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Cachez ces élections que je ne saurais voir…

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LordLee

NoWay!

«Mesdames messieurs, bonsoir, voici les titres de l’actualité. Tout d’abord, la campagne des élections européennes… ». Politique fiction ? Pas du tout. C’était en 1979. Dans l’arène, des têtes de listes de poids : François Mitterrand, Simone Veil, Jacques Chirac, Georges Marchais. Une armada politique à l’assaut du Parlement Européen.

Pas de quartier, une vraie campagne, des vraies lignes de fracture, et un débat concentré sur les grands dossiers européens du moment : politique monétaire, marché unique, Politique agricole commune... Et pour cause : au moment de la réforme du mode de scrutin de Parlement Européen, le débat franc sur l’Europe faisait recette, opposait des idées de gauche et de droite, sur le ring chauffé à blanc qu’était le théâtre politique français de la fin des années Giscard.

Alors que l’on s’apprête à fêter les trente ans de cette réforme, la donne a bien changé. Nous sommes à moins de six semaines d’un scrutin qui rassemble 375 millions d’électeurs européens potentiels dans le choix d’une majorité politique qui déterminera, par le blanc seing donné à son futur président, l’orientation de la commission européenne et de son gargantuesque travail législatif annuel. Mais en dépit de la proximité des élections, le dernier eurobaromètre fait craindre une abstention record : seulement 34% des sondés se sont déclarés certains d’aller voter. Vingt ans après la mise en place d’un système d’élection directe des députés européens par les citoyens, ce scrutin n’a plus d’universel que le nom, pour employer  terminologie du sociologue Loïc Blondiaux. Les électeurs français, qui s’étaient pourtant mobilisé à 70% à l’occasion du referendum sur le projet de constitution européenne, ne font pas exception : à en croire le sondage, 52% se déclarent « plutôt pas » ou « pas du tout » intéressés par le scrutin. Une majorité d’entre eux ne fera pas le déplacement au bureau de vote.

Est-ce la peur d’être infecté par la grippe porcine qui pousse les électeurs à vouloir rester chez eux les 6 et 7 juin ? Où bien est-ce dû aux nécessités  d’économie d’essence imposées par la crise économique ? Malheureusement, il semble que la réponse ne soit pas à chercher dans le domaine de l’irrationnel, mais plutôt dans l’attitude de la classe politique hexagonale. Cette abstention record, si elle se concrétise, semble délibérément voulue par les deux principaux partis de gouvernement. Mais quelle mouche a piqué l’UMP et le PS, pour ainsi freiner le début de la campagne et centrer ses balbutiements sur la stricte politique intérieure ? 

Car le moins que l’on puisse dire, c’est que cette bataille politique est pour l’instant menée avec des épées de bois. L’UMP n’a même pas arrêté ses listes, et ce sentiment de désinvolture a été amplifié par des nominations pour le moins surprenantes, à l’instar du parachutage sur la liste île de France de la redoutable européiste qu’est l’actuelle Ministre de la justice. Celle-ci n’a d’ailleurs pas tardé à étaler son incompétence sur les dossiers européens, son absence totale d’expertise en la matière ne soulevant qu’un semblant d’embarras à droite. Le PS a quant a lui mis ses troupes en ordre de marche dans la discrétion la plus totale, préférant placer  des roitelets d’appareil en tête de liste plutôt que de jouer la carte de la compétence et l’enthousiasme. Bref, ça démarre fort. 

Et que dire du fracassant premier round du débat d’idées entre majorité et opposition ? Les uns se focalisent sur le bilan du Président en matière de sécurité intérieure, jusqu’à remettre sur la table le bon vieux marronnier de l’insécurité ; les autres se contentent de verser dans la désormais classique partition anti-sarkozyste, délaissant les vrais enjeux du scrutin. L’enthousiasme est clairement resté au placard, et cela n’a en réalité rien de surprenant. Ca arrange tout le monde.

L’abstention aux européennes est en fait du pain béni, aussi bien pour le parti présidentiel que pour Martine Aubry et sa fragile équipe. Depuis le « non » de 2005, on sait ce qu’il en coûte à la classe politique modérée de trop montrer ses cartes sur l’Europe : frustré et incrédule devant des piètres résultats d’une Europe sensée les protéger toujours plus, le citoyen fait tapis.  Les extrêmes se contentent de tranquillement ramasser la mise. Par conséquent, depuis le cuisant échec du « oui », l’Europe est reléguée au placard du débat public : on préfère ne pas en parler, de peur de réveiller la « bête noniste » qui, comme chacun sait, sommeille en tout électeur gagnant moins de 2500 euros par mois. 

La stratégie pour les élections de juin est donc claire est nette : retarder au maximum la vraie campagne pour éviter une trop grande participation. Et ainsi s’éviter le désaveu en masse d’électeurs qui ont d’ailleurs traditionnellement tendance à utiliser les européennes comme un punching Ball, un défouloir entre les municipales et les régionales. Le cercle vicieux est dès lors impossible à arrêter : plus le débat européen est occulté, plus l’incompréhension entre l’Europe et ses citoyens augmente, plus la perspective d’une Europe véritablement aux cotés de ses citoyens s’éloigne. Le « déficit démocratique » de l’UE engendre dès lors irrémédiablement  une « dette démocratique », et tout porte à croire que le paiement des intérêts va s’avérer salé pour l’Europe. 

Et à l’approche des élections, si l’on ajoute à cette impression de « piège à con » les récents scandales en provenance de Strasbourg, de l’affaire de la piscine pour députés (un projet global à 9 millions d’euros tout de même, n’incluant toutefois pas que piscine), à la fermeture du site Parlorama à la suite de pressions de parlementaires,  en passant par un récent reportage édifiant de journalistes allemands sur l’absentéisme, on obtient tous les ingrédients du fiasco démocratique. Le cocktail est prêt, il n’y a plus qu’à secouer. Alors, au prochain eurobaromètre, ne jetons pas la pierre sur cette bande d’ignares europhobes qu’est le corps électoral français : prenons nous en à une classe politique qui, au lieu de faire campagne pour les européennes, est en train de paver la voie à un deuxième « non » irlandais.

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