En 2010 il pensait arrêter la musique.
Deux ans plus tard Bertrand Burgalat revient avec ce qui pourrait être
son meilleur disque, Toutes Directions. Pour lui, un voyage sans retour,
à 48 ans. Pour moi, un aller simple vers la Lune, en 48h. Rencontre au
carrefour de la pop française, chez lui, à Tricatel. Et on y parle pêle-mêle
French Touch, Karl Lagerfeld, Thénardier, Rock&Folk et Roland Moreno, l’inventeur
de la carte à puce.
cafebabel.com : Es-tu
content de l’album ?
Bertrand
Burgalat : Oui. Je suis très content. Il ne faut pas dire ça parce que
d’abord ça peut faire prétentieux et tout. Mais je suis content d’être allé au
bout, d’avoir l’impression d‘avancer, de ne pas faire exactement ce que je fais
d’habitude. Je suis content sur le fond et sur la forme.
cafebabel.com :
Il constitue une étape particulière ?
Bertrand
Burgalat : Je ne pense pas en tant que carrière, simplement je trouve
que ça n’a pas de sens de faire un disque s’il n’apporte pas quelque chose de
différent de ce qu’on a fait. Il y a des gens, qui ont un public : tous les ans
par exemple, il y a des livres d‘Amélie Nothomb. Moi, je ne suis pas dans ce
cas-là. J’ai d’autres équations en fait. Mais c’est pas mal ! Cela
m’oblige à me botter le cul. Je ne peux pas avoir de certitudes.cafebabel.com : Qu’est-ce
qui fait vraiment la différence avec les disques précédents ?Bertrand
Burgalat : Je n’ai pas enregistré pareil parce que c’est le premier
disque que j’ai enregistré de façon presque normale en studio. Souvent, je fais
des prises dans des endroits qui ne sont pas vraiment pour ça. Je mettais des
instruments dans des pièces qui ne sont pas traitées. Donc, il y a ce côté
pratique. Puis après, je pense aussi que je suis plus nerveux, plus concis.
J’essaie de voir. Je pense que c’est plus direct dans les textes. Finalement,
je pense que c’est un peu moins abstrait.
Vu de l’intérieur hein. Peut-être que pour quelqu’un qui l’écoute ce ne sera
pas pareil. En tout cas, j’ai l’impression d’avoir évolué dans ce domaine-là et
de m’exprimer désormais d’une façon plus claire, plus directe.cafebabel.com : Nous,
en fait, on a fait le chemin inverse. Je m’explique, on ne te connaissait pas
et on t’as appris par ce disque. Le premier truc que j’ai remarqué, pour
traiter de la différence avec The
Ssssound of Music, Portrait-Robot
et Chéri BB, c’est la voix. Dans
Toutes Directions, tu accordes une place beaucoup plus importante à la voix. Bertrand Burgalat :
Oui car j’ai beaucoup plus confiance aujourd’hui. J’ai enregistré les voix, je
me suis installé dans le studio et je me suis dit « allez ok tu fais la voix d’un coup ». Après je suis un peu
revenu dessus. Genre un matin je me lève et j’avais la voix super grave, je me
suis dis « tiens c’est super cool,
tu vas tout refaire et tu vas enregistrer un truc à la Barry White ».
Donc je le fais. Et je réécoute en fin de journée. Putain, c’était épouvantable
alors que j’avais passé une demi-journée à tout rechanter. En fait, je fais des
prises de façon très spontanée mais c’est vrai que c’est une question de
confiance, un truc psychologique. Et c’est en ça que je ne me considère pas
comme un chanteur. J’essaie de chanter comme je parle, si tu veux.cafebabel.com : T’as
fait un travail sur la voix non ?Bertrand
Burgalat : Non c’est à dire que je suis plutôt revenu à ce que je
faisais sur The Sound of music.
