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Brodka : rituel païen avec une star polonaise

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Story by

Natalia Kuc

Translation by:

Florian Peeters

Creative

Monika Brodka aime Varsovie et Nirvana. Elle a deux chats et elle pense qu'aller à l'église, c'est avant tout un plaisir pour les sens. Nous avons rencontré la star polonaise à l'occasion de la sortie de son album Clashes, son premier album composé uniquement de chansons en anglais.

cafébabel : En préparant notre rencontre, j'ai trouvé quelques références à Nirvana. Dans une interview, tu dis que c'est ton groupe préféré. Dans une autre, tu dis que Kurt Cobain s'est suicidé d'une balle dans la tête parce qu'il ne supportait pas la popularité. Au début du single « Horses », on peut entendre les mots utilisés par Kim Gordon pour décrire Courtney Love. D'où vient cette passion ?

Brodka : De mon adolescence. J'avais vu leur concert sur MTV Unplugged. J'ai longtemps cru qu'ils ne jouaient que du rock en acoustique, un peu brut et sauvage. Des chansons géniales, un chanteur triste, tout ça m'a beaucoup plu. Un peu plus tard, j'ai acheté la cassette de leur concert From the Muddy Banks of the Wishkah, je suis tout de suite passé au hardcore. Pour moi, Nirvana, c'est un groupe intemporel. Leurs clips m'ont toujours donné des frissons.

cafébabel : Tes clips aussi transmettent beaucoup d'émotions. À travers eux, on reconnaît ton intérêt pour la photographie et la mode. Comment perçois-tu la relation entre l'aspect visuel et la musique d'un album ?

Brodka : Pour moi, c'est une sorte de symbiose. J'aime beaucoup le cinéma. Quand je suis arrivée à Varsovie et que je ne connaissais encore personne, j'ai acheté des tonnes de DVD qu'on vendait dans la rue. Je les ai tous regardés. Les images m'ont toujours beaucoup influencée, mais je ne suis pas arrivée à me définir. J'ai beaucoup mûri avec mon album Granda (son troisième album, ndlr) je connaissais mieux mes envies, je savais quel genre de musique je voulais jouer et les messages que je voulais faire passer au niveau visuel. Et même pour Clashes, mes goûts et mes envies ont encore évolué. Je marche énormément à l'intuition, mais il me faut agir pour trouver les réponses à certaines questions. Pour la première fois, j'ai supervisé toute la mise en scène d'un de mes clips (celui du single « Santa Muerte », ndlr), ce qui a toujours été un de mes rêves.

cafébabel : Ça fait déjà 6 ans que ton dernier album Granda est sorti. Qu'est-ce qui a changé dans ta vie privée et sur la scène musicale ? 

Brodka : Beaucoup de choses ont changé sur la scène musicale. Avant en Pologne, la musique se limitait surtout à la musique mainstream et à la musique underground. On avait du mal à trouver de la pop, de l'alternatif, de l'indie ou de l'electropop. Granda a contribué à l'émergence de la « musique de milieu ».

Avec la place de plus en plus importante des festivals et d'Internet, beaucoup de nouveaux groupes ont fait leur apparition : après tout, pas besoin d'être musicien pour faire de la musique. Cette révolution s'est traduite par une vague de chansons plutôt médiocres, il fallait se démener pour trouver la perle rare. Mais je pense que cette concurrence est nécessaire, elle donne envie de toujours faire mieux. 

En ce qui me concerne, j'ai beaucoup voyagé. Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour enregistrer un nouvel album après Granda. En général, la promotion d'un album à l'étranger dure un an, voire un an et demi. La promotion de Granda a duré 3 ans. En même temps, l'EP LAX avait aussi vu le jour.

cafébabel : En parlant de voyages, tu as enregistré Clashes à Los Angeles. Pourtant, ton QG est toujours à Varsovie. Pourquoi aimes-tu tant cette ville ?

Brodka : À Varsovie, j'aime retrouver le calme d'une petite ville. C'est une capitale à taille humaine. Ça fait 12 ans que j'y habite, j'ai eu la chance de la voir se transformer, et pas qu'un peu. On y trouve beaucoup de projets intéressants, et le secteur gastronomique y est en plein essor. Je suis ravie de voir ça de mes propres yeux.

J'adore les feux de camp au bord de la Vistule en été. On se croirait presque à un rituel païen en plein centre-ville. C'est tout simplement magnifique de voir ces lumières quand on traverse le pont. 

cafébabel : Restons en Pologne, et même à Varsovie : il y a deux mois, tu as partagé une photo de toi sur Instagram tenant une pancarte avec le hashtag #PopieramDziewuchy [Je soutiens les filles]. Qu'est-ce qui se passe avec la Pologne ?

