Brexit : les femmes seront les premières touchées
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Christophe DennaudAu Royaume-Uni, les élections du 12 décembre 2019 ont fait triompher les conservateurs de Boris Johnson et consacrent définitivement la sortie du pays de l’Union européenne. Si les institutions communautaires sont satisfaites du résultat, qui en clarifiant la situation ouvre la voie à un éventuel accord sur la sortie, les femmes elles se préparent à de dures années.
Des dizaines de jeunes travaillistes attendent avec impatience les premiers résultats des élections dans un pub de Londres. Mais à la publication des premières estimations, une vague de déception gagne la salle. La victoire de Boris Johnson semble écrasante : le Brexit aura bien lieu. Sally, dix-neuf ans, saisit immédiatement son téléphone pour appeler sa famille : « Ma mère travaille depuis vingt-cinq ans au National Healthcare Service (NHS, système de santé national, ndlr). Il y aura d'autres coupes budgétaires et on va vers une privatisation du service : nous sommes inquiets » , dit-elle. Sally était trop jeune pour voter au référendum de 2016. Ce tour de scrutin était sa seule chance de se faire entendre : « En tant que femme j'ai peur de cette société qui se dégrade, qui perd ses valeurs », affirme-t-elle, avant de conclure : « Je pense que les conséquences seront lourdes pour tout le monde ».
Brexit ne s’accorde pas au féminin
Système de santé mis à part, des militantes et des observateurs craignent que la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, et par conséquent, du cadre de protection des droits garanti par le système européen, affecte surtout les femmes. « Notre politique se base sur la common law et les normes européennes ont une grande influence sur notre système » observe Roberta Guerrina, professeure à l'Université de Surrey. De 2017 à 2019, elle a été titulaire d'une chaire Jean Monnet en politiques d'égalité hommes-femmes et Union européenne (l’action Jean Monnet et ses activités financent la recherche et l’enseignement sur l’Union Européenne). Grâce au soutien du programme, elle a créé un réseau de chercheurs qui étudie les politiques publiques en matière d'égalité des sexes.
Il y a quelques années, lors d'un débat sur le Brexit à la radio sur la BBC, l'animateur a justifié l'absence de femmes dans l'émission, prétextant qu'il n'y avait aucune experte compétente en la matière. Après avoir entendu cela, elle a contacté certaines de ses collègues et envoyé par courrier à la BBC une liste comportant des dizaines de noms. Ces dernières années, ses recherches lui ont valu des menaces répétées en ligne et par courrier. « Le discours sur le Brexit est toujours centré sur des valeurs masculines, il s'adresse à un public d'hommes et est mené par des orateurs du même sexe. Malheureusement ce sont surtout les femmes qui en paieront les conséquences, elles qui sont déjà touchées par des années d'austérité et des coupes budgétaires dans les politiques actives de l'État providence : de l'éducation à la santé, en passant par les primes de naissance » déclare-t-elle. « Lors de la campagne pour le Brexit personne n'a évoqué les conséquences sur les droits des citoyens et en particulier des femmes ».
Adieu mesures de protection européennes ?
« L'impact du Brexit sur le plan juridique sera lourd ». C'est ce qu'affirme Aisha K. Gill, professeure de criminologie, experte en études de genre, de l'Université de Roehampton. « Les lois britanniques en faveur des femmes telles que l'Equal Pay Act de 1970, le Pay Discrimination Act de 1975 et l’Equality Act de 2010 (mesures pour la réduction des inégalités entre hommes et femmes dans le milieu économique, ndlr) ont été introduites grâce à des directives européennes ».
Le Women’s Budget Group (WBG), un observatoire britannique sur les politiques d'égalité entre hommes et femmes, a insisté sur les changements radicaux que va subir la composition du tissu économique britannique. Les secteurs durement touchés seront par exemple l'industrie manufacturière, principalement masculine, mais également l’industrie textile ainsi que le secteur sanitaire et des services sociaux, où l’emploi féminin est majoritaire. Des études montrent aussi qu'un « Brexit dur » , ou sans accord, aurait des conséquences bien plus lourdes sur le salaire moyen des femmes que sur celui des hommes, tandis qu'un « Brexit mou » serait relativement plus égalitaire.
