Participate Translate Blank profile picture
Image for Bruxelles : le rire comme thérapie politique

Bruxelles : le rire comme thérapie politique

Published on

BruxellesPolitique

« En Belgique, la situation est toujours désespérée, mais pas grave ». C'est peut-être cet humour si caractéristique qui donne au Belge le pouvoir internationalement admiré de traverser les pires crises politiques presque sans s'en aperçevoir. Mais pas de quoi s'imaginer une patience sans limite ...

Face aux mesures d'austérité prévues dans l'accord du nouveau gouvernement, une mobilisation à grande échelle a commencé à se mettre en place à Bruxelles, dont la Protestparade du 19 octobre a donné le coup d'envoi. Résister, oui ! ... Mais toujours avec humour.

Comme le fait judicieusement remarquer Jacobo de Regoyos dans son livre Belgistan, le laboratoire nationaliste, « les Belges savent faire appel à l’humour quand c’est nécessaire. » Dans ce pays en sursis perpétuel qu’est la Belgique, dont l’état de crise politique semble être le mode de fonctionnement normal et indépassable, on connaît la valeur fédératrice de l’humour, brillamment illustrée dans la fameuse maxime : « en Belgique, la situation est toujours désespérée, mais pas grave ». Pas grave, vraiment ? Ce n’était pas l’avis du PTB (Parti du Travail de Belgique, ndlr) lorsqu’il a appelé, le dimanche 19 octobre dernier, à une manifestation de grande ampleur contre les réformes anti-sociales annoncées dans l’accord du nouveau gouvernement. Ce n’est pas non plus ce que semblaient penser les quelque 7000 manifestants qui débarquèrent à Bruxelles ce jour-là, venus des quatre coins de la Belgique pour défendre leurs droits au nom de la résistance sociale : « debout pour l’index, protégeons nos revenus ! », « handen af van onze index », « langen werken nee ! », « les jeunes au boulot, les aînés au repos ! », … de loin en loin, slogans en néerlandais et en français se répondirent, unis au sein d’une même clameur (la langue, facteur éternel de division politique en Belgique…? Rien ne semblait plus faux en cette belle après-midi d'octobre). Ethel Karskens s'est rendue à la rencontre de cette foule bourdonnante, et soulève pour vous un coin du drapeau rouge.

La situation est grave, donc. Faut-il pour autant arrêter de rire ? Sûrement pas, surtout quand la crise est telle qu'elle rend le quotidien délicieusement ridicule : « on ne vous demande pas de trouver du travail, mais d’en chercher ! », nous a ainsi avisé Serge Baert, porte-parole de l’Onem.  Conciliant, un groupe de militants s’est donc armé le jour J d’un « kit de recherche » (loupes, jumelles et lampes de poches) pour partir en quête de ce satané travail, bousculant dans leur zèle les autres manifestants. 

C’est donc sur un mode ludique, joyeux, carnavalesque, que la colère s'est manifestée ce 19 octobre.  Invités par le PTB à venir « exprimer d’une manière créatrice leur mécontentement », les différents groupes représentés ne se sont pas fait prier. Le résultat ? Un magnifique tableau surréaliste, à l’image du pays, où les créations collectives (chars, déguisements, mises en scènes vaudevillesques) jouxtaient des initiatives plus personnelles - voire, en cherchant bien, carrément hors-contexte ... mais bon, le principal c'est d'être là, non?

Une forme d'humour moins consensuelle fut celle manifestée deux jours plus tard par certains membres de la FGTB (Fédération Générale du Travail en Belgique, ndlr) : repeindre le siège du MR (Mouvement Réformateur, ndlr), parti au pouvoir aux couleurs de la NV-A (Alliance néo-flamande, ndlr) à coups de balles de paintball constituait certes une boutade éloquente, mais qui ne fit pas rire tout le monde (comme quoi, les goûts et les couleurs ...). D'autres actions de mobilisation et de lutte sont prévues dans les semaines à venir : les syndicats en front commun prévoient d'organiser une manifestation nationale le 6 novembre, ainsi qu'une série de grèves tournantes dans les différentes provinces belges avant la grande grève nationale du mercredi 15 décembre. Le mouvement semble donc bien décidé à se maintenir et à ne rien lâcher. Voire à se débarrasser purement et simplement de ce gouvernement ennuyeux, dont la légitimité est de toute façon déjà âprement contestée... « Ce gouvernement doit tomber ! », charrient ainsi plaisamment ces petits facétieux de la FGTB. Une chose est sûre : on n'a pas fini de rire.