Avant, j’ai toujours fait des voix sur les disques des autres mais plutôt des
chœurs à la Beach Boys. Mais dès que
l’on en revenait à moi, je me posais des questions. Et plus je me posais des
questions, plus je perdais confiance en ma voix. La seule chose qui a changé
c’est ça : ne pas me poser de questions. De chanter comme je parlerais.
C’est vrai aussi que j’ai commencé à enregistrer des textes au moment où, selon
moi, la technique et la sensibilité coïncidait plus chez les chanteurs. Dans
les années 90, soit il y avait des chanteurs à voix – qui hurlaient, c’était ignoble – soit il y avait des gens qui
chantaient avec beaucoup de sensibilité mais au détriment de la technique. Je
préférais quand même ceux-là aux hurleurs. Et je pense que l’on est quand même
aujourd’hui dans un période où les deux coïncident mieux. Les gens jazzifient
moins. Mais il y a dix ans, c’était horrible. Les gens attaquaient toujours en
jazzifiant, en foutant toujours des vagues dans leurs trucs. Donc j’étais dans
cette opposition et mêmes les autres artistes du label, comme April March par exemple, je les signais
parce qu’ils étaient en dehors de ça. Maintenant, je trouve qu’on trouve plus
des gens qui chantent justes et bien et qui n’en font pas des caisses.
cafebabel.com : Et
c’est ça qui t’intéresse ?
Bertrand
Burgalat : Ouais parce que plus c’est démonstratif, plus ça se fait au
détriment de l’émotion. Et je trouve que c’est beaucoup plus difficile de
chanter doucement que de chanter fort. D’être juste et tout ça quand on
chuchote, ce n’est pas facile. Je trouve ça techniquement plus compliqué et je
n’aime pas ma voix quand je chante fort. cafebabel.com : Dans
ton premier album, il y a beaucoup plus de parties instrumentales et dans
Toutes Directions les morceaux sont très fournis au niveau du texte …Bertrand
Burgalat : Pour moi, The
Sssssound of music, c’était un prototype où le message était beaucoup plus
abstrait. C’était important de faire ce disque mais justement une fois que
c’était fait – une espèce d’essai comme ça, à la fois triste et solaire – je
pouvais passer à autre chose quoi. Dès l’album suivant, je n’étais pas du tout
dans le même état d’esprit et ainsi de suite. Après un disque comme Toutes Directions, je peux être sûr
d’une chose : ça ne m’emballerai pas de faire la même chose. J’essaierai
de trouver une autre façon de m’y prendre. Parce que c’est toujours pareil, il
faut essayer de proposer quelque chose, il faut essayer d’avancer. cafebabel.com : Toujours
d’un point extérieur, et toujours en prenant Toutes Directions en premier, je ne trouve pas qu’au niveau
musical, au niveau du fond, il y ait une énorme différence. Je ne sais pas si l’on
peut parler d’un prolongement mais tu penses que ce disque marque une
rupture ?Bertrand
Burgalat : Non pas du tout. Je pense que c’est une progression et
j’essaie vraiment de m’améliorer. Je ne suis pas Karl Lagerfeld qui va dire « le XVIII siècle c’est pourri ». Je suis pas un styliste,
voilà. Quand je dis ‘j’aimerais bien
rebattre les cartes’ ça veut dire : ‘j’aimerais bien faire un disque où il y aurait que des graves et que
des aigus.’ Mais j’ai toujours essayé de me démarquer de la mode dominante.
Quand tout le monde était French Touch,
je n’étais pas vraiment French Touch.
