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Bienvenidos Refugiados

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Bruxelles

A l’heure où la “crise des migrants” ébranle l’Europe, exacerbée par une guerre des mots sans pareille et exposée au danger du grand zapping qui gouverne l’actualité, que reste-t-il de l’incarnation des luttes actuelles ? Quelques éléments de réponse en Espagne. 

Il s’agit peut-être d’une impression partagée par beaucoup mais en tous les cas, la temporalité de cette dernière année et plus largement de cette dernière décennie semble avoir eu (et ce n'est pas terminé) une tonalité des plus dramatiques en termes d’actualité internationale. Au menu : la “crise des migrants” en Europe et la nécessité de se démener pour parer à l’immobilisme et l’oubli.

Les réfugiés dans le Grand Zapping de l’actualité

Toute liste des derniers évènements internationaux de nature politique, économique, sociale ou humanitaire qui se voudrait exhaustive serait proprement étourdissante: montée du djihadisme en Europe, racisme, antisémitisme, Charlie Hebdo, Tianjin, séismes, la Grèce … Dans le flot de l’actualité où chaque sujet s’empile sur le précédent tel les pages d'un bouquin, certains événements inquiètent pourtant les foules de façon tantôt traumatique, tantôt sensationnelle.

On a souvent décrié ce phénomène où les réseaux sociaux nouvellement développés donnent libre cours à une information plus accessible -parfois ainsi diluée-, sur des plateformes de diffusion qui tout en amplifiant littéralement les «nouvelles», en oublient toute hiérarchie de l’information. Ces nouvelles formes de communication désormais parfaitement généralisées induisent de temps à autre des amalgames et hypothèses à tout-va. Mais surtout, elles génèrent quasi automatiquement l’oubli parfois brutal, rarement progressif, des évènements contemporains.

S’agit-il là d’un procès injustifié à l’hypermédiatisation de l’information qui bat son plein ? Des voiles de véracité peuvent pourtant être difficilement mis en doute et viennent éclairer les risques que comporte la médiatisation soudaine et considérable de la crise des migrants en Europe.

Europe : rhétorique parcimonieuse et crises existentielles répétées

L’explosion soudaine, mais finalement assez prévisible, du nombre de personnes cherchant refuge auprès de la bien-nommée « Forteresse Europe » figure dans la liste des phénomènes les plus discutés du moment. Les mots durs utilisés pour caractériser ces « masses » sont légion, « masses » qui par ailleurs ne semblent pas bienvenues dans la plupart des Etats membres.

Aux premiers moments d’angoisse succèdent les tentatives d’échappatoires et les égoïsmes nationaux: c’est maintenant à qui parviendra le mieux à dégoûter tout réfugié de venir s’installer chez lui. Nous re-voilà plongés dans les méandres des désormais plurielles remises en question européennes. Toutefois, on se trouve ici loin de la crise d’adolescence d’un tel projet politique. Au moment où l’Union européenne se trouve au pied du mur, impasse résultant naturellement d’une politique migratoire désunie et imparfaite, elle ne peut plus invoquer l'excuse de l'inexpérience et de l'incompréhension.

Rien de tel qu’une crise humanitaire déclarée et trop longtemps traitée de façon inadaptée pour attendre de l’UE davantage que des plans bancals et des chiffres arbitraires de « relocalisation ». Sans se laisser aller à de grandes leçons de morale, l’on est en droit d’attendre un peu d’humanisme de la part d’une puissance régionale qui s’applique tout autrement à faire fonctionner son marché intérieur et à créer de nouvelles zones de libre-échange.

Mobilisations « pro-réfugiés » en Espagne

Dans la calle de Atocha à Madrid, je rencontre Marua, jeune fille dynamique d’origine syrienne et née en Espagne qui participe aujourd’hui avec des milliers de personnes à la manifestation « Construyamos otra Europa ». Une partie de sa famille et ses amis restés en Syrie, elle reçoit régulièrement des nouvelles de leur quotidien là-bas. Pour Cafébabel, elle revient sur son engagement pour défendre un meilleur traitement des réfugiés et sur ses attentes vis-à-vis de l’Union européenne.

