Bratislava : une ville qui se dresse pour les riches
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Bratislava est l'une des plus mystérieuses capitales d'Europe. Beaucoup de touristes sont captivés par ses bâtiments modernes et certains locaux rêvent déjà d’une ville pleine de gratte-ciel. À contre-courant, l’association M_P_BA invite les gens à marcher vers les endroits tombés dans l’oubli. Des endroits au centre de la vie urbaine quand Bratislava s’appelait encore Pressbourg.
Généralement, la grande majorité des pays développés protègent le centre historique des excentricités de certaines mégalopoles. La Tchécoslovaquie de l’après-guerre pensait d’ailleurs obéir à la règle. C’était sans compter sur le rêve communiste qui promet à l’époque « un monde nouveau, moderne et heureux ». Résultats : deux quartiers historiques Vydrica et Zuckermandel se sont retrouvés victimes du slogan des communistes - arrivés au pouvoir en 1948 - selon lequel « nouveau » rime forcément avec « meilleur ».
Près de 70 ans après, une association a décidé de prendre le chemin inverse. M_P_BA et son créateur, Ivor Švihran, ont monté un projet unique avec de jeunes passionnés d’histoire : créer une carte des lieux insolites de Bratislava. Disponible dans un certain nombre d’office de tourisme, elle identifie tous les endroits secrets de la capitale slovaque. Nous avons suivi Ivor, qui sera notre guide dans une visite alternative de Bratislava.
Le chemin qu’il nous fait découvrir ne se voit pas de la rue. Caché, il commence à quelques mètres de château de Bratislava situé dans le centre historique de la ville. « Ce quartier s’appelait Zuckermandel. Ici, nous voyons trois immeubles, sorte de fragments d’un nouveau quartier, qui n’a finalement jamais été construit », nous explique Igor. Menés à leur terme, les travaux auraient fait du quartier l’un des plus luxueux de toute la Tchécoslovaquie.
Un château et des grues
Igor montre du doigt un chantier de construction avec quelques grues qui s’activent. Il s’agit des engins la société J&T Real Estate qui, en live, travaille « sa vision pour une nouvelle capitale ». Son projet prévoit de bâtir près de 606 appartements avec un budget de 100 millions d’euros. La fin des travaux est prévue pour la fin 2018. Le changement du quartier Zuckermandel, historiquement pauvre, prend des allures étonnantes. Désormais, ce sont donc les riches qui s’installeront sur les quais du Danube.
« Le quartier au pied du château était probablement le plus pauvre, toujours inondé, explique notre guide. Aujourd’hui, le niveau du quai est beaucoup plus élevé qu’auparavant. Ce quartier a été attaché à la ville à partir du 18ème siècle. Le fait que le quartier soit insalubre l’a longtemps condamné à rester détaché du reste. Par ailleurs, y vivait à l’époque une minorité juive relativement forte. »
En 1850, quand le quartier situé sous le château a été rattaché à Bratislava, il a commencé à se détériorer au fur et à mesure. Les habitants les mieux lotis ont déménagé dans le centre et l’ensemble du monde du logement a dû s'adapter aux besoins moindres des locataires les plus désargentés. Ce processus fut amplifié par les événements de la Seconde guerre mondiale, lorsqu'une grande partie de la population juive a disparu. Peu à peu, le quartier sous le château porte atteinte à l'image de la ville souhaitée par ses dirigeants qui commence à en planifier la liquidation.
Ivor confie que l’idée d’une destruction pure et simple du quartier a vu le jour pendant la guerre, pour être réhabilitée sous la période communisme. Dans les années 50, des architectes ont peu à peu commencer à lui donner forme. « D'abord, ils ont démoli la partie du quartier qui était sur le Danube pour y construire un parc culturel. Dans les années 70, le quartier juif a fini par être sacrifié pour faciliter la construction de nouveaux ponts », explique Igor avant d’ajouter que la démolition s’est faite par étapes, pendant près de 40 ans.
Pour beaucoup, la démolition de Zuckermandel signe l’arrêt de mort d’une culture. En coupant ses oignons, la grand-mère de l’historien Walter Malaschitz qui s’est fendu d’un ouvrage sur le quartier, nous confie que « le Danude perdra ses enfants ». Mais rares sont les promoteurs qui lisent des livres d’histoires. Après J&T, c’est un autre ogre du monde de la finance tchèque - Penta Investments - qui a récemment présenté son projet, originalement baptisé New City Center. On parle de 70 millions d’euros d’investissement et de près de 600 appartements construits en plein cœur de la ville, tout près d’un centre commercial futuriste. Il ne restera plus rien de Zuckermandel et de toute façon, le « nouveau centre » nous l’a bien fait comprendre. Zahad Haddid, l’architecte du projet, est une figure du mouvement déconstructiviste.