Brodka : Bonne question. Je n'ai jamais vraiment été engagée, que ce soit en politique ou pour des causes humaines, mais dans ce cas, je me suis sentie assez concernée (et énervée) pour faire le pas. Chaque personne devrait avoir le droit de réfléchir sur le sujet tellement intime, selon sa conscience. Les jeunes femmes des grandes villes savent ce qu'elles font. Interdire l'avortement, c'est les pousser à adopter des pratiques clandestines et dangereuses. Si quelqu'un pense que la religion a sa place dans le débat, c'est un choix personnel.

cafébabel : L'église a une place importante dans l'album Clashes, mais pas celle que nous lui connaissons. J'ai l'impression que tu lui rends une dimension artistique.

Brodka : L'église est une sorte de théâtre, et mon nouvel album en est profondément influencé. J'ai eu l'idée d'une thématique d'église grâce à l'orgue, instrument que j'avais envie d'utiliser dans ma musique - il a donné à l'album son côté mystique et rituel. Par la musique, je voulais transmettre une sorte d'aura de l'église. Par exemple, le titre « Kyrie » illustre parfaitement cette sensation que l'on ressent quand l'on est dans une grande église vide et que l'on entend un chœur au loin. Quand j'étais petite, l'aspect visuel autour de l'église me fascinait vraiment. Je ne comprenais rien à la Bible, je répétais des mots qui ne voulaient rien dire avec une foule de croyants. L'odeur de l'encens et le son de l'orgue, joué par un musicien caché à la vue de tous, stimulaient mes sens. J'ai toujours adoré les costumes ecclésiastiques et leurs couleurs. Ce n'est pas un album sur la religion, peut-être plus sur le sacré, quelque chose dont chacun a besoin dans le monde sans autorités. « Got no guru that will take me home », il n'y a personne qui pourrait nous montrer la voie à suivre.

cafébabel : Tu avais déjà quelques chansons en anglais et en français à ton actif avant Clashes. Est-ce que tu ressens une différence quand tu chantes ou écris une chanson dans une langue étrangère ?

BrodkaPour moi, le texte est quelque chose de très important. Mon approche à l'écriture est toujours la même : il faut de la poésie, de l'abstrait, des associations de concepts inattendues, des métaphores plus étranges les unes que les autres, et une certaine phraséologie. Je parle bien anglais, mais je ne savais pas si j'étais prête à écrire de la poésie dans cette langue. Un ami de New York m'a beaucoup aidée. J'ai écrit les textes, je les lui ai lus, et il m'a donné des conseils pour remplacer un mot avec un autre moins évident.

J'ai trouvé beaucoup de mes textes en composant une musique. Quand je compose, je chante en anglais, je ne réfléchis même pas au sens. En polonais, je n'arrive pas à chanter sans qu'un non-sens ne me bloque, alors que la mélodie passe avant tout quand je travaille en anglais. Parfois, je trouve quelques mots, parfois, ce sont des phrases complètes. Souvent, je trouve de bonnes idées de textes, comme pour « Santa Muerte », ou bien « Horses ». Je n'ai jamais eu l'intention d'écrire une chanson sur les chevaux, j'ai trouvé les paroles lors de l'enregistrement. Quand j'ai joué cette chanson à des amis, ils ont vite commencé à chanter [elle chante le refrain]. Je ne voulais pas priver cette chanson de son côté catchy, le problème était de construire une histoire autour des chevaux. J'ai dû lutter longtemps pour lui trouver un texte. Elle est d'autant plus bizarre que chaque parole est tirée d'une histoire différente et que le tout ne devient cohérent qu'à la fin. 

cafébabel : Tu pars à la conquête des marchés étrangers. Ça ne te dérange pas de recommencer tout depuis le début en quelque sorte ? 

BrodkaCe n'est pas facile. C'est rare de voir un artiste sortir son quatrième album à l'étranger. Les attentes du public polonais envers ma musique sont totalement différentes de celles des publics étrangers. Moi, j'aime les défis. Pour le moment, c'est un rêve, mais de plus en plus de personnes écoutent ma musique. J'ai écrit des chansons en anglais pour faire voyager ma musique avec moi, et pour ne pas l'enfermer dans la sphère polonaise. La Pologne, ce n'est pas l'Islande. Depuis Björk, on sait que tous les groupes islandais sont automatiquement cools. Personne ne connaît la musique polonaise à l'étranger, ou peut-être juste quelques groupes de métal. Ce serait cool de changer cette tendance, et je serais très fière de pouvoir aider. 

cafébabel : Dernière question : comment s'appelle ton chat ?

Brodka : J'ai deux chats. Le premier s'appelle Boniek, parce qu'il est roux et qu'il ressemble à Zbigniew Boniek. Le deuxième s'appelle Sawa, en rapport avec la légende de Varsovie qui raconte qu'un couple, Wars et Sawa, serait à l'origine de la création de la ville. En plus, en français, Sawa ressemble à « ça va », du coup mon chat s'appelle « ça va ».

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Écouter : 'Clashes' de Brodka (2016/Kayax/PIAS)

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Translated from Brodka: Pogański rytuał w centrum miasta