Pour toi, quelle est ce que certains appellent aujourd’hui “la crise des migrants” ? Qu’est-ce que cela signifie à tes yeux?

La « crise des migrants » est un phénomène qui existait déjà auparavant, mais qui a considérablement augmenté en 2015 du fait que beaucoup de personnes aient dû abandonner leur pays d’origine en raison de problèmes socio-économiques, pour arriver ensuite dans d’autres pays plus stables. D’après ce que je constate, les racines de cette crise se trouvent dans le conflit syrien. En effet, après avoir tout perdu faute de ne pas avoir été aidés, et même après avoir été battus par les puissances mondiales, les Syriens quittent leur pays en mettant leur vie ainsi que celle de leurs êtres chers en danger. Tout cela dans l’espoir que ce « premier monde » qui inventa les droits humains leur donne l’opportunité de vivre une vie digne.  

Quand t'es-tu engagée dans les mouvements pacifistes et “pro-migrants” et pourquoi?

D’origine syrienne, je me suis vue mêlée à cette thématique depuis le début des révolutions en 2011 parce que j’ai des parents et des amis restés au pays qui, depuis, nous racontent ce qu'il se passe et combien ils souffrent. J’ai pris part à toutes les manifestations à Madrid et pendant cinq ans nous avons demandé aux femmes et hommes politiques de "s’il-vous-plaît" arrêter le massacre. Mais durant toute cette période nous avions l’impression de parler dans le vide. De plus, nous avons tenté d’expliquer ce qui se passait en Syrie aux Espagnols, car moi-même j’ai été témoin du fait qu’ils n’ont aucune idée de ce qui se passe là-bas, en partie car les journaux ne montrent presque rien.

Comment perçois-tu le rôle de l’Union européenne dans la protection des réfugiés ? Selon toi, qu’est-ce qui devrait être fait par l’UE en termes de politique migratoire?

Le rôle de l’UE est primordial, mais celle-ci ne le remplit pas bien. Les gens demandent l’asile politique depuis la Syrie, mais en général ils ne l’obtiennent pas. C’est pourquoi ils finissent par tout risquer dans l’espoir d’avoir un futur sans souffrance, même si ce qu’ils trouvent est un nouveau claquement de porte. A mon avis, l’UE devrait ouvrir ses frontières au lieu de les fermer de plus en plus en se cachant derrière des excuses comme le risque d’un « effet d’appel ». Je pense aussi que le traité de Dublin II qui oblige les réfugiés à rester dans le premier pays d’entrée (normalement l’Italie ou la Grèce) devrait être annulé.  

Penses-tu que l’Espagne soit différente d’autres pays européens dans son traitement de la “question des réfugiés”?

L’Espagne est loin d’être différente du reste des pays européens. En fait, elle investit davantage dans le contrôle des frontières que dans les soins aux réfugiés – avec une série d’exceptions, comme les maires de Madrid ou de Barcelone, qui semblennt vraiment vouloir venir en aide aux réfugiés.  

Dans quels autres luttes t’imaginerais-tu t’engager?

Une chose qui m’intéresse et qui me gêne est la manipulation médiatique qui est exercée sur les citoyens, car les médias diffusent ce qui les intéresse et nous cachent le reste. Par ailleurs, la façon dont ils utilisent certains mots fait que des phénomènes comme la xénophobie ou le racisme sont normalisés et même justifiés en Occident.  

A suivre

La « crise des migrants » en Europe est indiscutablement un drame humain qui aura des répercussions dans les années à venir sur les populations et gouvernements en Europe et au-delà. Mais l’intérêt ici est de savoir si la « question » des réfugiés continuera de faire suffisamment la une dans l’espace politico-médiatique, ou si les tourments de cette période, malheureusement comme dans tant d’autres cas, iront droit aux oubliettes de l’indifférence ou de l'hypocrisie.