Cadavre exquis au pays des merles noirs : chapitre 9
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Au début des années 2000, le Kosovo a-t-il été le théâtre d'un trafic d'organes, perpétré par la guérilla kosovare sur des prisonniers serbes ? Un ancien agent de la DGSE, Arnaud Danjean, ne se pose même pas la question. Prétextant le n'importe quoi, il dézingue le rapport Marty et offre la première réelle opposition de forme qui finira en boucherie de velours…
IX - Au téléphone avec un espion
Présenté à huis clos devant les eurodéputés en janvier 2011, le rapport Marty passe très mal à Bruxelles. Entre insultes et violence feutrée, c'est une boucherie de velours, comme souvent dans les couloirs ouatés des institutions. Dick Marty y est traité de « menteur » et certains parlementaires, outrés, quittent la salle en claquant la porte. L'un d'eux s'appelle Arnaud Danjean.
Dans les couloirs des institutions européennes, on le surnomme « The Spy » pour « l’espion ». Ancien agent de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Danjean est en mission dans les Balkans dans les années 1999-2000. Pour Danjean, l'affaire des trafics d'organes est « une manière de jeter le discrédit sur l’action de la communauté internationale au Kosovo. C'est l'éternelle théorie du complot ».
Durant notre conversation téléphonique, Danjean s'empresse de démonter de toute pièce le rapport Marty. « De tous ceux qui ont été sur le terrain en 1999, personne ne croit sérieusement à cette histoire de trafics d'organes. Dans toutes les guerres et conflits du monde, il y a des règlements de compte, des saloperies qui sont commises. Une maison en Albanie où des Serbes auraient été tués, torturés, c’est possible, c’est probable. Maintenant, cela fait quinze ans que les faits ont eu lieu et il n’y a jamais eu la moindre preuve ou fait établi. Si aucune enquête n’aboutit, c’est peut-être simplement parce qu’il n’y a pas d’éléments à charge, non ? »
L'ancien de la DGSE reconnaît pourtant que bien des erreurs ont été commises au Kosovo. « Au départ, personne ne voulait soutenir l’UÇK parce que tous les services secrets occidentaux savaient que c'était un mouvement de guérilla clandestin, financé par des trafics illégaux d’armes et de drogues. Nous avons toujours soutenu l'ancien président kosovar, Ibrahim Rugova, jusqu’à ce que cela ne soit plus possible. Il n’avait aucun pouvoir sur le pays. Ce sont les Albanais eux-mêmes qui l’ont lâché.
Il y a eu deux ans de navette diplomatique, entre 1997 et 1999, où la communauté internationale a négocié avec l'UÇK. Ce mouvement n’était pas monolithique. En 1999, il y avait l’UÇK de Ramush Haradinaj et l'UÇK d'Hashim Thaçi. Les deux ont été invités aux négociations de paix, lors de la Conférence de Rambouillet. Hubert Védrine (ministre des Affaires étrangères entre 1997 et 2002, ndlr) et Jacques Chirac (ancien président de la République, ndlr) ont choisi de négocier directement avec Hashim Thaçi, alors même qu'il existait des rapports du FBI ou de la DGSE indiquant que lui et ses hommes étaient louches.
Dans les guérillas du monde entier, les rebelles ne sont pas des enfants de chœur. Les puissances étrangères cherchaient une solution de paix durable sur le terrain. Elles étaient obligées d’inclure ceux qui détenaient le pouvoir de fait sur le territoire albanais. Quinze ans après, c'est facile de réécrire l’Histoire, en stigmatisant les méchants Occidentaux qui ont profité des failles du système. Trafiquer des organes est l’un des pires crimes de guerre possible. Sa dimension dramatique indéniable touche à l’intimité de chacun. »
Selon l'ancien agent secret, en l'absence de preuves, l'affaire reste surtout symbolique : elle cristallise les fantasmes autour du Kosovo. En réfutant le bien-fondé de l’action internationale, elle exacerbe le côté passionnel autour de l’indépendance. Et sur trois questions essentielles : fallait-il ou non accorder l'indépendance ? Les dirigeants kosovars sont-ils dignes de confiance ? Le Kosovo est-il un État mafieux au coeur même de l’Europe ?