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Bolzano, la fac polyglotte

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Translation by:

anne fargeas

Société

Expérience peu commune pour de nombreux étudiants Erasmus : suivre des cours dans cette université trilingue au Sud Tyrol italien. 51 nationalités s’y côtoient aux pieds des montagnes.

Trois langues cohabitent dans la bibliothèque de l'université de Bolzano

A Bolzano, chaque pas est un véritable exercice de langue, les panneaux de signalisation en guise de fiches de vocabulaire. A côté du commissariat, la « poliza » distribue des contraventions et les touristes, assoiffés et sous un soleil de plomb, sont installés au café à l’angle de la rue avec leur glaces « gelato ». Près du campus, on voit aussi des étudiants venus s’inscrire à l’ « università » de cette ville schizophrène, bilingue italien/allemand, qui répond à deux appellations : la cité de Bolzano, au sud du Tyrol, ou celle de Bolzano du Haut-Adige.

Cet héritage bilingue, Bolzano, capitale de la province du même nom, fait suite aux soubresauts de l’histoire. L’émigration forcée d’Allemands et l’immigration d’Italiens du Sud durant le 20e siècle, ont fait l’actuelle diversité de ce petit coin pittoresque, tiraillé entre l’Autriche et l’Italie et riche des deux cultures.

« Just capisco Bahnhof »

Et l’université de Bolzano, depuis sa création en 1997, baigne dans cette double appartenance linguistique. Si vous dites en mélangeant l’anglais, l’allemand et l’italien, « Just capisco Bahnhof », tout le monde comprendra que vous n’avez rien compris, et pas seulement les polyglottes avertis. A la fac trilingue bien sûr, en dehors des deux langues officielles, les cours sont désormais dispensés en anglais dans les amphis. Et celui qui chahute en cours de culture générale, doit compter à haute voix en ladin, une langue qui n’existe plus qu’au Nord de l’Italie, l’une des langues les moins parlées en Europe.

Ouverture sur le monde : la particularité de l’université de Bolzano se retrouve facilement dans les parcours de ceux qui s’assoient sur ses bancs. Selon les statistiques officielles, 42 % des 62 enseignants ont déjà exercé à l’étranger. En tout, 30 % des 3 053 étudiants sont d’origine étrangère et représentent pas moins de 51 nationalités. La notoriété de l’université de Bolzano s’étend jusqu’à l’Australie. Avec, en plus, 300 jours de soleil par an et les pistes de ski à vingt minutes des portes de l’université, elle présente bien des atouts.

Cependant, ce multilinguisme est la principale motivation des étudiants étrangers : « C’est un avantage incomparable dans le monde du travail », pense Ann-Christin, étudiante en fin de cursus de sciences économiques. « Les exigences sont toute autre. Tu vas en cours de Diritto pubblico, en italien, puis en Economics, en anglais, puis, en fin d’après midi vient le cours d’Oublic Economics, en allemand. On doit, tout simplement, être flexible », poursuit-elle.

Le jeu des langues

Ce plus apporté par la pratique quotidienne des langues saute aux yeux : « C’est de la folie comme ils peuvent changer de langues rapidement ! », s’enthousiasme Franzisca Pritzl, étudiante Erasmus, originaire de Wurzbourg, les yeux pétillants. Elle pense à tous ses camarades qui manient les langues avec beaucoup d’aisance, commandent leur café en italien, saluent leurs professeurs en anglais, tout en feuilletant un journal allemand. Pourtant, se retrouver dans cet enchevêtrement linguistique est plus facile qu’il n’y paraît : « C’est un jeu auquel on peut jouer », observe un professeur italien qui reconnait ses concitoyens à leur style vestimentaire dans les couloirs de l’université.

A force d’ouverture, la question de l’identité de l’université de Bozen n’est pas résolue. Quelle culture est la sienne au cœur de toutes ces cultures ? Ne court-elle pas le risque de devenir une plateforme neutre, avec des cours de langue intensifs, où tout le monde se croise mais personne ne se retrouve ? Même à Bolzen, des fossés se creusent entre groupes linguistiques qui constituent, dans le pire des cas, un véritable filtre social.

Certains oublient qu’ils sont en Italie

Celui qui ne cherche pas à diversifier ses groupes d’amis, se heurte immédiatement à l’évidence : l’Italie reste à l’Italie, le Sud Tyrol au Sud Tyrol, l’Allemagne aux Allemands et les étudiants Erasmus entre eux. Ces comportements sont flagrants et les clichés vont bon train : « typiquement italien », celui qui ne se conforme pas au règlement, « typiquement allemand », celui qui fait preuve d’obéissance. « Je crois que le soir venu, on a plutôt envie d’aller boire un verre avec quelqu’un qui parle la même langue », admet Ann-Christin. La langue maternelle reste le point d’ancrage, un refuge vers lequel on peut toujours se retrouver. « Certains ont même oublié qu’ils étaient en Italie », affirme Ann-Christin.

Pour la présidente de l’université, Rita Franceschini, c’est sûr, le multilinguisme est un réel bénéfice. L’université a abandonné depuis quelques temps l’idée de perfectionner les élèves dans les trois langues. Elle préfère les armer pour l’avenir grâce à une pratique des langues quotidienne lors des cours : « Bien sûr, des compétences linguistiques s’entretiennent », souligne Rita Franceschini. La directrice perçoit la diversité de ses étudiants avec sérénité : « En fait, il est tout à fait normal que l’on ait en face de nous des étudiants qui ne soient pas tous comme de petits chocolats identiques, les uns posés à côté des autres, explique la présidente, chacun est particulier. Et le lait n’a pas toujours le même goût. »

Photos : Linas Sinkunas. En Une : mzellebiscotte/Flickr

Translated from Dreisprachige Milchtüten aus Bozen