Bruxelles : la presse est unanime
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Un relevé systématique de l’emploi du mot « Bruxelles » dans la presse nous en apprend beaucoup sur son utilisation et sa signification. Poésie ou stratégie ?
Le journaliste, qui aime le style et les figures de style, use et abuse d’une de ces dernières, bien connue : la métonymie, ça raccourcit et c’est joli. Le Rocher dément, Le Vatican dénonce, de la même manière que Matignon promet, Downing Street s’aligne, Paris s’éveille et Bagdad capitule. Et que fait Bruxelles ? Examinons la presse française une journée.
On remarque tout d’abord l’omniprésence de Bruxelles, dans tous les types de journaux (quotidiens, hebdomadaires, presse locale et nationale), et ce dans toutes les rubriques (politique nationale, internationale, affaires européennes, économie, société…).
En vrac, ce vendredi 11 avril 2003 dans la presse française : les grandes orientations de la politique économique (GOPE et politiques budgétaires), l’ouverture des secteurs autorisés à la publicité télévisée, les sanctions contre les syndicats agricoles, le respect de la libre concurrence, France Telecom, l’autorisation de l’utilisation de graisses de substitution dans le chocolat, la réglementation des pêcheries en Méditerranée.
L’imprécision contribue à l’opacité des institutions européennes
Qui décide de quoi et où ? Ceux qui prennent la parole pour dénoncer les politiques de Bruxelles savent de quoi ils parlent et qui ils accusent. Lorsqu’on évoque le nom de la capitale belge dans les médias, on désigne plus souvent les institutions européennes que le gouvernement belge.
Qui est « Bruxelles » ? Pourquoi une ville décide-t-elle maintenant de ce qu’il faut mettre dans le chocolat ? La plupart des articles mentionnent à bon escient le nom des institutions concernées : La Commission, le Conseil de l’Union Européenne composé des gouvernements des Etats Membres, le Parlement européen. Néanmoins il est utile ici de rappeler que c’est le Conseil des Ministres de l’UE (avec les Parlement dans certains domaines) qui prend les décisions et adopte les normes, directives, règlements, ou décisions formant la législation communautaire et que c’est la Commission qui est chargée de son côté d’assurer la mise en oeuvre de ces normes et de surveiller, en tant que « gardienne des traités » leur bonne application. À ce titre en une journée de presse, l’on remarque que cette Commission ou son double Bruxelles «gronde, réclame, attaque, réitère, condamne, exige, contraint, sanctionne, tance, somme, reproche, rappelle, donne des leçons »...
Brouiller les pistes pour rejeter la faute
Les médias nationaux seraient-ils influencés par le discours ambiant des gouvernements nationaux qui ont souvent tendance à se présenter comme contraints ou limités dans leur champ d’action par l’UE et à rejeter la responsabilité d’une décision impopulaire sur Bruxelles ? On brouille ainsi les pistes, on rejette la faute : est-ce de la poésie ou de la stratégie ? On peut regretter que l’usage intensif de « Bruxelles » masque les réalités complexes du processus décisionnel. On peut effectivement dénoncer l’opacité et la complexité de ce processus, le manque de clarté notamment concernant la répartition des compétences (principe de subsidiarité) entre l’UE et les Etats Membres. Et regretter que les bonnes nouvelles soient présentées comme relevant du mérite des gouvernements quand les mauvaises sont imputées à Bruxelles, diabolisée.
À la décharge des hommes politiques et des journalistes, force est de constater que le processus décisionnel communautaire est assez complexe et que l’élaboration d’une politique à 15 requiert un certain niveau de technicité et diffère surtout de l’élaboration de politiques nationales, objet d’un jeu connu de tous entre majorité et opposition. Ces politiques sont en outre popularisées par les prises de positions des partis politiques, des syndicats et autres acteurs de la scène politique et de la société civile.
La décision est ailleurs
Cette imprécision donne l’impression que tout est décidé dans un endroit isolé et coupé du reste du monde. Le « village des eurocrates » est loin, dans un pays méconnu des Américains. Les décisions qui s’y prennent viennent d’ailleurs ; on a du mal à percevoir leur légitimité.
On sait pourtant que la vérité peut être ailleurs, à Strasbourg, Luxembourg ou dans toutes les villes où ont lieu les conseils européens, les sommets de chefs d'États et de gouvernement se tenant désormais toujours à Bruxelles. L’utilisation de « Bruxelles » ne reflète pas la réalité qui est en fait plus multiforme : ce n’est pas Bruxelles contre le reste de l’Europe mais Bruxelles avec le reste de l’Europe. L'impression que ce mot donne aux lecteurs c'est celui d'une ville étrangère, d'une entité externe qui impose des choix arbitraires alors que si Bruxelles il y a, il s'agit d'un ensemble d'institutions forgées en commun par et pour les Européens.
Finalement, ce que l’on stigmatise, lorsqu’on évoque Bruxelles dans les journaux, c’est la plupart du temps la Commission, peut-être parce qu’elle n’a pas d’équivalent à l’échelle nationale. La seule institution véritablement communautaire a donc mauvaise presse.
Les images données par la télévision ne sont guère plus séduisantes : l’image qui nous est donnée de Bruxelles, à l’occasion des sommets européens ou des manifestations d’agriculteurs est froide : 15 drapeaux entourés par des murs de béton et une bretelle d’autoroute, ne contribuent pas à humaniser les institutions européennes.
Qu’elle soit volontaire, pour masquer des décisions impopulaires, ou inconsciente par une reprise un peu rapide du discours des hommes politiques, l’imprécision que nous avons décrite contribue à l’opacité des institutions et au sentiment d’éloignement des citoyens. Rappeler que la plupart des décisions prises par ou à « Bruxelles » le sont par les ministres des Etats Membres et par le Parlement Européen et que ce sont ces mêmes Etats qui mettent en œuvre dans tous les domaines les politiques européennes n’est donc pas vain au moment même ou le processus de décision communautaire s’apprête à devenir encore plus complexe avec le passage à l’Europe des 25.