Bosnie : une paix artificielle
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Fernando GarciaDix ans après la fin des combats, un nouveau Parlement a été élu le 1er octobre.
Le Musulman Haris Silajdzic, 61 ans, et le Serbe Nebojsa Radmanovic, 57 ans, sont sortis vainqueurs du complexe scrutin du 1er octobre et s'assiéront ensemble à la présidence collégiale tripartite, composée des représentants des trois communautés qui cohabitent tant bien que mal dans le pays (Musulmans, Serbes et Croates).
Pour autant, la Bosnie panse à grand peine ses plaies. Le revenu national brut du pays demeure inférieur aux normes européennes, avec un PIB d'à peine un peu plus de 1 000 dollars par personne et 40 % de la population active au chômage. 40 %, c'est aussi le taux de personnes déplacées et de réfugiés issus des trois ethnies qui se partagent le pays. Quant aux deux criminels de guerre serbes les plus recherchés du monde, Radovan Karadži et Ratko Mladi, ils courent toujours.
Pourtant, ce ne sont pas les opportunités de les arrêter qui ont manqué. Mais peut-être préfère-t-on à La Haye éviter de vivre une seconde fois la honte et l'embarras qu'avaient provoquées les accusations retentissantes de feu Slobodan Milosevic lors de la grotesque parodie de procès mené par Carla del Ponte, la très médiatique procureure du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie.
Un État créé…
L'État actuel de la Bosnie-Herzégovine est né des accords de Dayton. Créée de toutes pièces en 1995, la nation résulte de la détermination de l'administration Clinton à mettre un terme à l'interminable conflit qui ravage à l'époque les Balkans depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les États-Unis, excédés par une guerre qui menace l'équilibre de toute une région, en plus de déchirer l'Europe, décident d'organiser des négociations entre les belligérants – les Croates, les Musulmans et les Serbes de Bosnie – dans une base militaire et de leur imposer une paix, même fragile. Car l'heure est venue d'oublier les rancœurs, peu importe que les accords de paix de Dayton ne soient pas vraiment adaptés à la situation. L'idée : procéder à un partage équitable de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine afin de maintenir une certaine unité et de ne pas dissoudre le pays.
Ce dernier avait été officiellement reconnu trois ans plus tôt, en 1992, par la communauté internationale, à l'exception du Vatican. Peut-être l'indépendance du pays a-t-elle été proclamée dans la précipitation suite à l'intervention diplomatique de l'Allemagne et de l'Autriche.
...de toutes pièces
L'issue du pastiche politico théâtral américain était prévisible. Serbes, Croates et Musulmans sont repartis de Dayton avec la sensation d'avoir été vaincus et l'accord né des négociations s'est rapidement révélé beaucoup trop complexe pour un pays comme la Bosnie-Herzégovine. Il prévoyait d'un côté une cohabitation entre Croates et Musulmans au sein d'une même entité politique, la Fédération, et de l'autre, la reconnaissance de la République des Serbes de Bosnie.
La Fédération s'est vue attribuer 51 % du territoire, les 49 % restants revenant aux Serbes qui ne représentaient avant le conflit qu'une communauté minoritaire [représentant 40 % de la population]. Dix cantons ont en outre été mis en place pour diviser la Fédération, créant ainsi l'État le plus décentralisé au monde et le plus difficile à diriger en raison des nombreux accords officieux, pactes et arrangements nécessaires pour gouverner.
La Bosnie compte actuellement plusieurs centaines de ministres, députés, maires et conseillers. La population entière semble impliquée en politique ou avoir un quelconque parent dans le milieu alors que le pays compte à peine quatre millions et demi d'habitants.
Une paix imposée par la force
Le seul succès dont peuvent se targuer les responsables politiques et autres diplomates américains et européens, ceux-là même qui ont provoqué la guerre avec leur décision de reconnaître les jeunes Républiques yougoslaves, est d'avoir mis un terme aux combats.
Il y règne désormais une paix aux accents d'armistice. Mais ne nous leurrons pas. Qu'il s'agisse des Serbes, des Croates ou des Musulmans, tous gardent en mémoire les décisions politiques à l'origine du conflit. Aucun doute qu'au moment où les forces internationales auront quitté le pays, les hostilités reprendront de plus belle. Car la paix résulte du recours à la force.
Un avenir sombre
Des négociations sur le futur statut du Kosovo sont en cours. Mais les divergences d'opinion semblent insurmontables. Tandis que les Albanais revendiquent l'indépendance complète du territoire vis-à-vis de Belgrade, les Serbes proposent son maintien dans la Serbie et sont favorables à une autonomie étendue. Dans l'atmosphère peu amicale qui règne entre les bureaucrates bruxellois et les leaders politiques albano-kosovars, un nouveau découpage du territoire yougoslave a été récemment adopté, imposant ainsi un État kosovar au cœur des Balkans.
Il s'agit certainement de l'erreur politico diplomatique la plus grave depuis que Paris et Londres se sont soumises aux desiderata d'Hitler à Munich en 1938 pour ne pas perdre les Sudètes. Mais si malgré tout le Kosovo se voyait accorder son indépendance, ce qui paraît plus que probable, comment justifier aux yeux des Serbes de Bosnie-Herzégovine, tant d'un point de vue moral que politique, notre refus de reconnaître également un État serbe ? Et comment leur dire de continuer à épauler un État bosniaque peu viable ? Une telle situation ouvrirait la voie à de nouveaux conflits et enclencherait le processus tant redouté de la balkanisation.
Translated from Bosnia: una paz artificial