Boue rouge en Hongrie : reportage post-catastrophe écologique
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Emmanuel HaddadFarine, citron, jus, vinaigre, eau minérale, détergent, brouette, gants, masques : ce n'est pas une liste de courses mais quelques-uns des dons récoltés dans l'urgence pour les victimes de la catastrophe écologique. Cafebabel.com a visité la zone touchée par la coulée de boue rouge pour constater comment les Hongrois sont venus en aide à leurs compatriotes.
Kolontar, 4 octobre 2010, un jour comme les autres. Dans une maison, un couple confectionne un gâteau. A 12H25, le barrage qui contenait un énorme réservoir rempli de déchets toxiques en provenance d’une usine d’aluminium explose. En quelques secondes, presque un million de mètres cubes de matériaux toxiques s’échappent d’un trou d’une douzaine de mètres creusé dans le corps du réservoir. Une vague haute de deux mètres de boue rouge se dirige vers Kolontar à moins d’un kilomètre de là. Trop tard pour fuir ou pour sauver les meubles. Un père se jette dans la chambre de son fils, le tire du sol où il joue pour le percher sur l’armoire. Quelques instants plus tard, la vague de boue envahit la maison et noie le père jusqu’au cou. L’inondation submerge Kolontar et Devecser, le patelin voisin. Et le monde entier assiste hébété à la plus grosse catastrophe écologique depuis Tchernobyl, faisant 150 blessés et détruisant 400 hameaux.
Ecosystème ruiné
Après plusieurs semaines, le coup de projecteur médiatique s’est peu à peu éloigné de la tragédie au profit d’autres histoires. C’est alors que nous avons décidé de visiter Kolontar et Devecser afin de voir si leurs habitants pourraient reprendre une vie normale. Le trou du réservoir est toujours là, nous sommes à côté. Des ouvriers travaillent jour et nuit pour réparer le conduit et creuser un tunnel de sécurité d’un kilomètre et demi. Le réservoir contient toujours 2.5 millions de tonnes de matériel toxique.
La boue rouge contient tous les déchets industriels issus de la production d’aluminium, un sédiment insoluble qui contient du titanium, du sodium et de l’oxyde de silicone ainsi que de l’oxyde de fer qui lui donne sa couleur rouge. Une analyse chimique menée par Greenpeace a aussi révélée que 50 tonnes d’arsenic, 300 tonnes de chromium et 500 kilos de mercure se sont échappés de l’environnement. Mais le plus gros danger vient de la haute teneur en alkaline du mélange, avec un pH qui atteint le chiffre de 13 au moment de la fuite. Tout contact avec la mixture peut provoquer de sérieuses brûlures à la peau et leur soin peut durer très long temps. Parmi les blessés, on compte les habitants mais aussi certains membres de l’équipe de secours. Dès le début, on a essayé de bloquer la fuite avec de l’acide acétique. En attendant, impossible de faire pousser quoique ce soit sur ce sol avant l’été prochain. La fuite a également détruit toute vie dans les deux rivières avoisinantes.
Aide aux victimes
Nous descendons la route rougeâtre vers Kolontar, où les signes du désastre ont été effacés. Les coulées de vase ont disparues de la chaussée. Mais le village qui abritait des milliers d’âmes semble à présent désert. Dans le camp éphémère de la Croix Rouge, des volontaires distribuent des paquets de première nécessité aux familles. « Il y a eu beaucoup d’initiatives citoyennes, se réjouit Andrea Donner, militante de Kidma Hongrie, une association juive créé pour aider les jeunes majeurs. J’ai décidé d’aider les victimes de la catastrophe et, avec mes amis, d’organiser une levée de fond que nous avons largement diffusée sur facebook, explique-t-elle. J’ai parlé aux équipes de sauveteurs sur le terrain pour en savoir plus sur ce dont les personnes ont vraiment besoin. » Beaucoup de gens ont aidé les victimes à travers des initiatives à échelle locale, afin de savoir comment leur argent était utilisé. Ils n’ont pas soutenu la Croix rouge, ni l’effort de levée de fond national. On attend toujours de savoir ce que les fonds représentent et à quoi ils sont effectivement dédiés. Le chiffre s’élève pour l’instant à 4,3 millions d’euros.
Mais toutes les initiatives citoyennes n’ont pas été couronnées de succès. Le peintre hongrois Gabor Suveg a décidé de réunir 300 œuvres d’art provenant d’une centaine d’artistes et de reverser tous les bénéfices de leur vente aux enchères en ligne aux victimes de la boue rouge. Son initiative n’a pas trouvé l’écho escompté et la somme reversée est négligeable.
Pendant ce temps, la jeune équipe autour d’Andrea est parvenue à lever quelques 200 000 forints et à obtenir 300 000 forints de dons. Cette somme a été dédiée à l’achat de produits de base, le tout chargé dans un poids lourd et transporté dans la ville d’Ajka pour le tri. Andrea se plait à constater que « la catastrophe d’une dimension inégalée efface les frontières entre les individus. Notre âge n’a pas d’importante, ni le fait de savoir si l’on est juifs, chrétiens ou musulmans, de droite ou de gauche. Le pays entier est uni par notre désir d’aider. »
Retour à la normale
A Kolontar, on découvre vite que beaucoup de familles ont ignoré les conseils en retournant au plus vite dans leur maison, avec la ferme intention d’y rester coûte que coûte. La plupart restent sourd à la menace de la vase qui, transformée en poussière, risque de s’attaquer à leur système respiratoire. Mais tous ne sont pas revenus ; certains n’avaient plus nulle part où se rendre. « La boue toxique dévore les murs, le sol, les fournitures, rendant les maisons inhabitables. Celles qui ont été attrapées par la vague ont été rasées », précise l’Officier Attila Vezendi. Ils pointe du doigt une maison esseulée encore debout : « Nous gardons celui-ci en l’état en souvenir de la catastrophe » A l’intérieur, on a l’impression que seuls quelques jours nous séparent de son engloutissement par la boue. A l’intérieur d’un grand trou creusé dans un mur qui tient miraculeusement debout, quelqu’un a glissé un portrait de Jésus. L’officier nous annonce qu’un couple de retraités vivait dans ces lieues auparavant. Le mari est décédé à l’hôpital suite à ses brûlures. « Sa femme a été retrouvée au milieu des champs. Elle était noyée », déplore-t-il.
Nous revenons vers Budapest avec nos bottes militaires. Les gardiens nous ont dit en partant que nos chaussures étaient maintenant considérées comme des produits toxiques. Elles restent de la sorte à Kolontar, avec ses habitants dont la vie est tombée en ruine le 4 octobre à 12h25, emportée par une coulée de boue rouge.
Un grand merci à Veronika Kovacs et Lili Szilágyi pour leur aide dans la réalisation de ce reportage et à Aleksandra Sygiel pour l’avoir attendu si patiemment. Cet article fait partie de Green Europe on the ground 2010-2011, la série de reportages réalisés par cafebabel.com sur le développement durable. Pour en savoir plus sur Greeen Europe on the ground.
Photos © Filip Jurzyk
Translated from Toksyczny związek Węgier z ekologią