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Brexit : qu'est-ce que les journalistes anglais en font ?

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BruxellesPolitiqueBrexit : la possibilité d'une île

Côté presse britannique, grands défenseurs et éternels détracteurs de l’Union européenne se retrouvent attablés côte à côte à Bruxelles pour couvrir les négociations autour du Brexit. À quelques mois d’un éventuel référendum, comment ces journalistes voient-ils leur rôle face à l’opinion publique ? Rencontres.

« Historique », « grand », « un vrai événement »... voici les mots utilisés par différents journalistes britanniques pour décrire ce Conseil européen des 18-19 février dont le sujet principal - et brûlant - le Brexit, éclipse presque les négociations sur les migrations qui se déroulent en parallèle. « Généralement, les sommets sont très ennuyeux à couvrir, mais là c’est différent », confie un journaliste britannique qui a préféré taire le nom de son média. Et en effet, cette fois, 1 600 journalistes de toutes nationalités ont été accrédités, environ un tiers de plus qu’en temps normal.  

« Quoi que Cameron fasse, ils diront que c'est un vendu »

Sans surprise, cet emballement est particulièrement visible côté britannique. « Généralement, 80-90 médias britanniques sont présents, cette fois, ils sont 150 », explique le service de presse du sommet. Et quels médias ! Attablés côte à côte, les correspondants de différents journaux aux tendances politiques bien marquées se font face. Mobilisés pour l’occasion, pas moins de sept journalistes du Financial Times - journal partisan de l’intégration européenne - fignolent leur papier sur leur ordinateur portable, à deux petits mètres du correspondant du Daily Express, ouvertement hostile à l’UE. Et à quelques mois d'un éventuel référendum sur le Brexit, la question du rôle et de la responsabilité des médias sur l'opinion publique mérite d'être posée. 

Ponctuellement, un diplomate ou un porte-parole descend pour donner des informations sur l’avancée des négociations, qui, pour rappel, abordent les conditions du maintien du Royaume-Uni dans l’UE. Les journalistes sagement assis se massent alors autour de la source pour mieux entendre. Apprises au compte-gouttes, ces informations sont donc somme toute semblables. Il n’empêche, le lendemain, titres et conclusions de ces journaux n’auront rien de comparable. 

« Les journaux au Royaume-Uni sont très divisés au sujet de l’Union européenne, confirme George Parker du Financial Times. The Guardian, The Independent ou encore le Financial Times sont pro-UE, tandis que le Daily Mail, The Sun ou encore le Daily Express y sont très très hostiles. » Il ajoute : « Quoi que David Cameron fasse lors de ce sommet, ces journaux diront qu’il est un vendu, que c’est une trahison, qu’il aurait dû demander plus ».

« Nos lecteurs vont probablement être déçus »

Et en effet, du côté du Daily Express, le scepticisme est de mise. Le journaliste Macer Hall confie ses premières impressions : « Nos lecteurs vont probablement être déçus. Ils voudraient que Westminster récupère bien plus de pouvoir, que le pays ait vraiment le contrôle des frontières et de l’immigration. Cet accord ne délivre pas ça ».

S’il y a un point qui les met tous d’accord, c’est bien leur commune « volonté d’être juste, nuancé, de présenter clairement cet accord et de donner les clés pour le comprendre ». Sachant - bien sûr - que très peu de lecteurs vont se plonger eux-mêmes sur les conclusions et détails de l’accord. Mais une question se pose : cette volonté est-elle vraiment compatible avec une prise de position politique ? Un journaliste qui n’a pas voulu associer son média à ses propos résume la situation en déclarant : « L’objectif c’est d’être juste, mais également juste avec sa vision des choses ». 

Le correspondant du Daily Express confirme : « Au final, les faits présentés seront les mêmes, mais pas l'orientation de la pensée. En même temps, les gens ont tendance à acheter des journaux qui correspondent à leur opinion ».

La pression du lectorat ?

S'il ne fait pas tout, le lectorat est un élément majeur. « Dans la couverture d’un même sujet, certains journaux vont donner  une plus grande importance à certains côtés en fonction des intérêts de leur lectorat », explique David Charter du Times.

Ainsi, « comme les lecteurs du Financial Times s’intéressent au monde de la finance et de l’économie, le journal va se concentrer sur ce sujet », ajoute-t-il. Et sachant que le Brexit comporte un risque à ce niveau - à l’image des menaces proférées par la banque Goldman Sachs de quitter le Royaume-Uni en cas d’une sortie de l’UE - il n’est pas étonnant que le Financial Times y soit ouvertement opposé.

Du côté du Daily Express, on confirme également la démarche : « On se focalise sur les points importants pour les lecteurs. L'immigration, par exemple ». 

Une vraie influence sur les Britanniques ?

Référendum en vue ou non, le rôle et la responsabilité médiatique ne sont pas perçus de la même manière par les journalistes. « Cette situation n’est pas inhabituelle, c’est déjà le cas lors des élections », rappelle David Charter du Times.

« Pouvoir donner son avis, c’est le grand avantage de vivre dans une démocratie, avance le correspondant du Daily Express. Ainsi, il n’y a pas qu’un seul journal avec un avis, mais différents points de vue. » Par ailleurs, se défend-il, « les gens sont capables d'avoir leur propre opinion. Ils ne consomment pas qu’un seul média. Ils regardent la télévision, écoutent la radio, lisent les journaux, regardent les infos sur Internet, il y a plein de sources différentes. Je ne pense pas qu’un journal à lui tout seul ait beaucoup de pouvoir. »

Du côté du Financial Times, on relativise également l'influence des médias : « Oui, on a la responsabilité de présenter les choses de manière correcte et équilibrée, mais au final je ne pense pas que les Britanniques voteront au référendum en fonction de ce qui a été décidé lors de ce sommet. Ils voteront plutôt en fonction de ce qu’ils pensent être du ressort de notre intérêt national, ou sécuritaire ».

De leur côté, les journalistes qui travaillent pour la télévision ou la radio ne se posent pas toutes ces questions. « Dans la loi britannique, tout ce qui est diffusé doit être impartial », explique un journaliste. Face à tous ces clivages présents dans la presse, confie un journaliste TV, « on se sent investis d’une responsabilité encore plus grande. Car les gens savent qu’ici, on ne prend pas parti. » 

Et à la question de savoir, dans le cas où le Brexit ait lieu, si les correspondants britanniques devront-ils rentrer, on répond : « Non, non. il y aura probablement même plus de choses à couvrir sur le court/moyen terme ». Mais par la suite… « Peut-être ». 

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Cet article a été rédigé par cafébabel Bruxelles. Toute appellation d'origine contrôlée.