Je n’ai pas non plus admiré la nouvelle chanson française. Je ne suis pas
folk-rock non plus. En France, il y
a une tradition dans le domaine de la variété. J’ai travaillé avec certaines
personnes - Adamo par exemple - ça
ne s’est pas bien passé du tout parce qu’il faisait des chansons avec des
intuitions incroyables mais après il venait me voir et il me disait « ouais faudrait que tu me fasses un truc
reggae ». Je l’ai appelé « Jadamo »
après. Bref, tout ça parce qu’il y a une tradition dans la variété selon
laquelle on obéit aux influences du moments. « Il faut disco ? Faisons du disco ». Et caetera. cafebabel.com : Et
on touche à quoi là ? Tu penses pas que c’est parce qu’ils ont peur d’affirmer
une certaine différence à l’égard d’une industrie musicale…(il coupe)Bertrand
Burgalat : Je pense qu’ils ont raison d’avoir peur. Je prends
l’exemple de Tricatel où on a essayé
de faire gaffe à ne pas avoir deux fois la même chose, de ne pas avoir deux
artistes dans la même veine. Et ben, on n’a pas du tout été compris par les
magasins. Donc le fait de ne pas trop vouloir se mettre une étiquette, ça nous
désavantage. Mais après sur le fond, je n’ai pas dut tout de regret. Parce que
c’est pas parce qu’on aurait une étiquette que ça marcherait. cafebabel.com : Pour
revenir à l’album, t’as laissé tous tes textes aux bons soins de la plume de
paroliers. Pourquoi ?Bertrand
Burgalat : Ils écrivent bien. Ils écrivent sûrement mieux que moi. Et
encore mieux que moi si c’était moi écrivant pour moi (sic). Ce qui est
important c’est qu’en passant par des paroliers, je me tiens beaucoup plus près
de ce que je voudrais exprimer alors que si c’est moi qui écris, je sais
qu’inconsciemment je vais avoir l’impression d’auto-analyser ce que je fais.
Enfin, je vais avoir l’impression de me mettre à nu, ce qui n’est pas le cas.
Puis j’estime qu’un disque comme ça, ce n’est pas mon disque. Je ne suis pas en
train de vendre mon personnage, ma personnalité à travers un disque. Je suis en
train de proposer une œuvre, une œuvre collective. Même si c’est moi qui suis
sur la pochette même si c’est moi qui ai fait beaucoup de choses, je considère
que mon travail est indissociable de celui des auteurs et des musiciens qui
participent au disque. C’est pas « moi
Bertrand Burgalat ». Et c’est une joie. Parce que déjà le fait de ne
pas être un groupe, c’est déjà moins bien : la musique c’est quand même un
truc collectif. En même temps, il y a un aspect assez solitaire. Et moi j’aime
bien ce mélange. cafebabel.com : Est-ce
que tu penses que c’est plus personnel d’écrire tes textes mais de ne pas les
chanter ou l’inverse ? En gros est-ce que tu sens ce disque plus intimiste
que les précédents par le fait que tu as laissé l’écriture à des
paroliers ?Bertrand
Burgalat : Ils étaient tous très intimistes mais ce qui est sûr c’est
que j’ai fait des chansons pour d’autres, parfois, qui étaient extrêmement
personnelles. En fait, l’idéal pour faire des trucs plus personnels, c’est
d’arranger un morceau que l’on n’aime pas. Au final, ce sera le morceau avec
lequel je me sentirai le plus libre parce que si je ne travaillais pas avec un
autre artiste, je n’oserai pas y toucher. Et il m’est arrivé de faire des trucs
qui sonnaient mieux que d’autres morceaux auxquels je tenais plus. On est plus
libre, plus détaché. cafebabel.com : Souvent
dans tes interviews, tu dis que t’as un côté anachronique. Est-ce que tu
cultives une certaine différence ?Bertrand
Burgalat : J’ai un défaut : aujourd’hui il ne faut pas essayer de
se démarquer parce que finalement, on fait les mêmes choses que les autres. Je
pense qu’il ne faut pas essayer de suivre la mode mais ne pas non plus essayer
d’en prendre le contre-pied. Moi, j’ai toujours eu tendance quand il y avait
une mode dominante, d’aller à l’inverse. Je pense que c’est une erreur. Je ne
veux pas être singulier, je m’en fous. Etre singulier, selon moi, c’est bête et
il y a un exemple que m’avait raconté Manœuvre
il y a longtemps. Un jour, il accompagne sa fille à un concert de Marilyn Manson et au Zénith, il y avait 5OOO clones de Marilyn Manson parce que tous étaient persuadés
chacun dans leur coin d’être les seuls à l’imiter. Donc, je crois qu’il ne faut
pas chercher ça. Quand je dis anachronique c’est parce que les gens me
considèrent comme quelqu’un de nostalgique. Ce qui n’est pas le cas mais il y
avait un terme à l’époque – horrible et que je revendique surtout pas. On
disait « il est branché-décalé ».
