Biocarburant : ruée sur l’Or vert au Sénégal
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La semaine des énergies renouvelables en Europe se tient à Bruxelles du 9 au 13 février. Au cœur des débats : les «biocarburants». Pourront-ils permettre à l’Europe de se mettre au vert sans plonger les habitants de l’Afrique de l’Ouest dans la famine ? Reportage dans la province de Vélingara, dans le sud du Sénégal.
A l’origine, le Jatropha pousse en Amérique centrale. Aujourd’hui, il est cultivé dans de nombreux pays africains et asiatiques pour son huile qui sert à la production de carburant. C’est sur cet « or vert » que les promoteurs privés européens sont en train de loucher. Et pour cause : l’Europe ne dispose pas d’assez de terre pour satisfaire ses besoins en biocarburants (et atteindre son nouvel objectif : 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation totale des 27 d’ici 2020).
L’Afrique est ainsi en train de devenir le terrain d’une ruée d’investisseurs européens à la recherche de plusieurs milliers d’hectares et certains dirigeants sont convaincus pour leur pays non producteurs de pétrole (dont l’association a été créée en 2006) que c’est là une chance historique d’assurer l’entrée massive de devises. C’est le cas du président de la République du Sénégal, Abdoulaye Wade, fasciné par l’expérience du Brésil devenu le principal producteur et exportateur mondial de biocarburant.
Le Jatropha ne se mange pas, le riz si
Diery Cissé entreprend les premières démarches auprès des autorités locales pour le compte de la société norvégienne Agro-Africa qui souhaite développer la production d’agrocarburants dans la zone de Vélingara, dans le sud du Sénégal, à 700 kilomètres de Dakar : « Nous avons demandé aux communautés rurales de pouvoir produire sur plus de 200 000 hectares (environ 10 % des terres arables du pays) et nous espérons commencer la production pour livrer nos premiers clients début 2010 », explique le jeune homme.
Cette région très fertile est celle que le gouvernement sénégalais avait choisi pour relancer la filière riz et lutter contre la grave crise alimentaire qui frappe le Sénégal où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. « Les agrocarbutants vont améliorer notre vie et alléger nos efforts », explique Demba Balde. Ce petit producteur a accepté de planter du Jetropha dans son village de Goundaga. « J’ai sept enfants et je produis pour le moment de l’arachide, du soja et du mais. Mais j’ai l’espoir que la vente de mes graines de Jetropha nous facilite la vie. »
Des agriculteurs divisés
«Le Jatropha ne se mange pas, le riz si »
Son optimisme est loin d’être partagé : « J’ai très peur de ce qui est en train de se passer. Les communautés ici sont tellement désespérées qu’elles sont prêtes à tout accepter sans connaître les tenants et les aboutissants du développement d’agrocarburants dans la zone », explique par exemple Moussa Mballo, journaliste correspondant de la radio sénégalaise Walf Grand place. « J’ai clairement refusé les premières propositions qui m’ont été faites de me lancer dans la culture du Jatropha car je ne souhaite pas que nous devenir des ouvriers agricoles à la merci de quelques entreprises, explique pour sa part Abdou Tall membre de la fédération des producteurs de l’Anambé, le fleuve qui irrigue la vallée et rend les terres fertiles. Je préfère continuer à augmenter ma production de riz et de maïs. Imaginez que la demande mondiale baisse et que le prix des agrocarburants s’effondre alors que nous avons concentré tous nos efforts dessus : nos situations seraient encore pires qu’aujourd’hui et nous serons condamnés à la famine. Le Jatropha ne se mange pas, le riz si. »
Discours officiel rassurant
Face a ces craintes, les autorités sénégalaises se veulent rassurantes. « Nous mettons tout en œuvre pour que les projets développés n’affectent pas la sécurité alimentaire des Sénégalais », assure Sana Faty, responsable des biocarburants au ministère de l’environnement du Sénégal. « Le président a été très clair et souhaite que la production soit avant tout orientée vers les besoins locaux. »
A Velingara, le message officiel ne passe pas facilement : « Il est clair que vu la taille des surface demandées par les promoteurs privés venus d’Europe et d’ailleurs, l’objectif est une production de masse pour exporter », explique Konate qui encadre les coopératives de producteurs de bananes dans la région de Tamcacouda et effectue une étude avec l’ONG Action Aid pour évaluer, justement, l’impact de la production d’agrocarburants sur la sécurité alimentaire au Sénégal. « J’ai vraiment été surpris par cette ruée, par la taille des surfaces demandées et le manque d’information dont disposent les petits producteurs », poursuit-il. Le jeune producteur conclut : « Il est crucial de développer un travail rapide de sensibilisation des communautés car les choix faits actuellement auront un impact immense pour notre génération et les générations futures. »