Burkina Faso : entre rébellion et mutinerie, la vie sous couvre-feu
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Et si la mort de Justin Zongo à Koudougou entraînait la même traînée de poudre que celle de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzi ? Le Burkina Faso, « Pays des hommes intègres », a beau être considéré comme le pays le plus stable de l'Afrique de l'Ouest, manifestations, pillages et mutineries se succèdent depuis deux mois... Depuis Ouagadougou, un Français remonte le fil des évènements.
Du fait-divers à la rébellion
Tout commence le 22 février quand on apprend la mort Justin Zongo, un étudiant arrêté par la police. Une méningite, a-t-on dit au commissariat de Koudougou. Mais les étudiants n’ont pas mordu à l’hameçon et sont persuadé qu’« il est mort suite à des tortures policières », comme l’a déclaré un des leaders de la révolte. Une série de manifestations étudiantes se déclenche dans cette ville réputée frondeuse et va progressivement s’étendre au reste du pays pour déboucher sur une crise de pouvoir. Blaise, comme tout le monde le nomme ici, déclare que ces jeunes sont des irresponsables et qu’ils sont manipulés par l’opposition (il n’a pas osé aller aussi loin que Khadafi en parlant de drogue) qui tente par là de prendre le pouvoir par la force (Blaise oublie au passage comment il a pris le pouvoir en 1987…).
Effet domino
Dès le mois de mars, ces manifestations étudiantes sont éclipsées par des mutineries militaires. Les choses deviennent sérieuses. A Ouagadougou, mécontents de l'arrestation de cinq militaires pour une rixe, une bande militaire se soulèvent et obtient leur libération. Puisque ça a l’air facile de faire sortir les copains de prison, d’autres militaires, en province cette fois, se mutinent et exigent la libération d'un collègue tout juste accusé de viol… Mais les mutineries ne s’arrêtent pas à la libération de détenus et les militaires profitent de leurs sorties nocturnes et de leurs armes pour compléter leur maigre salaire. Ces pillages vont s’ajouter aux libérations de détenus pour créer un véritable effet domino dans ces événements. En effet, les magistrats se mettent en grève pour protester contre la libération des détenus et les commerçants manifestent eux contre les pillages pour réclamer des dédommagements. En avril, des manifestations pacifiques ont lieues dans tout le pays pour dénoncer la vie chère, dans un pays où 16 millions de Burkinabè vivent avec environ 1,5 euros par jour. On se demande alors si le décès de Justin Zongo ne serait pas un élément déclencheur d’un renversement comme l’a été celui de Mohamed Bouazizi en Tunisie.
Blaise reprend la main
La situation actuelle démontre une crise du pouvoir burkinabé puisqu’à part Blaise, aucun dirigeant ne parvient à se faire réellement respecter. Les mutins s’en sont pris à différents généraux et chefs d’état major ainsi qu’au maire de Ouagadougou. Ils n’ont d’ailleurs pas hésité à poursuivre les pillages malgré l’annonce d’un couvre feu. L’impunité de ces actes (aucune arrestation) a pu inciter les commerçants à saccager l’assemblée nationale et le siège du parti au pouvoir et les étudiants de Koudougou à brûler la maison de Tertius Zongo, Premier ministre tout juste débouté. Oui, Blaise n’est plus aussi confiant et a dissout son gouvernement (oui, ici on dissout, les politiques ne sont pas renvoyés ni ne démissionnent !) et se « réfugie » selon la rumeur dans son village. Or, en Afrique laisser le fauteuil de président vacant revient quasiment à laisser sa place. Ça ne s’est finalement pas produit et après quelques jours de calme à Ouagadougou, le président Blaise semble avoir repris les choses en main malgré des escarmouches en province. L’idée d’un départ est difficilement envisageable du fait de l’absence de toute alternative à son pouvoir grâce à son combat permanent contre toute genèse d’opposition cohérente et unie. Pour preuve, il vient d’annoncer qu’il compte prendre en main le ministère de la Défense.
A Ouaga, la vie par intermittence
Et dans cette situation pour le moins compliquée, comment vivent les Burkinabés me demanderez vous ? Ça vous paraîtra étonnant dans un pays qui traverse une crise qui a causé plusieurs morts, des pillages massifs et des manifestations violentes, mais les gens vivent « normalement »… par intermittence. En effet, la plupart des troubles sont ponctuels ou nocturnes. Pour le reste, les villes restent bouillantes d’activités avec des nuées de commerçants. Les maquis (nom des bars à Ouagadougou) sont toujours aussi remplis à tous les coins de rue. A l’intérieur, la seule nouveauté est que l’on y parle moins de la Côte d’Ivoire et de la Libye et plus du couvre-feu. Oui, les Burkinabè aiment le « show » comme ils le disent, et si on leur interdit de faire la fête et discuter politique dans un des innombrables maquis la nuit tombée, ils s’organisent et le font de jour ! La nuit, si vivante d’ordinaire est donc très calme les jours de couvre-feu, allégé pour le week-end de Pâques, mais dès que celui-ci est levé les Ouagalais réinvestissent leurs lieux de sortie sans inquiétude pour la suite des événements. Les gens paraissent s’habituer très rapidement à ces secousses comme ils se sont habitués aux nombreuses coupures de courant en cette période de chaleur. Reste qu'une prise de conscience a bien eu lieu. Et le nouveau Premier ministre et ancien journaliste Luc Adolphe Tiao l'a bien compris : « Nous avons longtemps vécu dans cette ambiance de stabilité qui fait qu’on a oublié certaines choses, que nous aussi on peut devenir comme d’autres pays. Cette crise nous amène à la réalité pour nous dire que nous sommes comme tout le monde », a-t-il déclaré avant même sa prise de fonction officielle. Ça va commenter dans les maquis...
Photos : Une : (cc)benkamorvan/flickr ; Blaise Compaoré : (cc)DaminHR/flickr ; Couvre-feu : (cc)liquidnight/flickr ; vidéos : courtoisie de YouTube