Je pense que ça c’est une connerie. Je ne veux pas être décalé. J’admire les
mecs comme Bowie qui disent
aujourd’hui « tout est neuf tout est
génial ». Il a une espèce de positivisme que j’admire. Moi, je ne peux
pas être là. Je ne suis pas encore assez vieux pour affirmer : « putain c’est génial, j’y comprend
rien mais c’est génial ! ». Je n’en suis pas là mais ça viendra,
c’est sûr. Et il y a eu des mecs en France
comme ça qui disaient « ah j’ai mis
un remix drum&bass. C’était trop énorme ». Je considère simplement
qu’en musique comme dans le reste, plus on connait ses admirations plus on peut
avancer. En studio je passe énormément de temps à bannir tout exercice de style
ou toute resucée du passé, j’essaie de les éviter. En même temps ces
approximations là, elles m’amusent. En général, c’est quand même un style de
fainéantise. Je laisse dire. Ça me fait rire. Parce que j’ai vu avec le temps,
quand les gens avaient des espèces de raccourcis un peu faciles, ça les renvoie
à eux. Beaucoup m’ont collé un artiste sur la tronche, parce que ma musique
leur rappelait ce que je faisais. Des artistes que je connaissais mais que je
n’avais pas écoutés depuis 20ans. J’ai eu Gainsbourg, Burt Bacharach, les
compils d’easy-listening. Parce que
c’était eux, parce que c’est ce qu’ils écoutaient. Chaque fois, je trouve ça
intéressant parce qu’ils m’apprennent. Mais beaucoup plus sur l’interlocuteur
que sur moi. cafebabel.com : Tu
as dit un truc intéressant dans ton petit film de promo, tu as dis que ton
album tu l’avais écrit il y a très longtemps. Et je me demande si l’album n’est
pas fait des petites sommes de choses que tu n’aurais pas faites avant. Bertrand
Burgalat : Il y a des strates. Sur un disque comme ça il y a des
choses qui trainent qui je n’arrive pas à résoudre. Il y a des équations
insolubles. Il y a des morceaux comme « Berceuse » qui a 22
ans. Parce que je n’arrivais pas à retrouver la musique qui allait dessus. J’ai
dû sortir une disquette de mon Atari
pour retrouver le truc. Il y a des choses comme ça qui trainent. Et c’est
l’inverse des fonds de tiroirs parce que sont des trucs super importants mais
que je n’arrive pas à bien résoudre. Puis, il y a des choses qui se font à tel
moment. La plupart des morceaux ont été fat juste après mon troisième album puis
« Voyage sans retour » est
un texte qu’Elisabeth Barillé a dû
écrire peu de temps après. Et je me suis dit « quand j’en aurais 14 ou 15 comme ça » je ferai un album. cafebabel.com : On
te considère aussi beaucoup comme « un
esthète de la pop » avec une
musique très recherchée, architecturale, ficelée presque ésotérique. Est-ce que
tu te considères comme un travailleur besogneux ?Bertrand
Burgalat : Oui et non. Je ne suis pas un pinailleur dans le sens où je
fais les choses très spontanément. J’improvise beaucoup. Pour moi, le studio
c’est un jeu. Je vois des gens en studio, ils font la gueule. Ils sont dans le
mythe bourgeois de la souffrance. D’un autre côté, il y a des choses sur
lesquelles j’essaie d’être très précis pour trouver le bon alliage, les bonnes
combinaisons, la bonne couleur. Et s’il faut mettre un an pour faire un truc,
je vais mettre un an. Je compose assez vite en revanche. Donc c’est un mélange
de spontanéité et de rigueur. Pour le reste, la plupart des projets que j’ai
faits, c’était des projets assez difficiles. C’est con mais un musicien ça
s’apprend. J’ai préféré faire 10 projets un peu acrobatiques où je n’allais pas
gagner beaucoup d’argent plutôt que de faire le gros truc. C’est pour cela que
je suis content de ne pas être l’artiste qui fait ses douze chansons tous les
deux ans. Je suis aussi obligé de travailler, de faire des choses, de faire des
