Bulgarie-Roumanie : un pont entre deux rives
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emilie dubosRepoussée durant des années, la construction du ‘Pont du Danube 2’ entre la Bulgarie et la Roumanie devrait désormais voir le jour en 2007. Grâce à l’aide de l’UE.
Le ferry lève enfin l’ancre. Il est 7h30 du matin. Aujourd’hui, Borislav Aljoshev a dû attendre le départ deux heures dans le froid. Dans la brume matinale, le bateau glisse sur le Danube, chargé de quelques camions et d’une douzaine de personnes. Outre le bruit du moteur, on n’entend que les gazouillements des oiseaux. De chaque côté, la rive du fleuve est déserte.
La traversée depuis la ville de Vidin, en Bulgarie, jusqu’à sa voisine roumaine Calafat dure environ 20 minutes. Cependant, on ne sait jamais vraiment l’heure à laquelle on arrivera. Le trajet ne commence que lorsque suffisamment de poids lourds sont chargés sur le bateau.
Cinq euros par jour
« Je suis obligé de faire cela », lâche Borislav Aljoshev, « je ne peux pas vivre de rien ». Le quadragénaire est son propre patron. Comme beaucoup d’autres, il gagne son argent comme porteur de bagages. Autrefois, Aljoshev travaillait à Vidin dans des usines gérées par l’Etat, mais la plupart ont fermé après la chute du Mur de Berlin en 1989.
En Roumanie, sur le marché, il vend des sucreries et de la lessive, et de l’autre côté, il importe des textiles roumain en Bulgarie. « Tout dépend de ce qui est bon marché et recherché, » explique-t-il. Quand les affaires marchent bien, il peut gagner environ cinq euros par jour. « S’il y avait du travail en Bulgarie, je resterais », assure-t-il.
Symbole de l’Europe unie
Des emplois et une frontière plus facile à franchir, voilà ce qu’est censé apporter à Vidin et Calafat le ‘Pont du Danube 2’, un projet de 234 millions d’euros. Plus de la moitié de l’argent est versé par l’UE –dans le cadre de son programme ISPA- et par la Banque d’investissments européenne. En fait, le pont aurait déjà dû déjà être prêt pour l’entrée des deux pays voisins dans l’UE le 1er janvier 2007, comme joli symbole de l’Europe unie. Mais il n’en est rien.
Divergences quant au lieu, bureaucratie et difficultés de financement ont ainsi retardé de trois ans le début des travaux. Si le chantier débute comme prévu à la mi-2007, les premiers véhicules et trains pourraient commencer à rouler au plus tôt en 2010. La construction de ce pont améliorera le couloir européen de transports IV qui relie Berlin à Thessalonique et Istanbul, à travers plusieurs pays européens.
Sur place, on attend beaucoup de ce pont, notamment un certain essor économique. « Les infrastructures qui vont se multiplier autour du pont vont permettre le développement local », assure Petre Traistaru, maire de Calafat.
Pour Ivan Zenov, représentant de la communauté de Vidin, le pont est le « meilleur moyen pour résoudre les problèmes sociaux et économiques de la région ». Selon lui, au cours de ces dernières années, on pouvait déjà remarquer un intérêt croissant des investisseurs. « Ils attendent le début des travaux pour pouvoir planifier leurs investissements », affirme t-il.
Exode rural et survieillissement
La région de Vildin se situe à l’extrême Nord-ouest de la Bulgarie, coincée entre la Roumanie et la Serbie. Pendant la guerre de Yougoslavie, cette région frontalière avait particulièrement souffert de l’embargo commercial imposé à la zone. Aujourd’hui, exode rural et vieillissement de la population sont les plus gros problèmes.
Les villages des environs de Vidin sont désormais à moitié vides. Les jeunes délaissent la région pour partir vers de plus grosses villes, voire pour s’installer à l’étranger – Italie, Espagne, Grèce. Dans la région, le taux de chômage est quasiment deux fois plus élevé que la moyenne actuelle bulgare, qui plafonne à 8,4%.
Dans la zone industrielle en marge de la ville, les anciennes grandes fabriques d’Etat désormais à l’abandon rouillent doucement. Autrefois, la fabrique de pompes ‘Vipom’ employait 2500 ouvriers. Désormais privatisée, ses effectifs tournent désormais autour de 300 personnes. »Au moins, la situation est stable, » raconte le manager Ventsislav Pavlov. Ce dernier attend aussi beaucoup de la construction du pont. « Nous espérons que nous pourrons élargir nos contacts. Vidin doit devenir la porte de la Bulgarie vers l’Europe ».
Les relations de voisinage entre les deux communautés sont bonnes. Pourtant, dans les années 1990, la Roumanie et la Bulgarie étaient en concurrence dans le concours pour l’adhésion à l’Union européenne. Malgré de nombreux problème communs comme la pauvreté et la corruption, aucun des deux ne voulait évoluer l’un à côté de l’autre, ni apprendre l’un de l’autre.
Un satellite loyal
La Bulgarie, unanimement considérée comme l’élève modèle’ du processus d’adhésion au club européen s’est longtemps sentie dans le même sac que la Roumanie. Pourtant, après la très médiatique campagne menée par Bucarest contre la corruption, Sofia a quelque peu perdu les faveurs de Bruxelles.
A l’époque communiste, la Bulgarie faisait figure de parfait satellite de l’Union soviétique alors qu'en Roumanie, Nicolas Ceausescu se flattait de suivre une ligne indépendante de Moscou. Pour autant, un ‘Pont de l’amitié’ reliait déjà dans les années 50 la ville de Ruse, sur la côte de la Mer Noire bulgare et Giurgiu, en Roumanie, le long de 500 kilomètres de frontières.
Entre temps, le ferry du matin est arrivé dans le port roumain. Derrière les saules qui bordent la rive se niche la petite ville de Calafat. Veselka Mateeva, 42 ans, habitante de Vildin, raconte qu’elle vient de faire la traversée pour la première fois. « Je me réjouis vraiment de ce pont. Ce sera plus facile de se rendre dans le pays voisin » Bien qu’habitant à proximité de la Roumanie, Mateeva vient juste de remarquer que les toits des maisons roumaines sont différents. « C’est indispensable de constuire des ponts entre les cultures », finit-elle par lâcher, pensive.
L'auteur est membre du réseau de correspondants n-ost
Translated from Brückenschlag nach Europa