Bon courage les enfants
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2013, une entreprise en France. Deux collègues dans les couloirs s’apostrophent: « Allez, bon courage ». L’avez-vous remarqué ? « Bon Courage » is the new « Bonne Journée ». Il se propage partout. Or, là où le traditionnel « Bonne Journée » sonne comme une sympathique bénédiction, se dire bon courage révèle au contraire d’un malaise chez les travailleurs.
Jusqu’à présent « Bon courage » était l’équivalent du « Break a leg ! » (Casse une jambe !) anglais, du « Dayan ! » (Tiens bon !) turc ou du « Halt die Ohren steif ! » (Maintiens les oreilles rigides !) allemand. Ce sont les mots totem souhaités à celui qui doit surmonter un rude moment. Le « Bon Courage ! » français fait appel au cœur, mot dont il est étymologiquement issu. En Espagne, c’est à l’esprit que l’on se voue pour se stimuler « Animo y al toro ! » (Courage, et sus au taureau) : animo vient du mot latin animus qui désigne l’âme, l’esprit. Le cœur, l’âme… Le courage est une valeur, une force, l’arme contrant la peur. Je l’associe toujours à un hardi chevalier face au danger. En se souhaitant Bon courage entre deux pauses café des plus banales, que dévoile-t-on ? Si on a besoin de courage, c’est qu’on est dans l’appréhension. Qu’on est au bout du rouleau. Qu’on n’en peut plus de sa vie de travailleur, que c’est une épreuve et une souffrance, que c'est serrer les dents et subir. Est-ce vraiment ce qu’on veut partager entre collaborateurs ?
La première fois qu’on m’a dit bon courage pour rien, j’ai trouvé que ça avait un côté sympa, montrant qu’on était tous dans le même bateau. Ça a cessé de m’amuser, je ne veux pas qu’on me souhaite du courage pour travailler. Je ne descends pas à la mine, merci. Le climat social est déjà assez assommant sans qu’on en rajoute. Le courage a perdu son sens, ainsi galvaudé et appliqué à la banalité quotidienne. Courage, Fuyons est le nom d’un film, c’est aussi devenu un dicton. Car il est des situations où fuir signifie réagir, et effraye davantage que de rester face à une épreuve. Bon courage, c’est le monde des salariés résignés qui ont renoncé à changer leur quotidien, qui s’encouragent entre eux à ne rien faire d’exceptionnel, sinon à tenir le coup.
Ces deux petits mots habituellement si stimulant s’infiltrent dans le parlé par les brèches ouvertes dans ce contexte de crise, de plans sociaux, et de défaitisme ambiant. Travailleurs, gardez la pêche. Et manifestants de Taksim, dayan !
Photo © courtoisie du site allociné