commandes. Parfois on peut perdre l’appétit pour la musique à cause de ça parce
qu’il ne faut pas que cela devienne juste un boulot quoi. Autant on peut garder
une certaine fluidité. cafebabel.com : En
même temps, tout le monde n’est pas dans ta position. Tout le monde n’est pas
artiste et dans le même temps fondateur et directeur de label…Bertrand
Burgalat : Parfois c’est même décourageant de faire tout ça. On se dit
pourquoi on le fait ? Et puis bon, quitte à le faire, autant faire les
choses bien. Faire ce qu’on aime avec des gens que l’on apprécie. C’est quand
même un luxe. cafebabel.com :
T’es passé par une période difficile… (Tricatel a connu une situation difficile
au début des années 2000, à l’époque Bertrand aurait annoncé vouloir arrêter la
musique, ndlr)Bertrand
Burgalat : Le disque est sorti hier. Là, je suis encore content de
l’avoir fait. Deux, c’est le disque sûrement le mieux accueilli par la
critique. Donc c’est déjà une victoire. Après, je veux voir le résultat dans
trois mois. Si on n’est pas arrivé à passer certaines strates, si je n’ai pas
réussi à élargir mon public, je me dirai pas « j’aurais dû faire le disque autrement » mais simplement peut-être
que je me poserai des questions. Je me dirais « est-ce qu’il faut continuer à lutter comme ça ? ». Dans
ces moments là, de promotion, juste
après la sortie, alors que je ne mets pas la barre haut commercialement– remarque
j’étais en dessous de mes attentes même quand je plaçais la barre bas. Ce que
je veux c’est juste la capacité future à faire d’autres choses. Mais là je
suis très positive attitude.
cafebabel.com : Quelle
formation musicale tu as ?
Bertrand Burgalat :
J’ai commencé le piano à 6ans, formation classique que j’ai abandonnée à 12
ans. J’ai arrêté trop tôt surtout parce
que c’était un période où il y avait soit la formation conservatoire classique,
soit le délire autodidacte. Donc j’ai lâché classique et je me suis retrouvé
avec une formation théorique trop sommaire. Si je lis un traité d’harmonie et
tout ça, il y a toute une grammaire que je ne connais pas. Je connais
l’orthographe de la musique mais je n’en connais pas la grammaire. C’est comme
si on me disait « ne mettez jamais
de cravates à pois sur des chemises rayées ! » « Ah bon ? Je ne savais pas… » J’ai
des regrets parce que du coup, ça ne me pose de problème quand j’écris mes
arrangements. Mais j’aimerais lire à vue. Et je suis en aide à la musique au CNC (Centre national de la
cinématographie, ndlr). Il y a des gens qui sont premiers prix de
conservatoire. Des gens qui ont la compétence technique suffisante pour faire
des supers trucs. Mais dans le même temps, j’ai l’impression que ce type de
formation les restreint dans un enseignement qui ne leur apprend que « la manière de ». Après 12 ans, j’ai appris sur le tas. J’ai
essayé de progresser. L’an dernier, j’ai été voir un compositeur classique. Il
faudrait que je réapprenne tout dès le début. C’est comme si tu conduis dès 30 ans et que d’un coup, tu devais
repasser le code. cafebabel.com : Et
dans le milieu de a musique en tant que tel. Tu es fils de préfet comme un
certain Jean-Louis Aubert, j’imagine que tu n’as pas vraiment été bercé dans un
cocon musical ? Bertrand
Burgalat : Ah ben non pas du tout. J’ai été fils de préfet mais bon je
ne l’ai pas été très longtemps parce que quand mon père est mort, j’avais 20 ans. Et donc je n’ai plus jamais eu
de liens avec les gens que connaissait mon père. Je me suis retrouvé seul. Puis
même quand il était en vie, il était ami avec Tino Rossi. Je regrette parce qu’à l’époque je me souviens :
voir Tino Rossi, c’était voir le diable, l’incarnation du mal absolu. Je
refusais absolument. Maintenant je me dis « quelle connerie ! » J’aurais adoré voir sa baraque.
