Bulgarie : l’énergie en transition
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DorothéeDépendante du gaz russe, la Bulgarie mise sur le nucléaire quitte à se mettre l’Union européenne à dos. Rajouter les problèmes de corruption, et les intérêts géopolitiques de l’Est comme de l’Ouest : une situation électrique.
Au cours de l’hiver, la Russie a cessé de fournir du gaz à ses voisins européens suite à un conflit avec l’Ukraine. La Bulgarie qui est dépendante de cette source d’énergie à 95 %, a été le pays de l’UE le plus gravement touché par la coupure. Quatre mois plus tard, le gaz a retrouvé la route des gazoducs mais dans ce pays des Balkans, l’énergie reste une préoccupation majeure. Et pas que le gaz…
« L’énergie nucléaire est une manne pour la corruption, bien plus facile que les petits projets »
Le réseau électrique en Bulgarie a été conçu selon un modèle communiste. Contrôle du marché par l’Etat, manque d’innovation, émissions de carbone, et une rentabilité énergique très faible (de 2 à 8 fois inférieure à la moyenne européenne)… Bref, il n’est pas adapté aux exigences de l’UE. De son côté, le gouvernement socialiste prépare un nouveau plan stratégique sur l’énergie, « sans débat public », comme le dénonce Todor Slavov. Ce membre de l’association écologiste Za Zemiata nous reçoit dans un appartement au mobilier spartiate, non loin de la cathédrale de Sofia.
Ce plan prévoit notamment la fin des travaux de la centrale nucléaire de Belene, en cours de construction depuis plus de vingt ans. Ce n’est pas une surprise : bon nombre de pays européens ont également fait le choix du nucléaire. Pourtant, le cas de la Bulgarie semble plus compliqué. Selon Giorgi Stefanov, responsable de WWF en Bulgarie, le pays produit plus d’énergie qu’il en a besoin : « La capacité de production énergétique de la Bulgarie est de 13 500 mégawatts et la demande a plafonné les 8200 mégawatts lors de la crise du gaz russe. »
Plus d’énergie pour qui ?
Pourquoi produire plus d’électricité qu'il n'en faut ? Selon Dimiter Brankov, vice-président de l’Association de l’industrie et de l’union des commerçants de Bulgarie, « c’est une question de sécurité dans la région. » Dans son luxueux bureau à quelques mètres du Palais de Justice, il estime que fournir de l’électricité aux Etats voisins est une priorité, en particulier au Kosovo, à la République de Macédoine et à la Serbie. « Mais pour les vendre à qui ? », rebondit Stefanov qui pointe le fait qu’actuellement, la Bulgarie n’exporte que 500 mégawatts et qu’il n’existe pas de nouveaux accords commerciaux couvrant le surplus d’énergie.
Slavov, d’une voix posée, expose sa vision des choses : « Le gouvernement dépense soit disant de l’argent dans la poursuite des travaux à Belenet. Or nous suspectons que ce budget atterrisse en réalité dans les mains du secteur privé. » Divers experts soulignent l’intérêt des entreprises dans ce projet. Parmi elles, une dénommée Enemona. Il s’agit de l’entreprise la plus importante dans le nucléaire. Elle appartient à l’ancien ministre de l’énergie, Roumen Ovtcharov, lui-même impliqué dans plusieurs scandales de corruption. Et si nous croyons sur parole ce que nous raconte Petko Kovatchev, fondateur du nouveau parti des Verts, « l’énergie nucléaire est une manne pour la corruption, bien plus facile que les petits projets. »
Fiers de leur centrale
A la nouvelle centrale nucléaire de Belene, s’ajoutent d’autres projets, comme la réouverture de la centrale de Kozlodui. Sa fermeture était pourtant une condition sine qua non à l’entrée de la Bulgarie dans l’UE. Kozlodui, principale pomme de discorde entre l’Europe et l’opinion publique bulgare, « fait l’objet d’une campagne médiatique lancée à l’initiative du gouvernement, contre les règles européennes », explique Stefanov. Dimiter Brankov défend évidemment un autre point de vue : « La fermeture de la centrale a été une décision stupide des négociations d’adhésion, estime-t-il. Cette centrale est plus sûre que n’importe quelle centrale française ou anglaise ! »
« Les gens doivent savoir ce qui se passe en Bulgarie »
Au total, l’ensemble de ces projets coûtent entre 26 000 et 33 000 millions d’euros, commente Giorgi Stefanov, qui assure que la moitié de la somme provient de fonds publics. « Si une partie de cet argent avait été dépensée dans le souci de gagner en efficacité, on pourrait aujourd’hui économiser plus d’énergie qu’il en serait produit. » Après cet entretien, alors qu’il me guide à travers les rues glaciales de Sofia jusqu’au bâtiment de la Radio nationale, Giorgi insiste, essoufflé : « Les gens doivent savoir ce qui se passe en Bulgarie. » Les centrales nucléaires participent à l’orgueil national, et cela ne semble faire aucun doute pour le peuple bulgare. Stefanov le confirme d’ailleurs : « Notre économie n’étant pas le fleuron de notre nation, les Bulgares se sentent fiers de leurs centrales nucléaires. C’est une idée très diffusée par les médias. »
Et les énergies propres
Et une épine dans le pied de la Bulgarie. Car la Russie joue également un rôle dans tout cela. Selon l’activiste Petko Kovatchev, l’influence russe est toujours d’actualité : « La Russie utilise la situation pour servir, depuis la Bulgarie, ses intérêts géopolitiques. C’est une façon de maintenir les Etats européens divisés », me dit-il en même temps qu’il engloutit un petit déjeuner copieux dans l’unique Starbucks Cafe de Sofia. Afin d’expliquer le pouvoir de déstabilisation russe en Europe, il fait allusion à la réaction incohérente de l’UE pendant la crise de l’énergie. Stoyan Faldijyski, de la fondation Time, prend pour exemple une phrase prononcée par le ministre de l’énergie, Petar Dimitrov : « La nouvelle installation nucléaire sera la carte de visite des entrepreneurs russes en Europe. » « L’uranium sera russe, la technologie est russe… Nous parlons d’indépendance énergétique mais en réalité, tout vient de la Russie ! », conclut Stoyan, indigné.
En plus du problème de l’énergie, le manque de confiance du peuple bulgare vis-à-vis de la politique ajoute au malaise. Alors, quelle est la solution ? Selon Stoyan, « l’unique espoir réside dans l’action du gouvernement pour une énergie verte. » D’après le scénario alternatif présenté par l’association Za Zemiata, la Bulgarie pourrait prendre en charge la totalité de sa consommation d’énergie grâce à l’énergie propre. Un plan optimiste, réalisé à partir de données publiées par le gouvernement et l’opinion des experts. Dimiter Brankov conteste les objectifs chiffrés imposés à la Bulgarie et dénonce « un manque de compréhension des nécessités des nouveaux Etats membres de la part de l’UE. »
Malgré tout, certains gardent espoir en la politique. Petko Kovatchev, activiste contre le régime communiste et militant en faveur de l’environnement, espère pouvoir se présenter aux élections bulgares et européennes avec un nouveau parti, Zelenite. « Nous pouvons nous convertir en un parti qui initiera la normalisation de la vie politique bulgare », affirme-t-il plein d’espoir. Atanas Georgiev, rédacteur de la revue Utilities, est plus pragmatique : « Les solutions ne viendront pas de l’UE, tout est entre les mains de la Bulgarie. »
Merci à Alexandre Nedeltchev pour son aide !
Translated from Bulgaria: energía en transición