’explique-t-elle. Ça a été super. Il y en a une en particulier qui a pu se laisser aller. On a eu de la chance qu’il y ait une traductrice sinon elle ne se serait jamais lâchée comme ça. Mais là elle a pu raconter son histoire, elle s’est même mise à pleurer. Elle avait vraiment besoin de vider son sac je pense. Et en fait je crois que ces femmes n’ont pas de problème à raconter leur histoire, c’est juste la barrière de la langue qui les freine. » Satisfaites de cette première prise de contact, les filles envisagent de revenir et peut-être proposer d’autres activités.

En quittant leur petit coin par l’arrière je me retrouve sur un point légèrement en hauteur et prend conscience du panorama qui s’étale à mes pieds. Face à moi, des centaines de tentes de réfugiés dispersées un peu partout. Et en arrière-plan, des immeubles de verre et d’acier remplis de bureaux. Le contraste est saisissant. Et me fait sourire. D’amertume.

Générosité et réalité

Après avoir partagé un moment avec de jeunes irakiens, je me dirige tout doucement vers la sortie. Je m’arrête près d’un groupe de volontaires en plein bricolage. « Nous construisons une cuisine, m’explique Daniel. L’idée émane du groupe Collectactif, qui est venu prêter main forte dès le départ. Demain ce sera une salle à manger. Avec les dons de bois, de palettes et toute la main d’œuvre on essaye de construire petit à petit des choses utiles. »

L’imagination et l’ingéniosité des bénévoles ne cessent décidément pas de m’étonner. Avant de rentrer chez moi, je prends un dernier moment pour m’imprégner de l’atmosphère. Et c’est là que ça me frappe : je n’ai pas envie de partir. Ce qu’il se passe dans ce camp est tellement extraordinaire qu’on est pris dans le mouvement et qu’on a immédiatement envie de s’investir aussi. Il n’y a pas de structure officielle, pas de réelle hiérarchie (hormis un petit noyau de coordinateurs et responsables) ; et pourtant ce n’est pas l’anarchie, tant les gens sont dans un état d’esprit bienveillant, solidaire et généreux. L’ambiance est décontractée, beaucoup disent qu’on se croirait presque dans un festival ou un camping de vacances. C’est vrai, et même si c’est ce qui fait la beauté de cet élan citoyen, c’est aussi une arme à double tranchant. Cela peut vite occulter la raison première pour laquelle nous avons eu besoin de ce camp. Moi-même je l’ai oubliée durant l’après-midi, tant j’ai été séduite par cette atmosphère.

Il faut donc sans cesse se remémorer pourquoi on (en) est là. Il y a le mouvement de générosité, le dévouement des bénévoles, l’espoir des réfugiés, et si on s’arrête à cela, le tableau peut presque paraître idyllique. Mais il ne faut pas oublier pourquoi ils sont là aujourd’hui, ce qu’ils ont fui, ce qu’ils ont laissé derrière eux. Une vie, une famille souvent. Parce qu’ils sont nés dans une société moins favorable que la nôtre et qu’ils n’ont pas eu d’autre choix. Sans parler de ce qu’ils ont traversé au péril de leur vie pour arriver ici. Ne laissons pas la beauté de la solidarité cacher l’horreur de la réalité.