cafebabel.com : Et
t’as grandi où ?
Bertrand
Burgalat : Un peu partout parce qu’un préfet ça bouge tous les
deux-trois ans. J’ai été en Corse,
dans les Landes, dans le Morbihan, à Colmar, en Seine Saint Denis,
en Bourgogne. J’ai même vécu à Londres, tout seule à 14 ans. Mon père était en poste à Ajaccio et le climat politique était un
peu compliqué. Puis on m’a dit « ah
t’as un bon niveau d’anglais, tu pourrais au lycée français ». J’étais
près d’Heathrow chez des Thénardier, je me caillais. Et ils me
filaient des tricots de corps. Bref, c’était en 77-78.
cafebabel.com : Et
ton style alors ?
Bertrand
Burgalat : Je m’habille comme je détestais la mode des gens qui
s’habillaient comme ça à l’époque. Mais quelque part on en revient à l’album.
Bon mon père est mort quand j’avais 20
ans puis plus j’ai progressé, plus j’ai vécu des choses bien et plus je
ressentais le besoin de partager ces choses avec mes parents. J’ai perdu mon
père, ma mère, ma sœur. Et je pense qu’inconsciemment la façon de me saper doit
venir de là. Avec le temps je me suis aussi rendu compte combien mes parents
m’avaient adoré. Donc peut être que je fais une sorte de transfert en me sapant
comme ça.
cafebabel.com :
Tu sais que mon père aime bien Burgalat ?
Bertrand
Burgalat : (Il se poile). C’est marrant parce que normalement le truc
typique avec les vedettes vieillissantes, c’est genre « ma grand mère te kiffe ». Non c’est
la première fois que quelqu’un que je rencontre me dis ça, je trouve ça génial.
cafebabel.com : Je
dis ça parce qu’à la maison, dans les chiottes, il y a Rock&Folk et que c’est quand même un canard qui t’a vachement
soutenu ?Bertrand
Burgalat : J’ai une gratitude énorme pour Rock&Folk parce que je trouve que Philippe Manœuvre a toujours eu un côté ado éternel dans tout ce
que ça a de touchant. C’est un mec qui a des enthousiasmes assez rafraichissants
car il se fout complètement de savoir ce que l’on va en penser. Donc pendant
des années il s’est battu à Rock&Folk pour des groupes improbables ; genre Mötley Crüe. Putain, Mötley Crüe. Et
moi, j’étais le cœur de cible qu’il allait normalement dézingué. Des mecs comme
ça - rockeurs purs et durs - ils vont nous dézinguer. Et c’est tous les anciens
rockeurs - Marc Zermati, Alain Dister
– qui ont été d’une bienveillance assez géniale. J’ai donc une gratitude
éternelle envers Manœuvre. Pour le dernier numéro, il m’a appelé pour le shooting et Philippe est venu en taxi.
Et je me suis dit « putain le mec il
est venu, alors qu’il est rédacteur-en-chef, qu’est-ce qui se fait chier ».
Tout ça pour dire que je trouve que faire des interviews c’est un privilège.