C'est aussi pour cette raison que le WBG a fait part de sa grande inquiétude par rapport au Withdrawal Agreement Bill. Une loi qui d'un côté ratifie la sortie définitive du Royaume-Uni de l'UE, et de l'autre engage le pays à intégrer comme normes de droit national des textes législatifs en vigueur en Europe. Quel est le problème ?
L'accord prévoit l'attribution de larges pouvoirs aux ministres, amenés à modifier et abroger des textes de législation primaire, dont le Withdrawal Act (la loi sur le retrait de l’Union Européenne, ndlr) lui-même. Ces pouvoirs, comme le dénonce le WBG, permettront aux membres du gouvernement d'apporter des changements substantiels aux lois sur l'emploi et aux Equality Acts (les lois sur la protection contre la discrimination, ndlr) de 2006 et de 2010.
Les associations féministes d'outre-Manche estiment que des droits acquis après des décennies de combats, comme le congé parental, la parité et l'égalité des salaires pourraient être touchés. De plus, Amnesty International s'inquiète de la non-application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans le droit national. Cela implique que tout recours devant les tribunaux sur la base de lois européennes sera impossible.
Et si l'argent faisait le bonheur ?
Mais les ennuis ne s'arrêtent pas là, et ne se limitent pas à des questions juridiques. Comme dans d'autres pays de l'Union, le milieu associatif britannique a bénéficié d'importants financements de la part de Bruxelles au fil des ans. De l'argent destiné à combattre les violences faites aux femmes et à promouvoir l'égalité des sexes contribuant ainsi à limiter les coupes incessantes dans ce secteur des dix ans d'austérité. Depuis 2010, les centres anti-violence ont vu leurs subventions diminuer et touchent désormais près de 7 millions d'euros : une structure sur six a fermé ses portes.
Sous la gouvernance du Parti conservateur, tandis que les dépenses en faveur des organisations proposant des services aux femmes ont été réduites de 50%, les demandes d'aides ont augmenté de 85%. Les conséquences sont immédiates : à Londres, entre 2011 et 2018, les violences conjugales ont augmenté de 63%, passant de près de 48 000 cas recensés à plus de 78 000. Mais le problème ne se limite pas à la capitale. Les données sur les féminicides rassemblées par les polices anglaise et galloise parlent d'elles-mêmes : 173 personnes ont été tuées, victimes de violence domestique, par rapport aux 141 de 2017. Le Royaume-Uni est le deuxième pays, juste derrière l'Italie, qui reçoit le plus de financements dans le cadre de la Daphne Initiative, le programme avec lequel l'UE, depuis 1997, a distribué des dizaines de millions d'euros pour la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales.
« Les effets des coupes budgétaires sont réels » explique Margaret Skelly, directrice du Domestic Violence Intervention Project une organisation de Londres qui, depuis 25 ans s'occupe des enfants et des femmes maltraités. « Notre travail est destiné à ceux qui souffrent d'abus, mais nous avons aussi mené des projets impliquant ceux qui ont commis des violences. C'est important de faire participer les responsables de ces crimes car ainsi nous agissons autant sur les causes que sur les conséquences. Malheureusement, ces dernières années nous avons dû abandonner ces projets » conclut Skelly, amère.
Deux jours seulement avant les élections du 12 décembre, le collectif Sisters Uncut a bloqué pendant près d'une heure Waterloo Bridge avec des canapés : dans 44% des cas de violence domestique, une fois qu'elles ont quitté leur domicile, les femmes n'ont nulle part où aller. Depuis plusieurs années le groupe féministe dénonce les conséquences mortelles des coupes budgétaires dans les associations. Dans un article publié sur The Guardian signé par le collectif, on peut lire : « Nous ne croyons pas aux partis politiques, mais en ce moment historique le choix est simple : plus de victimes ou moins de victimes ». Au vu des résultats des élections, il semblerait que leur appel n'a pas été entendu.
La série AcadeMy est réalisée dans le cadre de la célébration des trente ans de l’Action Jean Monnet avec le soutien de la Commission Européenne. L’action Jean Monnet et ses activités financent la recherche et l’enseignement sur l’Union Européenne. Pour d’informations sur les objectifs et le rôle du programme sont disponibles sur le site officiel de l’Union Européenne
Translated from Effetto Boris Johnson: nel Regno Unito, la Brexit colpirà soprattutto le donne