Parler avec des gens qui ont écouté ce que tu fais etc…Et quand je vois des
gens qui se plaignent pour faire des interviews ben je leur dis « allez en enfer bande de cons ».
C’est quand même une chance. En plus pour moi, il n’y a pas de hiérarchie
là-dessus. La taille des journaux, pour moi, n’a aucune importance. Je ne
consens pas à donner une interview. Pour moi, c’est une chance. Puis
aujourd’hui, il y a beaucoup d’indifférence dans la musique c’est normal. cafebabel.com :
On est à la bourre mais explique-moi un peu ce label qu’est Tricatel.Bertrand
Burgalat : Je n’avais pas du tout l’idée d’en faire un label. J’ai
sorti un premier disque, comme ça. cafebabel.com : Enfin
t’as vu L’aile ou la Cuisse quand
même avant…(Tricatel est un personnage du film, nldr)Bertrand
Burgalat : À l’époque au milieu des années 90, il y avait plein de rediffusions. Ça me rappelle Roland Moreno, l’inventeur de la carte
à puce qui avait aussi inventé une machine à faire des néologismes. C’est un
mec à interviewer, génial. La carte à puce, t’imagine ?? Et à l’époque,
beaucoup de noms apparaissaient comme ça : Alcatel, Cegetel. Bref, je ne
voulais pas en faire un label, on avançait à vue. On se disait tiens on va
sortir ce disque, on y va. Puis après c’était un rêve comme ça, de fonder une
petite écurie.
cafebabel.com : C’était
aussi un coup de gueule contre les majors…
Bertrand Burgalat :
Ouais aussi mais avec le temps je suis devenu beaucoup plus pro-majors. (Ah bon ???) Oui, parce que je
pense que nous sommes dans un monde où il faut des artisans comme nous mais
aussi des gros. On a beaucoup plus souffert avec des gros indépendants dans la
pratique qui nous considéraient assez mal et qui jouaient sur le côté très
vertueux mais qui se conduisaient très mal. Le moment où l’industrie musicale a
foutu le marketing dans la musique avec la pub et tout, évidemment, je voyais
le diable. Aujourd’hui, Universal par
exemple c’est un peu le LVMH du
disque c’est à dire que c’est des gens qui ont fait du marketing mais en même
temps, si l’on regarde bien sur la longueur, ce sont des personnes qui ont viré
le moins de gens, qui ont fait le moins de plans sociaux. Dans l’absolu, ce ne
sont pas ceux qui se sont conduits le plus mal. Je ne dis pas que tout ça a été
fait avec beaucoup de goût et beaucoup de discernement mais je respecte. Pour
des gens comme nous, ils ne nous font aucun mal. Quand Universal rachète EMI, que des gens qui se revendiquent
comme « indépendants »
déposent plainte devant Bruxelles,
ben je trouve ça scandaleux. Parce qu’en fait, ce qu’ils veulent ce n’est pas
du tout empêcher l’achat d’EMI. Ils veulent que Bruxelles oblige Universal à le
vendre, à des prix défiants toute concurrence des parts du catalogue d’EMI.
Donc ils attendent qu’on leur donne Virgin
Classic et tout ça. On instrumentalise Bruxelles pour utiliser des fonds de
catalogues et c’est assez dégueulasse. En tout cas, je ne suis plus dans cet
affrontement de la même manière que je ne suis plus dans l’affrontement avec
les magasins. Avant lorsque l’on était en marge, la Fnac et les megastore faisaient la loi c’est à dire
que s’ils nous soutenaient pas, on était mort. Quelqu’un qui faisait des trucs
grand-public, ils pouvait toujours aller voire Leclerc ou Auchan. Mais nous, on
était trop en marge et on était vraiment confrontés à de lourds problèmes. Et
aujourd’hui, s’attaquer à la Fnac, c’est tirer sur une ambulance. Les mecs en
bavent. Le disque à la Fnac, c’est foutu.
cafebabel.com : Et
comment ça va Tricatel maintenant ?
Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré.
Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.